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[Interview] Wolfgang Tillmans : « la photographie est un outil qui enregistre nos pensées avec une grande précision »

[Interview] Wolfgang Tillmans : « la photographie est un outil qui enregistre nos pensées avec une grande précision »

23 April 2015 | PAR Hugo Saadi

Exposé en 2002 au Palais de Tokyo ou à l’Hamburger Bahnhof de Berlin en 2008 dans le cadre d’une première grande rétrospective, le talentueux photographe allemand Wolfgang Tillmans se pose à Paris. Il est exposé à la Galerie Chantal Crousel jusqu’au 23 mai. Nous l’avons rencontré à cette occasion.

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Dans votre nouvelle série « Lignine Duress », on découvre des arbres démembrés. L’acte de transformation est souvent au cœur de votre travail.

Oui. Je conçois deux actes de transformation. Le premier c’est celui qui vient naturellement, traduire ce que je vois comme une discussion de la 3D vers la 2D, entre ce que le regard capte et ce qu’il y a dans mon esprit. C’est là que nait le désir d’en faire une photographie afin de traduire et communiquer ces pensées. Le second réside dans la façon dont on perçoit les choses du monde. Tout est dans un changement perpétuel et c’est ce qui est le plus intéressant. Quand je vois un objet, je ressens une sensation et je me demande « Comment cet objet était-il hier ? », c’est le cas avec ces arbres qui ne sont plus dans leur état naturel. Pour les vêtements, ce questionnement est le plus intriguant.

Parlez-nous de votre second nouveau projet « End of broadcast» et « Weak signal » ?

J’ai capturé l’instant où les chaînes de télévision arrêtent leurs programmes. C’est quelque chose qui n’existe plus désormais, mais cette sorte de neige qui vole dans l’écran a été présent pendant longtemps. Et elle a fasciné beaucoup de personnes.

Y-a-t-il un message derrière ?

Si j’avais commencé mon travail avec un message en tête cela n’aurait pas été un travail libre mais simplement ce message et rien d’autre. Ce n’est donc pas intéressant. Je m’intéresse aux arts politiques, ceux qui portent un message, mais je pense que cela doit être ancré dans quelque chose avec une liberté visuelle beaucoup plus forte. Les gens pensent que ces photographies abstraites sont expérimentales, mais finalement ce sont celles des arbres qui le sont le plus. Des amateurs peuvent prendre ce genre de photo.

Quand je vois les choses je me demande si c’est possible de les photographier. Ici avec les coupures des télés, il y avait un événement naturel sous mes yeux, le signal analogue où le temps semble suspendu où vole cette neige. C’est également l’image d’un état de communication qui résonne comme un malentendu et on pense également à une potentielle censure._DSC8367

Les photographies de la série « Weak Signal » sont différentes. Il y a quelque chose de particulier dedans que l’on ne reconnaît pas de suite. A l’instar du travail avec les arbres, on ne sait pas où cela se situe, c’est ce qui m’intéresse et pour moi ces deux travaux sont d’une certaine manière liés entre eux. Ils décrivent avec une précision et une acuité technique un moment aléatoire, que l’on n’identifie pas spécialement.

Allez-vous poursuivre votre réflexion photographique dans le domaine de l’abstrait ?

Avec ma série de photos sur le Concorde j’avais déjà pénétré dans ce domaine. Ce sont des travaux similaires dans un sens où ils sont ancrés dans un langage abstrait tout en étant réel. C’est ce dialogue entre les deux états qui m’intéresse le plus. Dans le même registre que mes écrans de télévision, on pourrait penser aux peintures de Pollock. Bien évidemment ce n’en est pas et je ne veux pas y ressembler.

D’ailleurs, avez-vous des influences, des inspirations lorsque vous travaillez ?

Non. Enfin je n’ai jamais eu l’impression d’avoir voulu être comme quelqu’un, parce que je trouve toujours que tu ne peux pas dépasser tes idoles par derrière. Tu dois toujours venir par le côté en cherchant un angle surprenant que toi-même tu ne connaissais pas. Tu te dois presque d’être surpris par ta découverte que tu ne peux pas prévoir !

Quand on parle de vous, on associe rapidement les noms de Terry Richardson, Juergen Teller et même Larry Clark. Les validez-vous ?

Je peux comprendre toutes ces comparaisons. Mais quand l’on regarde ce que j’ai pu faire durant ces vingt dernières années, je dirais qu’il y a 5% de mon travail où il y a des connotations sexuelles. Je reconnais peut être quelques similitudes avec Terry Richardson,mais disons pas plus que 3% ! Avec Larry Clark c’est très diffèrent tout comme Juergen Teller. Je pense que la raison qui pousse à faire ces comparaisons c’est que mon travail a eu une forte influence sur la photo de mode, bien que je n’y ai jamais vraiment travaillé. Je ne suis pas contre ces associations mais je ne me sens pas proche de leurs travaux.

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Quelle est votre relation avec les nouveaux réseaux sociaux comme Instagram qui permettent à n’importe qui de devenir photographe amateur et de partager ses clichés ?

La chose la plus fascinante avec la photographie, c’est que les gens pensent que c’est un simplement un moyen de communication purement mécanique, mais je l’ai toujours appréhendé avec un aspect sociologique fort. C’est un outil qui enregistre nos pensées et nos idées avec une grande précision. Parmi des centaines de photos, je pourrait reconnaître celles de Jeff Wall ou de Terry Richardson à des kilomètres. Et même les copies ! (Rires).

Cependant, je ne dis pas pour autant qu’il y a des travaux dénués de sens. Sur Instagram, il y a aussi des gens qui comme moi prennent en photos des fruits sur une table et les ressentent de la même façon que moi quand j’ai fais ce genre de photos. Et ils ne se disent pas « je vais copier Wolfgang Tillmans ». (Rires)

À l’heure actuelle, tout le monde tout le monde vis sa vie à travers l’objectif de son smartphone …

CRI_258659C’est vrai et c’est fascinant de découvrir cela. Tout change chaque jour, pas seulement nous, mais les paramètres qui nous entourent. Mes photos ont changé aussi, ce ne sont plus les mêmes qu’au début de ma carrière. Il y a 25 ans j’ai fait un autoportrait appelé « Me in the shower », désormais on appellerait ça un selfie, à l’époque cela n’existait pas. Et je continue d’en faire encore aujourd’hui !

Plus d’informations sur le site de la Galerie Chantal Crousel.

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Visuels © Adrien Toubiana et Thomas Cristiani pour Toute La Culture.

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Hugo Saadi

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