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[Cannes, Un Certain Regard] “Bird People”, l’audace de Pascale Ferran

[Cannes, Un Certain Regard] “Bird People”, l’audace de Pascale Ferran

19 May 2014 | PAR Olivia Leboyer

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Avec Bird People, Pascale Ferran (Petits arrangements avec les morts, caméra d’or 1994, L’âge des possibles, L’amant de Lady Chatterley) livre un film délibérément étrange, construit autour d’une idée poétique et risquée.

[rating=4]

Comment garde-ton le sentiment d’exister dans un espace froid, impersonnel ? Audrey (Anaïs Demoustier, actrice impressionnante) travaille comme femme de chambre dans un grand hôtel près de Roissy, pour payer ses études. Un entre-deux inconfortable, déstabilisant : lorsque, au téléphone, son père tente de voir le bon côté de la chose et lui lance qu’elle a ainsi l’occasion de pratiquer son anglais, Audrey rétorque avec agacement que personne, dans ce genre d’hôtel, ne prend la peine d’adresser la parole à une femme de ménage ! Silhouette impeccable, furtive, la jeune fille reproduit en effet chaque jour les mêmes gestes, arpentant les couloirs, vérifiant que les chambres sont vides avant de nettoyer avec soin, glissant silencieusement d’une pièce inoccupée à l’autre.

Jusqu’au jour où Gary, un bel Américain ingénieur en informatique (Josh Charles, très séduisant), décide de rester plus longtemps que prévu. Initialement, il devait assister à une réunion, puis passer la nuit avant de s’envoler pour Dubaï. Mais, soudain épuisé par sa vie, Gary choisit de tout arrêter : démissionner, quitter sa femme (longue et éprouvante scène de rupture par skype avec la belle Radha Mitchell), se délester de tout ce qui lui pèse et occuper, un temps indéterminé, cette chambre, refuge temporaire et bienvenu.

Découpé en trois parties, le film, d’abord centré sur la solitude résignée d’Audrey, puis sur la prise de conscience de Gary, le film bascule tout à coup dans le fantastique. Sans révéler le turning point (que le titre laisse deviner), indiquons seulement que Pascale Ferran s’attache à concilier l’univers du merveilleux et le quotidien. Entre Bong Joon-ho (le sidérant The Host) et Jacques Tourneur (La Féline) ? Evitant tout effet spectaculaire, le film décolle en douceur, conservant une ligne de normalité improbable. Ce procédé permet une plongée dans les vies parallèles des gens de l’aéroport, dont Pascale Ferran capte les gestes, les bribes de conversations, des instants d’intimité. Un peu comme Claire Simon dans le récent Gare du Nord, il s’agit ici de prêter attention aux détails, aux rencontres fugaces, aux indices qui, brusquement, nous mettent face aux difficultés d’une personne. Une personne, un anonyme, un être humain, personne, la polysémie du terme « personne » laisse entendre à quel point il est malaisé ou, à l’inverse, simple de rencontrer, un beau jour, quelqu’un.

A mi-chemin entre l’observation sociologique et le conte merveilleux, Pascale Ferran réussit un film volontairement hybride, par moments assez maladroit (trop de dialogues pour certains plans, où le silence aurait peut-être suffi), où l’humour, la pirouette, tiennent également une place. Pleinement assumée, l’incursion dans le merveilleux fonctionne si le spectateur accepte de se laisser porter. Et la dernière scène, très simple, émeut.

Bird People, de Pascale Ferran, France, 2h08, avec Anaïs Demoustier, Josh Charles, Roschdy Zem, Camélia Jordana, Geoffrey Cantor, Taklyt Vongdara et Radha Mitchell. Sélection cannoise Un Certain Regard. Sortie en salles le 4 juin 2014.

visuels: photo, affiche et bande annonce officielles du film.
http://www.dailymotion.com/video/x1rx6jz_bande-annonce-bird-people-de-pascale-ferran_shortfilms

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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