Arts
Jean-Michel Othoniel une rétrospective Mid Way au Centre Pompidou

Jean-Michel Othoniel une rétrospective Mid Way au Centre Pompidou

02 March 2011 | PAR Yaël Hirsch

L’artiste représenté à Paris par la Galerie Perrotin et connu pour son “Kiosque des Noctambules” (2000) de la bouche de métro Palais Royal retrace son parcours en une “mid-carrier rétrospective” de 80 œuvres dans l’exposition “My Way” au 4e étage du Centre Pompidou. Ces dernières sont regroupées en 9 salles qui progressent en ordre chronologique en fonction des matières que l’artiste a décidé d’explorer et qui fonctionnent comme  des paquets cadeaux dans lesquelles l’artiste offre sa trajectoire. Jusqu’au 23 mai 2011.

Qui aurait pensé que derrière les boules de verres colorées des sculptures oniriques de Michel Othoniel se cachait une blessure profonde? Avant de découvrir le verre de Murano, de le “cicatriser” et de lui donner un aspect sensuel avec “l’envie de lécher”, Jean-Michel Othoniel a expérimenté les matières les plus précieuses et sensibles comme le papier de soie pour la photo, le soufre, le phosphore, l’obsidienne et la cire. Tout commence par une blessure à vif, incarnée par “L’autoportrait en robe de prêtre” (1986, salle 1). Le vêtement blanc immaculé qui pend comme un Kounellis ou un Joseph Beuys se réfère à un évènement dramatique mais qui demeure secret. A partir de là, toutes “mes œuvres fonctionnent comme des autoportraits”, explique l’artiste. Dans ses derniers travaux d’école aux Beaux-Arts de Cergy, l’artiste expérimente “Les insuccès photographiques” (1987-1988), et se réfère aux débuts hasardeux de cet arts pour brouiller les couleurs et les matières de lumières emprisonnée sur du papier de soir auquel il ajoute parfois des motifs en 3D, volontiers des papillons, comme dernier extrait de la boîte de pandore.

En 1988, alors qu’Othoniel commence à créer des installations post-surréalistes, il découvre le soufre. La polysémie de mot (soufre-souffrance) et sa matière jaune, fascinante et visqueuse de liquide précipité permet à l’artiste de travailler sur l’attraction/répulsion de la chair, sans jamais se départir de mots d’esprit. Ainsi, dans un esprit très Duchamp, “L’Âme moulée au cul” (1989, salle 2) est un moulage en soufre d’un cul de bouteille qui représente bien la fascination ironique et dérangeante d’Othoniel pour la matière. Elle le pousse à collaborer pour la première fois avec le monde de la Recherche et de l’Industrie, puisque c’est auprès d’Elf-Aquitaine qu’il trouve de l’aide pour travailler cette nouvelle matière. Avec le soufre, le corps se fragmente, comme dans les photographies des “Femmes intestines” démantelées du tableau “La Grande Baigneuse” d’Ingres et peintes au phosphore. Petit à petit , les installations se font sculptures, qui interrogent notamment la question du genre et permettent à Othoniel de se faire remarquer à la Documenta 9 de Kassel en 1992. Ainsi, des “Tits paintings” où des tétons en soufre débordent la toile, ou encore du monumental autoportrait sculpté en négatif dans la soufre “L’Hermaphrodite” (1993, salle 4). s’engageant dans des domaines traditionnellement réservés aux femmes (broderie, perles…), Othoniel fait vivre par des happenings et des films son drap brodé “Glory Holes” (1995, salle 5) et surtout son bouleversant “Collier Cicatrice” (1997, salle 5), enfilage de perle rouges que l’artiste a fait porter par de nombreuses personnes afin de commémorer l’artiste Felix Gonzales(Torres, mort du sida, un an plus tôt.

C’est une nouvelle matière qui engendre le tournant radical de l’art de Jean-Michel Othoniel. Lors d’un voyage aux îles Eoliennes, le plasticien découvre l’obsidienne, sorte de verre naturel et volcanique noir. Avec l’aide du centre de recherche du verre de Marseille et l’iade de Saint-Gobain, Othoniel parvient à sculpter cette matière rare et précieuse et lui donne la forme de l’île de Stromboli dans “Le Contrepet” (1992, salle 6). En 1997, l’artiste se penche à nouveau sur le verre, et commence à travailler avec les maîtres de Murano pour sculpter et colorer cette matière en y laissant des impuretés s’y “cicatriser” et en le travaillant de manière “pasolinienne”, dans des formes équivoques, entre minéral, végétal et sexuellement humain. Dès lors, l’œuvre de Jean-Michel Othoniel prend l’aspect onirique et joueur que les parisiens qui descendent à la station de métro Palais-Royal lui connaissent, devant la Comédie Française. Poétique, mystérieuses mais aussi spirituelles dans leurs titres, les grandes sculptures en verre de Jean-Michel Othoniel inventent un monde merveilleux, que l’on s’embarque à bord de son “Bateau de larmes” (2004, salle 7), le rejoigne dans “Mon Lit” (2003, salle 8), ou participe à sa physique de la poésie en comptant ses heures joyeuses ou tristes sur le grand bouliers du “Diary of Hapiness” (2008, salle 8). Parfois, ces rêves prennent la forme d’associations libres, volontiers lacaniennes, comme le prouvent les deux “Noeuds de Lacan” (“Le double nœud de Lacan” ayant été réalisé cette année pour l’exposition My Way).

Chez Othoniel, le monde s’enchante, et le verre cicatrisé invite à un voyage magique dans les couleurs chatoyantes d’une vie rêvée. Mais ce rêve (que les enfants sont particulièrement amenés à expérimenter à l’autre espace d’exposition imaginé par l’artiste pour au Centre Pompidou – voir notre article) repose toujours sur un fondement douloureux, les boules merveilleuses de verre chatoyant d’Othoniel ne dépassent pas la castration et le manque, elles y prennent racine. C’est là toute la force de son art, qui se nourrit de la question de la douleur pour la transmuer en solide échafaudage du rêve.

photos :
1) (grand angle) Diary of Happiness, 2008, Verre de Murano, bois laqué. 206 x 348 x 33 cm © Jean-Michel Othoniel/Adagp, Paris 2010, Courtesy Galerie Perrotin, Paris Photo : Mariano C. Peuser
2) Hermaphrodite, 1993. Sculpture. Soufre, coquilles d’escargot. 41 x 165 x 60,5 cm. © Adagp.
2) Le Bateau de larmes, 2004, Verre de Murano, métal, bois – 345 x 535 x 215 cm © Jean-Michel Othoniel/Adagp, Paris 2010, Courtesy Galerie Perrotin, Paris

Serge Gainsbourg et le Reggae
Chagall et la Bible au MAHJ
Avatar photo
Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

One thought on “Jean-Michel Othoniel une rétrospective Mid Way au Centre Pompidou”

Commentaire(s)

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration