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Marie Obegi, portraitiste de l’identité fragile

Marie Obegi, portraitiste de l’identité fragile

29 July 2015 | PAR Yaël Hirsch

Exposée dans sa ville d’élection, New-York, jusqu’au 15 septembre avec d’autres jeunes artistes montants “Emerging to Established” à la Gallery Krause, dans le Lower Eastside, la parisienne Marie Obegi est actuellement en résidence au Liban. Travaillant aussi bien le dessin que la matière, elle nous a reçu dans son atelier d’Alphabet City où elle sortait d’une magnifique série elle aussi exposée à New-York “Minuit Bleu”. Rencontre avec une artiste surdouée qui réfléchit sur l’art du portrait et de la narration à l’heure narcissique où l’on se présente sous tous les angles -mais toujours choisis – sur les réseaux sociaux.

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Quand on entre dans son atelier new-yorkais, on trouve avant tout beaucoup d’eau minérale dans son grand frigo américain, ses toiles aux cents formes et milles facettes; et aussi  beaucoup de livres : Marie Obegi est entrain de terminer un Master qui interroge la manière dont on a pu considérer les femmes artistes dans l’histoire “Comme femme artiste tu n’as pas de modèle, il n’y a pas de filiation, tu dois écrire ta propre histoire”, explique-t-elle. Des histoires, elle en écrit beaucoup, et notamment celles des personnages de sa série Minuit Bleu,“une légende d’amours finissantes” (a Tale of ending romance en VO), qui vient accompagnée d’un petit livre où les personnages en rupture se mettent à prendre vie et parole.

Diplômée de la prestigieuse école d’art de Parsons, Marie Obegi a commencé par faire des illustrations. Mais dès l’origine, “il y a toujours eu une grande dimension narrative dans (s)on travail”. “Tous les personnages que je dessine ont une histoire”, explique-t-elle. Pour les héros de la série Minuit bleu, elle  commence par un dialogue avec ses modèles : des hommes et des femmes repérés dans la “vraie vie” et dont l’expression ou les traits correspondent à un de ses personnages : “Je suis allée les voir en leur expliquant ce que je faisais”. Une fois la démarche expliquée, elle n’exige pas de temps de pose ou de dialogue approfondi. Elle demande “juste accès aux photos de leurs réseaux sociaux”. Précédant Richard Prince et le fameux scandale des “photos volées sur instagram” (voir notre article) dans la démarche d’aller chercher des portraits sur les réseaux sociaux, Marie Obegi conserve la politesse de demander la permission à ses modèle, quand elle représente leur image.

Objets esthétiques, de par leur origine, ses œuvres au trait sensuel, aux couches multiples et aux matières nobles offrent donc également une réflexion lucide sur la manière dont les nouveaux médias vient impacter nos vies et nos images : “Ce sont des outils qui nourrissent nos pulsions scopiques sur la vie des autres. Comme tout est ouvert, à partir des photos, on peut se pencher sur des semaines et semaines de la vie d’une personne. Les éléments sont nécessairement partiels mais on peut reconstruire une histoire et c’est ce que je fais en scrollant”, observe la jeune-femme.

Tout commence donc par l’imagination : “J’ai toujours eu des histoires sur des personnalités. J’imaginais leurs histoires quand je dessinais en classe. Je ne suis pas un écrivain et je suis fascinée par cela : tu t’assois dans un bus et tu imagines la vie de quelqu’un. C’est ce que j’aime. C’est le residu de la présence de quelqu’un. Je suis inspirée par les gens pour imaginer ensuite leurs histoires”.

Une fois le travail de reconstitution d’image à partir du profil instagram ou twitter qui l’intrigue, Marie Obegi brise les idoles. Systématiquement elle casse le support pour reconstituer un autre portrait, à vif. Pour elle, “Il s’agit doublement d’un travail de déconstruction : d’une part, j’interroge la manière dont on construit son identité et produit sa propre image. D’autre part, une fois que j’ai dessiné un portrait qui me plait et dont l’histoire me convient, c’est dur de devoir le briser pour le reconstruire. Et pourtant, c’est là que des choses arrivent, c’est là qu’a lieu une petite renaissance. Les morceaux sont remis en perspective et on remarque des détails qu’on n’aurait pas vus avec un portrait originel et intègre : les lèvres d’un modèle mis en avant dès le premier carré en haut à gauche. Des choses plus ou moins abstraites ce mettent à apparaître. Donc esthétiquement, c’est un vrai voyage”.

La série de portraits Minuit Bleu est complétée par une sorte de guide de voyage au pays de l’image.Véritable petit livre de fiction très moderne, mais inspiré par des grandes figures romantiques du passé, le booklet bleu livre les clés d’une intrigue où par de courts dialogues cross-medias (sms et dessins compris) l’on comprend quelle situation humaine a pu donner naissance à la rupture et au portrait brisé. Ce texte fin, littéraire et puissant vient donner une autre dimension aux grandes mosaïques  reconstituées.

 “Ils ont tous leur histoire de ruptures inspirée par un exemple que j’aime, comme par exemple les amants Arthur Rimbaud et Paul Verlaine. Ou Auguste Rodin parlant avec Marcel Proust. Il y a aussi la dramaturge Sarah Kane, qui a été internée dans un hôpital psychiatrique et s’est donnée la mort. Ou encore Salvador Dali et Gala, Paul Eluard, William Burroughs ou Max Ernst. Souvent je transforme les noms, sur un mode un peu potache : par exemple “Andy Crêpe” est André Breton. Le choix des personnages suit un fil rouge personnel. Arthur a rompu avec Verlaine qui lui tire dessus. Plus tard William Burroughs a tiré sur sa femme… Dans mon esprit, ils ont des connections. Et les personnages se répondent en écho, parfois selon des textes pas toujours compréhensibles tout seuls”.

A force de raconter et de croiser les ruptures la série Minuit bleu était désormais “une histoire complète, terminée”. Mais il y a une autre série qui fonctionne sur le même modèle de narration et de déconstructions de portraits sur les réseaux sociaux : Volatile territories. Cette dernière est ” encore ouverte, en cours”. Et Marie Obegi a commencé une nouvelle série qui s’intitule Les altérés: “Cela parle de gens qui ont des troubles psychologiques mais sont toujours opérationnels. On dit aussi qu’ils sont borderline. Je ne sais pas encore à quel point ils seront altérés, pas tous mais certains iront très loin…

visuels (c) Marie Obegi

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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