Marché de l'art
Vendre de l’art en ligne, les galeries passent au XXIe siècle

Vendre de l’art en ligne, les galeries passent au XXIe siècle

22 October 2015 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Le Rapport de l’assureur Hiscox sur le marché de l’art en ligne 2014 pointe un changement de pratique éloquent : “Les résultats de cette année mettent en lumière des modifications radicales dans la manière de découvrir et d’acheter des œuvres d’art. Ces changements offrent des opportunités importantes aux plateformes de vente en ligne émergentes ainsi qu’aux marques établies dans le monde de l’art, où les acheteurs recherchent des sociétés et des marchands réputés qu’ils connaissent déjà. S’il n’est pas envisageable que les galeries et maisons de ventes aux enchères classiques sortent complètement du marché, le comportement des collectionneurs – en particulier les plus jeunes – en matière d’art en ligne les contraindra à repenser leur stratégie en vue de séduire et de fidéliser la prochaine génération d’acheteurs et de collectionneurs.” Forcé de constater que derrière le vocable “marché de l’art” se cache une diversité de pratiques et de conceptions même de point de vues. Vernissage virtuel.

Artsper : une communion de galeries

Le fondateur d’Artsper, François-Xavier Trancart nous raconte : « Artsper c’est le premier site de vente d’œuvres d’art en ligne sélectionnées par des galeries partenaires. C’est une galerie des galeries en ligne permettant à tous d’accéder à des milliers d’œuvres d’art en quelques clics.» Le site est né en 2013 suite à un constat, celui d’un essoufflement progressif de la vente physique. Il ajoute « Artsper fait le pari de la démocratisation et de l’accessibilité communautaire instantanée et sans limites. ». Les galeries sont « minutieusement sélectionnées par notre comité d’experts composé d’acteurs de l’e-commerce et du monde de l’art tels que l’ancien Ministre de la Culture et de la Communication, Renaud Donnedieu de Vabres ou encore Philippe Charpentier, directeur de la galerie Mor Charpentier. » Sur la question de savoir si on peut comparer les métiers de galeriste “réel” et “virtuel” ? François-Xavier Trancart surprend : Nous n’avons absolument pas les mêmes rôles » Il développe : « D’ailleurs, Artsper n’est pas un “galeriste” au sens traditionnel du terme. Un “galeriste réel” est en contact avec les artistes et fait un travail de promotion et de suivi de son travail. Artsper se situe en aval et fournit aux galeries les moyens d’atteindre un plus grand nombre de personnes aux profils plus divers, ce qui accroît leur visibilité et celle de leurs artistes en France et à l’étranger. Nous faisons essentiellement un travail de communication et de promotion en ligne dans une démarche de démocratisation de l’art contemporain. »
Il s’agit donc de démarches complémentaires: Artsper n’existe pas sans les galeries, et celles-ci bénéficient énormément de la visibilité que nous leur apportons et du phénomène de décloisonnement de l’art contemporain dont nous sommes un acteur clef.

Amazon : l’art en wishlist

Amazon vend tout, alors pourquoi pas aussi des Banksy ? Depuis 2013, le géant du commerce en ligne propose également une immense collection d’œuvres : lithographies, screen-shot… Comme le notait le rapport Hiscox, la vente d’art en ligne est en expansion. L’acheteur n’a plus besoin semble-t-il d’être en lien direct avec le galeriste. Amazon vous propose de choisir de la même façon que vous achèteriez des paires de collants : fourchette de prix, type d’œuvres… artistes émergents ou célèbres. Du côté du walk of fame, Wahrol, Jeff Koons ou encore Roy Lichtenstein… Pour peu que vous ayez un compte premium, l’achat de l’œuvre se fait en 1 clic.

Une place de marché

Ce qu’apporte la part numérique, c’est un changement radical dans la perception du métier. Le mot  “galeriste” ici, nous venons de le voir semble être obsolète.

Nous rencontrons à ce propos Mathilde Le Roy, fondatrice de KAZoART.
KAZoART est une place de marché qui permet d’acheter en ligne des oeuvres d’art originales en direct des meilleurs ateliers d’artistes, le tout à des prix abordables. “L’idée est partie du constat que lorsqu’on est amateur d’art et qu’on n’a pas nécessairement une connaissance approfondie du marché de l’art, ni un budget élevé à y consacrer, l’expérience proposée en galerie d’art est pour le moins intimidante. Et en face de cela, il existe de très nombreux artistes qui n’arrivent pas à être représentés en galerie et à vendre leurs oeuvres, alors même qu’ils ont du talent et qu’ils proposent leurs oeuvres à des prix abordables”
KAZoART vient donc dénicher des talents et les donne à voir. Pour les trouver, l’équipe s’appuie sur “KAZoART s’appuie sur un comité d’experts du monde de l’art (collectionneur, professeur en école d’art, curatrice), qui nous aident dans le repérage des artistes. “Notre site www.kazoart.com a été lancé il y a un peu plus de 6 mois, et nous proposons déjà près de 110 artistes, et 2500 oeuvres d’art originales, dont 80% se situent en deçà de 1000 euros.”Étonnamment, le site a une version réelle : “nous proposons 2 à 3 fois par an des expositions physiques dans des lieux ouverts et accueillants, où nous présentons quelques-uns de nos artistes. C’est aussi l’occasion de favoriser le lien direct entre l’amateur d’art et l’artiste, qui est toujours un moment fort. Notre prochaine exposition aura lieu au Patio Opera, Restaurant Bar lounge dont la directrice des très amatrice d’art, du 3 au 13 décembre prochain. L’expo s’appelle #PickYourART, avec un concept original : nous invitons notre communauté à voter parmi nos artistes pour désigner les 4 artistes qui exposeront lors de l’événement.”

Une vitrine de plus

La galerie Art Ligue est une galerie « classique », située dans le Marais. Elle propose des expositions temporaires, comme en novembre prochain, celle du photographe Geoffroy de Boismenu qui a shooté les plus grandes stars du Hip-Hop. Mais la galerie possède un site web qui déborde des cadres. Barbara Chwast explique : Nous pouvons dire que souvent, les clients parisiens préfèrent se déplacer pour découvrir les images sur nos murs. Pour les ventes plus lointaines, nous constatons que nos clients nous accordent leur totale confiance ! C’est un énorme plaisir et de plus, nous n’avons jamais eu la moindre réclamation ! Je pense que cela est dû au fait que la collection Art Ligue comprend pour la majorité des artistes reconnus sur le marché de la photographie internationale et que nous sélectionnons soigneusement toutes les œuvres éditées souvent avec la participation de commissaires invités. Ceci parce qu’il est enrichissant de partager nos regards. Il est aussi notable que nous sommes intransigeants sur la qualité de nos éditions. Il y a une seule proposition d’encadrement sur le site correspondant au choix personnel de l’artiste. Nous proposons au client de nous contacter pour tout autre choix . »

Réinventer la galerie

Présente à la Slick, la galerie Laffy Maffei  a la particularité d’être 100% numérique. Laetitia et Frédéric Maffei nous racontent : « Nous avions créé le musée Passager et nous avons rencontré beaucoup d’artistes travaillant la matière numérique ». Ici un mur est occupé par les sculptures antiques et forcement numériques d‘Alexandra Gorczynski qui compose uniquement sur ordinateur. Son travail qui s’inspire de l’histoire de l’art questionne : qu’est-ce qu’une œuvre d’art aujourd’hui ? Laetitia Maffei répond :

« C’est une œuvre reproductible ». Pour la Galerie Maffei, c’est en reproduisant une oeuvre, c’est-à-dire en mesurant son audience à la façon dont un média prend sa température en nombre de fans sur Facebook qu’une oeuvre prend de la valeur.
Mais comment garder l’unicité des œuvres ?  Les toiles sont ici tout à fait adaptables aux murs de votre maison. Vous pouvez acheter l’oeuvre ou bien en être actionnaire et ainsi toucher des dividendes lors de sa vente. Cette galerie au modèle très original vient apporter une intéressante démarche de politique culturelle en désacralisant la matérialité.

Il y a donc une diversité foisonnante offerte par la vente d’œuvres en ligne.   Mathilde Le Roy offre une définition qui nous semble juste de cette nouvelle pratique :

“Le Web apporte de nombreux avantages et contribue largement à démocratiser l’achat d’art. En effet, il  permet d’abord en effet une grande transparence dans les prix, une profondeur d’informations sur les artistes, les œuvres, etc. Le fait de ne pas être limité par 4 murs permet aussi d’élargir la sélection, et donc d’avoir une profondeur et une diversité dans le catalogue d’ œuvres et d’artistes. Les outils de navigation, de recherche par critères (taille, prix, sujet, technique, …) facilitent également l’approche, et permettent au final de trouver plus aisément un artiste ou une oeuvre qui correspond à ses propres goûts. Enfin, le Web est aussi beaucoup moins intimidant pour un néophyte ou quelqu’un qui n’est pas forcément à l’aise avec l’idée de pousser la porte d’une galerie ou de poser des questions au galeriste. Paradoxalement, même s’il n’y a pas de contact humain physique, le Web permet d’être très réactif dans la réponse aux questions que peut se poser le visiteur, voire même d’interagir directement avec l’artiste, dialoguer avec lui avant l’achat, ce qui sera prochainement possible sur KAZoART. C’est donc une expérience finalement très humanisée, et peut-être plus authentique, où l’on recherche vraiment ce que l’on aime plutôt que le paraître ou l’étiquette de tel ou tel artiste coté.”

 Visuel : ©Amazon

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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