Arts

Photo : Lee Miller au Jeu de paume, par-delà l’objectif

26 October 2008 | PAR Yaël Hirsch

Le Jeu de Paume nous offre en ce moment de très belles expositions de « classiques » de la photo. Après le fleuve exhaustif du travail de Richard Avedon, au printemps dernier, c’est au tour de Lee Miller de faire l’objet d’une rétrospective. Un parcours envoûtant où l’on suit la mannequin-photographe des deux côtés de l’objectif.

C’est avec infiniment de tact et de rigueur que le Jeu de Paume s’attaque au Mythe de Lee Miller. Dans le cadre du mois de la photographie à Paris, l’exposition nous vient tout droit du Victoria and Albert museum de Londres, où sont conservées les Lee Miller archives et montre150 photographies de Lee Miller. Le Jeu de Paume a complété les clichés venus de Londres par le film de Cocteau, « Le sang d’un poète » et de quelques collages, sans jamais s’appesantir sur la vie tumultueuse et fascinante de la photographe (Le viol à 7 ans, les divers maris etc…). C’est bien son « Art » qui est mis à l’honneur comme l’annonce le titre de l’exposition. Née sur la côte est des Etats-Unis, Elizabeth Miller était d’une beauté hitchockienne. Elle fut donc la Muse de nombreux artistes, de son père, photographe amateur, à Cocteau, qui la fait jouer dans son film « le sang d’un poète » en 1931, en passant par Man Ray dont elle fut la maîtresse lors de son séjour parisien au début des années 1930.

Mannequin vedette de Vogue à New-York dont elle fait la couverture en 1927, la blonde mystérieuse préfère « prendre une photo qu’en être une », et développe son propre art de la photographie. Si elle puise sa technique chez Man Ray (notamment le processus de solarisation, qui consiste à inverser le noir et le blanc par une surexposition), ses photos racontent toutes une histoire. Les femmes célèbres (Dora Maar, Dorothy Hill, Gertrud Lawrence…) dont Lee Miller fait le portrait semblent regarder par delà l’objectif et ouvrent à un tout autre monde par leur beauté glacée et leurs pupilles vagues. Ses autoportraits exercent aussi un magnétisme magique où la jeune-femme se peint souvent de profil.

Témoin d’une époque, Lee Miller a fait le portrait de la plupart des artistes de son temps (Man Ray, Charlie Chaplin, Salvador Dali ou encore la troupe de l’opéra « 4 saints in 3 acts » qui, sur un livret de Gertrud Stein a inspiré le « Porgy ans Bess » de Gershwin ). Elle a parfois aussi immortalisé leurs œuvres, effectuant par exemple un travail comparable à celui de Brassaï sur Picasso avec les sculptures de Joseph Connell.

 

Peu nombreux, et semble-t-il jamais répétés, ses clichés donnent à voir sans saisir ou objectifier ses sujets. Cette vérité est évidente dans les œuvres surréalistes de Lee Miller (dont la fameuse « mai qui explose » de 1930).

Elle est aussi omniprésente dans les photos de voyage décidemment non orientalisantes de la Roumanie et du Caire, où Lee Miller a vécu quelques années avec son mari. Fallait-il une femme derrière l’appareil pour donner à la photographie cette unicité non reproductible ?

Son art de la suggestion culmine en tout cas dans les reportages qui ont été confiés à Lee Miller par Vogue dans les années de guerre. Ses clichés des préparatifs anglais à la guerre (« Femmes équipées de masques contre des incendies », 1941), d’un garde SS mort noyé dans un canal, du Berghof après la mort du Führer, où elle se photographie elle-même dans la baignoire d’Hitler, et surtout de la libération des camps de Buchenwald et de Dachau sont absolument époustouflants. L’exposition rappelle que les reportages de Lee Miller sont aussi accompagnés de textes de l’artiste, dont le fameux « German are like this ! ». 

Présenté simplement, de manière chronologique, « L’Art de Lee Miller » permet aux parisiens de voir grandeur nature des œuvres mythiques, de se laisser encore et encore surprendre par l’actualité brûlante de la « beauté convulsive » de ces photographies, et d’avoir un peu la nostalgie d’un temps où Vogue commandait des reportages d’aussi grande qualité.

Jusqu’au 4 janvier, Jeu de Paume, Place de la Concorde, Paris 1ier, mar-dim 12h-19h, 6 euros (TR 4 euros). Notez que le premier mardi de chaque mois, l’entrée du Jeu de Paume est libre pour les étudiants.

Crédits photographiques : Lee Miller Archives, England 2008. All rights reserved. www.leemiller.co.uk

Fiac, 35 édition
Eric-Emmanuel Schmitt, Ulysse from Bagdad
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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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