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Jan Fabre délivre les reliefs des ombres de l’heure bleue (Interview au MAM de Saint-Etienne)

Jan Fabre délivre les reliefs des ombres de l’heure bleue (Interview au MAM de Saint-Etienne)

04 March 2012 | PAR Bérénice Clerc

L’heure bleue période du temps entre la nuit et le jour où le ciel se remplit presque entièrement d’un bleu profond plus foncé que le bleu ciel du jour.

Jan Fabre délivre à merveille les reliefs de l’heure bleue avec un stylo Bic bleu habilement utilisé. Une prouesse multiple mise en valeur par l’espace gigantesque et la scénographie de cette exposition jusqu’au 28 Mai 2012 au MAM de Saint- Etienne.

Entre chien et loup, Jan Fabre prend un simple stylo bic et par la magie de sa beauté intérieure transcende le bleu et fait naitre une matière impalpable, invisible et réelle, absolue et dissoute dans un bleu moins profond.

Le ciel est de plus en plus bleu à mesure qu’on s’éloigne de la direction du soleil, résultat de la sélection par la loi de Rayleigh des ondes du spectre visible. Voilà pourquoi le ciel est bleu en plein jour et le Soleil rouge à son lever et à son coucher.

Petit garçon Jan Fabre, loin de la diffusion Rayleigh, voit des ombres sur le ciel de son lit, au plafond, elles dansent et créent des formes mystérieuses, imaginaires et absolument réelles.

Plus tard il décide de prendre un simple stylo à bille bleu et de coucher sur du papier, du tissu ou des objets les visions métaphoriques de l’heure bleue.

Le Musée d’art Moderne de Saint-Etienne rassemble les œuvres créées entre 1977 et 1992, années de  l’heure bleue.

Immense musée posé là comme un monolithe de Tapiés aux abords de la ville de Saint-Etienne, à la programmation exemplaire et internationale offre ses murs à ces œuvres gigantesques au cœur de l’œuvre phénomenale de Jan Fabre.

Unique en son genre Jan Fabre réussit à briller dans tous les domaines qu’il touche de près ou de loin. Son travail et sa passion ne tarissent jamais d’exigences en peinture, sculpture, mise en scène, écriture ou chorégraphie.

L’entrée du MAM de Saint-Etienne est habitée par des toiles géantes créées par l’artiste pour l’occasion. 12 panneaux puissants « le pouvoir et la mort de l’heure bleue ». Un bleu profond d’où naisse des cerfs d’oiseaux, yeux dominateurs attirants et effrayants à la fois, sous le joug de la bête l’Homme semble bien faible. Comment un simple stylo Bic peut-il donner autant de profondeur, de sensualité, de douceur et de mystère ?

Il faut plonger dans ce monde bleu unique, instant fugace, frontière du rêve, passage vers l’au delà transgression sans limite où Jan Fabre entraine le spectateur. Petits et grands formats se rencontrent, supports bon marché comme le papier, immenses toiles de tissus, boîtes à chaussures, maisons mortuaires, vidéos, lits, envahis par les lignes du stylo bille, habités par des formes simples ou complexes, animales, figuratives ou totalement abstraites.   Un fleuve d’œuvres bleues aux effets uniques.

D’œuvre en œuvre, l’univers poétique et sensible de ce créateur hors norme, livre les fantasmes, les métaphores, les paysages virtuels du monde de Jan Fabre.

La vision est bousculée, le regard voyage de lumières en pigments, au rythme du silence de l’onde magnétique créée par la multiplicité des reliefs et des couleurs. Insaisissables dessins, ectoplasmique réalité, part sombre ou douceur inextinguible de l’Homme. Impossible de décrire les contours d’une toile, le mouvement est permanent les immenses draps sont lisibles des deux cotés et leurs vibrations dansent la matière bleue en d’imperceptibles changements.

Des insectes se glissent sur les toiles pour illuminer de leurs pigments. Des épées sortent de la nuit, les titres engagent vers des voies parfois mystiques, les opposés s’attirent et se repoussent dans une danse monochromique nocturne et lumineuse. Par delà l’image, Prométhée dévoile le secret des flammes, Jan Fabre suit les insectes à la trace pour dessiner ses blessures, ses peines, ses souffrances, ses angoisses, remplir le vide, habiter l’espace, vaincre le temps, transcender la matière et la couleur dans une blessure universelle.

Contraintes, gestes, arrachement du relief, déchirure de la couleur, dessins sculptures, vidéos dessins, métamorphose minuscule, œuvre gigantesque, corps à corps de l’artiste avec la beauté, la subversion et l’obscénité de la vie humaine qu’il marque au fer rouge et bleu de la liberté.

Un monde disparaît laisse naître un autre monde et ainsi de suite, ils nous précèdent, nous les suivront, invisible d’abord, l’Homme prend chair puis disparaît à nouveau pour ne laisser que les traces des photos ou des rêves de vivants porteurs de souvenirs.

Jan Fabre dessine des contours multiples et crée un espace fascinant, celui du rêve, où règnent la peur, le désir, la sensualité, l’inacceptable, l’entre deux, les morts, la douceur, l’inexplicable, le réel impalpable et la profondeur abyssale sans limite ni espace temps.

Entre l’ombre et la lumière, aux frontières du jour et de la nuit, par delà la vie et la mort, Jan Fabre matérialise l’existence.

Une exposition à voir d’urgence, à peine quelques heures de train séparent ce superbe musée de Paris.

Vous pourrez également y voir d’autres artistes et la superbe et puissante installation vidéo de Kimsooja : A Needle woman dans laquelle, cette Coréenne prend le risque de se filmer dos aux spectateurs, au milieu de villes en plein conflit, telle une immatérielle aiguille plantée dans le réel au milieu « d’une botte de gens » au ralenti.

Parlez-nous de ce travail, des années de L’heure bleue.

Je suis d’abord très ému de retrouver des pièces si anciennes que je n’avais pas revues depuis tant d’années. Les voir ensemble me touche beaucoup, elles sont toutes là, c’est impressionnant.

Comment avez-vous commencé ce travail au stylo Bic ?

Quand je suis sorti des beaux arts, je n’avais pas beaucoup d’argent, le stylo à bille était peu cher, je pouvais même en piquer à droite à gauche et un immense papier pouvait me suffir pour produire, le jour, la nuit, je me laissais guider par la trace du crayon ou je suivais les mouvements d’insectes posés sur la toile pour remplir l’espace vide de ce bleu si particulier.

Le bleu Bic est multiple, il a plusieurs couleurs, il réagit à la lumière, il a un peu d’argent dedans, chaque jour il se colore différemment, plus rouge, plus bleu, argenté, lumineux, dense…

Pour vous que représente l’heure bleue  ?

Il s’agit du moment ou tout bascule, tout est possible, c’est obscène, très obscène, les corps, les objets, les reliefs, les esprits apparaissent tout doucement de façon à peine perceptible.

Petit dans mon lit,  j’aimais observer les formes dessinées par les ombres au plafond.

Certaines formes sont nées de l’étrange, d’autres plus maladroites sont griffées, arrachées aux limbes. Mes dessins peuvent devenir des sculptures, mes vidéos des dessins, l’heure bleue offre toutes les libertés. J’aime les animaux, les observer, les ajouter à mes toiles, les faire naître de la couleur, sortir de la toile.

Ce travail est-il différent du reste de votre œuvre ?

Tout est pareil, tout se rejoint, l’amour de la beauté, de l’art fait naître la peinture, la sculpture, le théâtre, la danse ou l’écriture…

Comment créez-vous ?

Je produis tout le temps, toutes les nuits je remplis des feuilles, je sculpte des objets, des toiles, je dessine ou j’écris mais l’encre se dépose tous les jours sans limite.

Moi et la mer de Weddell d’Arnaud Tiercelin
Joyce Maynard nous présente Les filles de l’ouragan
Bérénice Clerc
Comédienne, cantatrice et auteure des « Recettes Beauté » (YB ÉDITIONS), spécialisée en art contemporain, chanson française et musique classique.

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