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Christian Petzold : ” Le fascisme est une tentative de ségrégation alors que le Transit est un espace du mélange”   [Interview]

Christian Petzold : ” Le fascisme est une tentative de ségrégation alors que le Transit est un espace du mélange” [Interview]

26 April 2018 | PAR Yaël Hirsch

Présenté à la dernière Berlinale, encensé par la critique, Transit de Christian Petzold est sorti ce mercredi 25 avril 2018 sur nos écrans français. Une adaptation réussie du roman de 1944 d’Anna Seghers où les temps se percutent pour un effet puissants sur la question des migrants et des réfufiés. Le réalisateur était de passage à Paris et nous a parlé de la manière dont Harun Farocki lui a transmis le livre et sur ce tournage d’amour  et d’ouverture dans un Marseille hanté de fantômes.

Lisait-on le Livre d’Anna Seghers en Allemagne de l’Ouest? Le lit-on aujourd’hui à l’école?
L’Allemagne était divisée et nous à l’Ouest, on ne lisait pas les auteurs de l’Est sauf les plus emblématiques. Quand j’avais 15 ans, j’ai écouté un disque d’un grand cabaretiste allemand, Wolfgang Neuss et dans une des chansons, il faisait de l’ironie se moquait de la poésie d’Anna Seghers et surtout son langage expressionniste. Un jour, quand je jouais au foot avec Harun (Farocki, le co-scénariste de Christian Petzold, ndlr), il m’a demandé “As-tu lu Anna Seghers” ? Je connaissais son nom mais j’avais des a priori défavorables. Alors j’ai alors lu le livre Transit et c’est devenu un de mes livres préférés.

A quelle date l’avez-vous lu ? Cela raisonnait-il autant que maintenant avec la Crise des migrants?
J’ai lu le livre pour la première fois en 1988 et je me suis rendu compte qu’il raconte l’histoire de tout ces gens qui ont du quitter l’Allemagne. A l’époque, il m’a fait prendre conscience d’un abîme dans la culture allemande : tous ces gens qui ont dû fuir… Et il y a 10 ans, Harun a proposé de faire un film sur le texte original. En même temps on ne voulait pas faire un film historique, surtout après Phoenix : c’est trop travail. L’écho avec l’actualité était fort, : nos lois sur l’asile remontent à cette période de la guerre et après, en Allemagne et quand on a commencé à tourner à Marseille, il y avait les campagnes électorales. 10.000 personnes étaient venues applaudir Jean-Luc Mélenchon sur le vieux-port. Avec comme premières thématiques celles de la crise migratoire et la question du port du voile. C’est dans ce Marseille, on a tourné rue de la République afin de reconstruire un Paris fictif. Et le fait d’être entourés de migrants a donné un aspect fantomatique à l’image.

Dans un travail d’adaptation, comment procédez-vous. Y-a-t-il des livres, des films qui vous ont inspirés?
Avec Harun, on s’est jurés de ne jamais faire une adaptation cinématographique d’un roman. On ne peut pas vraiment adapter un roman, je crois qu’on peut seulement rendre justice à son souvenir de lecture. J’ai donc juste relu une fois le livre et noté mes passages préférés. Trois mois avant le tournage, je suis allé à Marseille et m’y suis promené avec le chef opérateur, sans pour autant vouloir tout connaitre de la ville. Quant aux inspirations, une fois à Marseille, avec les acteurs, nous avons installé une sorte de cinéma sur les toits de la ville et nous avons regardé des films sur les réfugiés, des films comme par exemple ceux de Mike Nichols : c’est vraiment un exemple de quelqu’un qui est devenu apatride mais a tout de même trouvé son bonheur.

Vos personnages évoluent en 1940 avec des habits d’aujourd’hui. Quelles sont les limites de la collusion des temps? Pourquoi pas de portable?
=De manière générale je déteste les portables, j’aime les films où on voit Lino Ventura ou Jean-Paul Belmondo, descendre au sous sol en quête d’un téléphone. Les films ont très vite l’air datés avec un téléphone portable, mais pas avec un téléphone traditionnel. Et dans le film il y a une scène où on voit les réfugiés d’aujourd’hui. Transit est une rencontre entre les deux niveaux de temps. Faire un film en costume et d’époque ne m’intéressait pas : Je déteste les films, la musique, les gens rétros.

Transit a aussi un vrai personnage des années 1940 : la femme fatale…
J’ai tourné pas mal de films avec des films avec des femmes, notamment Nina Hoess. Et la chose avec Nina qui était fantastique, c’est qu’elle ne voulait pas juste être la belle blonde. Avec Paula Beer, j’ai fais répétition à Marseille et elle m’a dit que c’était bizarre, qu’elle avait l’impression que ce livre Transité était écrit par un homme. Et effectivement les personnages masculins sont décritstrès physiquement tandis que la femme passe comme un fantôme.

Vous avez fait le choix de ne pas montrer les nazis. A quel point cette menace abstraite joue-t-elle un rôle?
La peur est toujours subjective et il m’a semblé plus efficace de montrer deux personnages qui disent les Allemands sont devant Avignon, que de montrer des militaires qui crient, donnaient nous les enfants juifs. Et j’ai pensé au film de Marcel Ophüls, Hotel Terminus, sur la trahison des Français sous l’occupation et le régime de Vichy, où on a l’impression que la peur habite le réalisateur.

Le fait que les migrants soient allemands, européennes et blancs, cela suscite-t-il certaines identifications ?
Les réfugiés sont blancs, parce que je suis blanc et je ne peux pas me mettre dans la peau d’une personne d’origine maghrébine ou africaine. Mais je peux comprendre, les réfugiés que décrit Anna Seghers. Il y a un cinéma que je déteste, c’est celui de la consternation qui essaye de nous faire croire, qu’on peut se mettre dans la peau, dans prisonnier des camps de concentration de la Galicie ou d’un réfugié africain emprisonné et violé en Libye avant de prendre le bateau pour quitter ce pays. Le fascisme est toujours une tentative de ségrégation alors que l’espace de Transit est un espace où les populations se mélangent, comme au cinéma.

Je peux vous poser la question du film ? Qui oublie d’abord, celui qui est quitté ou celui qui quitte?
C’est celui qui se fait quitter, parce qu’il a les belles chansons tristes, les livres, les photos… Celui qui quitte garde toujours avec lui la culpabilité.

Transit, de Christian Petzold, avec Franz Rogowski, Paula Beer, Godehard Giese, Lilien Batman, Maryam Zaree, Barbara Auer, Matthias Brandt, Sebastian Hülk, Emilie de Preissac, Antoine Oppenheim, Allemagne, 2017, Les Films du Losange. Sortie le 25 avril 2018.

Marco Krüger, (c) Schramm Film

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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