Arts

Rouault entre ciel et terre, à la Pinacothèque

30 September 2008 | PAR marie

rouaultParis, qui fut un temps « capitale des Arts » doit, pour rendre hommage à l’un de ses peintres décédé il y a cinquante ans, passer par le truchement de collectionneurs japonais. L’exposition des chefs d’oeuvres de Rouault appartenant à Idemitsu est à la Pinacothèque jusqu’au 18 janvier. Balancements entre terre et ciel d’un artiste “inclassable” :

 

  L’exposition ne se veut pas chronologique ; elle cherche, en organisant l’accrochage des tableaux autour des hommes et des femmes qui ont influencé l’artiste, à replacer l’œuvre de Rouault « dans une dimension littéraire et poétique » : ses amis, ses acheteurs et d’abord son maître, Gustave Moreau. « Je suis le pont sur lequel certains de vous passeront » disait le Professeur de l’Ecole des Beaux Arts. Pont entre les Anciens, que Gustave Moreau invitait sans cesse à contempler, et ses élèves, les peintures qu’ils porteront, le fauvisme en premier lieu. Exposé au Salon d’automne (1905), Georges Rouault, fut rapproché des Fauves. La vivacité des couleurs de La Femme au tambourin (affiche de l’expo), la simplification et l’accentuation des formes des corps (des femmes notamment), la texture devenue visible (le relief de la collerette du Pierrot jaune), tout ceci inscrit en effet le peintre dans un courant porté notamment par Henri Matisse, lui aussi élève de Moreau. Chez les deux camarades de classes, les femmes dansent entre ciel et terre dans de voluptueux mouvements (Les Bacchanales de Georges Rouault, La danse de Matisse). 

Les Bacchanales, 1937 (crédit photo : Pinacothèque)

Pour autant, si proche fut-il des Fauves, Georges Rouault ne cessa de se considérer comme indépendant de cette école ;  une manière pour lui de pouvoir rechercher ses sources d’inspiration vers tous horizons. Héritages de son premier travail dans le vitrail, ses contours noirs renvoient à l’art japonais, explique le commissaire d’exposition Marc Restellini. Simple extrapolation ? Les femmes des Salon I et II semble bien contempler une calligraphie nippone.

Au salon I, 1906 (crédit photo : Pinacothèque)

Et Idemistu, collectionneur féru des travaux de ses compatriotes mais ignorant tout de l’art occidental, apprécia Rouault pour les similitudes entre ses toiles et le sumi-e, le dessin à l’encre. Effectivement, les traits de La Mégère casquée renvoient à ceux de la Geisha d’Utagawa Toyohiro. Toujours selon le commissaire d’exposition, les paysages symboliques de Rouault, les invitations à la méditation qu’ils suscitent, feraient de leur auteur une référence « Zen ».

Convaincu par l’historien, les visiteurs non initiés à l’art oriental penseront aussi, à la vue du Golgotha aux gravures de Goya. Et, lorsque “les caprices” du peintre espagnol paraîtront bien trop chargés de démons pour être comparés à ce peintre français mystique, l’on se souviendra, au vu des juges boursouflés et des bonnes femmes fardées de l’artiste, aux politiques suffisants et bien trop gourmands d’Honoré Daumier.

Juge, 1938 (crédit photo : Pinacothèque)

Sauf que là encore, et c’est bien ce qui rend Rouault « inclassable », quand Daumier reste dans l’arène parlementaire ou sur les ruines d’une guerre (1870-71) qu’il n’éclaire que d’une urne, lorsque le caricaturiste peint une Marie-Madeleine en prière mais bien ancrée sur terre, le peintre des Poulot, s’évade dans des paysages bibliques et retrace le chemin de croix. Son Pierrot bleu empruntait ses traits au Christ (ou serait-ce l’inverse ?), ses personnages de cirques étaient déjà mystiques….

 

 

Pierrot, 1938-39 (crédit photo : Pinacohèque)

Plus que tout autre, l’avant dernière salle de l’exposition illustre cette constante oscillation entre représentations de la comédie humaine et scènes religieuses : les grosses dames du Salon I côtoient Le Christ et les Pharisiens.

Marc Restellini se défend d’avoir abordé l’oeuvre du peintre sous une perspective « judéo-chrétienne », mais, on l’a dit, dans une perspective littéraire et poétique. Or, si Rouault reçu une éducation laïque, les amis qui l’ont influencés étaient souvent, comme lui, catholiques : Léon Bloy, André Suarès, Raïssa et Jacques Maritain… Ce dernier disait de la peinture de Rouault qu’elle était « exclusivement peinture, uniquement préoccupée de la recherche passionnée des exigences de la matière picturale, de la sensibilité de l’oeil, de la précision la plus sagace et la plus raffinée des moyens techniques ». Au final, les conseils du maître auront été suivis : se nourrir des Anciens pour élaborer une oeuvre unique, et comme le dit le philosophe Maritain, toucher directement à la sensibilité… La Pinacothèque, toute de couleur vêtue pour accueillir Georges Rouault, s’emplit de “c’est triste”,c’est lumineux“… Loin des écoles pictorales, l’artiste éveille notre regard.

Georges Rouault, Les chefs d’œuvre de la collection Idemitsu, Pinacothèque de Paris, jusqu’au 18 janvier 2009, de 10h30 à 18h. (fermeture billeterie à 17h15) 28, place de la Madeleine, Paris 8e Métro Madeleine. Tarif réduit (12-25 ans, étudiants, familles nombreuses. sur présentation d’un justificatif) : 7 euros.

Et, jusqu’au 15 octobre, expo “Georges Rouault, L’effervescence des débuts”, au Centre Pompidou. Pour lire notre critique, cliquez ici.

Sur le même sujet,  n’hésitez pas à faire un tour sur Artaban

Marie Barral

Katra, « Beast Within » : Rien de neuf sur la scène métal gothique
Reservez vite : AC/DC à Bercy le 25 et 27 février 2009
marie

4 thoughts on “Rouault entre ciel et terre, à la Pinacothèque”

Commentaire(s)

  • Article très riche.
    Je découvre votre blog avec plaisir.

    October 3, 2008 at 16 h 06 min
  • Max

    Cette expo a l’air de toute beauté !
    Merci de nous la conseiller à juste titre !

    October 3, 2008 at 16 h 20 min
  • huguette Hérin

    je suis revenue de l’expo Georges Rouault bouleversée par deux toiles intitulées toutes deux Exode et distantes l’une de l’autre pour des raisons obscures et sans doute nécessaires car le besoin d’aller de l’une à l’autre devenait pour moi, ainsi passionnément tyrannique …Une Femme, un Enfant, un Homme : le résumé d’une famille en somme. Déchirée dans son unité même. Alors j’ai souhaité m’en tenir à une sorte d’incessants retours de l’un à l’autre des tableaux, de l’une à l’autre des personnes figurées vaguement comprendre l’ordre voulu par le peintre. Mieux encore comprendre le corps penché de la Femme lorsqu’elle apparaît la première juste avant de quitter notre champ de vision. Nous ne la verrons plus, plus jamais, c’est certain ; de tout son poids d’affliction, de fuite, elle avance ; elle va dépasser ces obstacles au sol qui retiennent douloureusement ses membres, son corps et l’enfant creuse le paysage et l’Homme conclut la lourde marche vers d’autres embûches. Je venais alors de lire la Route de Mac Carthy et je ressentais cette volonté de malgré tout s’abstraire d’une implacable fatalité par la volonté d’avancer encore, encore… quoiqu’il en coûte. Dans le deuxième tableau (ou le premier, qu’importe) c’est l’enfant qui désigne le guide : façon de parler, puisqu’il est devant, la Femme – c’est à dire (peut-être) la Mère juste dans ses pas… Une fois encore l’Homme est en arrière…1911, 1930 les dates d’avant les exodes massifs, “modernes” mais aussi après des exodes de toutes nuits, de tous temps …Et ces trois là dans cet ordre recherché, limpide, exemplaire avancent. Je me suis arrêtée devant la vitrine de chez Fauchon, j’ai posé mon nez sur le froid de la vitre, j’ai pensé : ma fille ton enfance est si loin, tu viens de voir un rêve vivant, tu entres dans ta soixante dixième année, tu es bouleversée du poids d’un halo passant du rose saumon au bleu sourd détouré de la ligne noire reconnaissable entre toutes les lignes noire d’autres peintres, d’autres histoires, ligne au-dessus des corps et de la tête de chacun des trois personnes ; trinité commune – celle du commun des mortels, errante et moi qui ne cherche pas de grâce religieuse je me suis sentie enveloppée de ces couleurs de cette poussée hors champ de l’immédiate compréhension…Je me suis dirigée vers la Gare Montparnasse. Cette fois, j’y vais ; j’ai encore souri aux mondanités des files de chez Fauchon, sans mépris, sans frustration parce que c’est du joli dérisoire, ce soir-là j’étais indulgente ; c’était simple. La librairie de la gare était – en dépit de la date, ouverte – j’ai acheté ce que j’ai pu de plus conforme à ce que je venais de vivre : Un Long Chemin de la norvégienne Herjorg Wassmo qui raconte la fuite (devant les nazis) en 1943 vers la Suède d’un Homme, d’une Femme, d’un Enfant …J’étais toujours dans l’intentensité d’une émotion qui ne tendait que si lentement à décélérer…Si lentement…

    January 5, 2009 at 22 h 08 min

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration