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« 10 949 femmes » au 11e Panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient : une rencontre

« 10 949 femmes » au 11e Panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient : une rencontre

13 April 2016 | PAR Geoffrey Nabavian

Au Panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient 2016, qui se poursuit jusqu’au 17 avril, on a pu découvrir en avant-première ce documentaire, présenté par son auteur. Ce fut une soirée de rencontre, en effet : avec une femme s’étant engagée politiquement en Algérie bien avant la guerre, et avec une cinéaste qui, à l’aide de moyens très simples, a su capter sa parole. Et parler à tous.

10 949 femmesC’est un documentaire à l’apparence simple, dépouillée, qui parcourt au final de nombreuses thématiques. Lors de sa présentation en avant-première à Paris, au Louxor, ses spectateurs ont trouvé que ses images, et son montage, épousaient fort bien son sujet. A savoir la personnalité imposante de Nassima Hablal, femme engagée dans la lutte politique en Algérie bien avant la guerre d’indépendance. En l’approchant avec patience dans son intimité, pour la faire parler de son lien à l’histoire de son pays, la réalisatrice Nassima Guessoum est parvenue à capter sa parole, très directe, très affirmée, et porteuse d’une réflexion.

Filmée dans le modeste appartement où elle passe ses dernières années – elle est décédée en 2013 – et cadrée en des plans au grain apparent, elle laisse aller ses mots de manière enjouée. La cinéaste l’aiguille, de temps en temps. Partie dans le militantisme en 1945, Nassima a vécu l’avant-conflit, puis la Guerre d’Algérie, d’abord dans son pays, puis en France, en Tunisie… Elle ne fut pas seule à s’impliquer : 10 949 femmes, le titre du long-métrage, fait référence au nombre de femmes engagées dans la résistance aux français, lors de ce conflit. La réalisatrice explique : « Je savais que 1% d’entre elles effectuaient des actions armées, une question m’est donc venue : et les 99% restantes ? » Ces « petites mains », aux faits de résistance de tailles variables, sont « connues en Algérie, mais davantage pour leur acte commun que pour leurs personnes », selon les mots d’un spectateur.

10 949 femmes 2La cinéaste raconte aussi que lorsque Nassima est apparue lors d’émissions télé, dans les années 90, « sa parole restait bridée », enchaînée à un discours politique précis. Dans ce film, on voit qu’elle se laisse aller, avec du recul, à des considérations. D’abord active aux côtés d’étudiants de gauche, puis au sein d’une cellule féminine du Parti du Peuple Algérien, elle est allée ensuite « travailler avec les hommes » au FLN, le Front de Libération Nationale. Arrêtée au cours de la guerre, elle a été jugée puis emprisonnée en France. En permission, elle a rejoint la Tunisie, où elle a découvert des combattants guère dynamiques, « des chefs qui se servaient au lieu de servir leur peuple ». Après la victoire, elle a été déçue de l’arrivée au pouvoir immédiate d’Ahmed Ben Bella. « Il n’était pas là. Il est arrivé, et le pouvoir, il l’a pris. Comme beaucoup… » … Devant nous, à un moment, elle évoquera la prison : « c’est une expérience, on y perd de sa vie, de son temps, mais c’est une expérience à vivre ». Avant d’ajouter : « on y faisait la loi, nous les femmes, dès qu’il y avait une exécution on entonnait nos chants ou on se mettait en grève de la faim ». On la verra ensuite avec Baya, ancienne du maquis comme elle, où elle était infirmière. Et la réalisatrice ira rencontrer Nelly, française qui fut compagne de cellule de Nassima, dont elle se remémore les récits.

« Profondément, Nassima était féministe : mais elle n’a pas mené un combat féministe » commente Nassima Guessoum. Le public, lui, observe : « à l’écran, elle se réfère sans arrêt au peuple algérien, elle est restée accrochée à son idée du combat et de la révolution, qui devaient profiter à toute l’Algérie ». Grâce à ce film, on reçoit en tout cas une version de l’histoire de cette indépendance, d’un point de vue très peu représenté.

10949 femmes sortira le 27 avril. Le 11e Panorama des Cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient, organisé par Kamal El Mahouti et Indigènes Films, en partenariat notamment avec l’Ecran de Saint-Denis, se poursuit jusqu’au 17 avril, proposant notamment Close-up d’Abbas Kiarostami en version restaurée (le 15 avril au Louxor) avant sa ressortie, l’avant-première de Maintenant ils peuvent venir de Salem Brahimi (le 17 avril à l’Institut du Monde Arabe), celle de Dégradé, film palestinien d’Arab et Tarzan Nasser, à Romainville (le 14 avril)… ainsi qu’un programme de courts-métrages, difusés dans les médiathèques de Seine-Saint-Denis.

Visuels : images de 10 949 femmes © Films des Deux Rives

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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