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Vues d’en haut : Le centre Pompidou Metz interroge les mutations modernes de notre perspective

Vues d’en haut : Le centre Pompidou Metz interroge les mutations modernes de notre perspective

08 July 2013 | PAR Yaël Hirsch

 

 

 

 

 

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Des photographies de Nadar à celles de Yann Arthus Bertrand, “Vues d’en haut” est l’exposition-fleuve du Centre Pompidou Metz ce été. Sur plus de 2000 m², à travers plus de 500 œuvres classées de manière thématique  (en 8 sections où les deux guerres mondiales jouent un grand rôle), cette symphonie pluridisciplinaire pose la question de savoir comment et combien la possibilité de voir la terre depuis le ciel a modifié notre perception de monde et nos manières de le représenter. Une croisière passionnante sur la vision de l’espace de notre temps.

delaunayTout commence avec la Montgolfière (ou plus généralement l’aérostat). L’œil humain prend de la hauteur et les photos de Nadar à Paris ou celle de James Wallace Black à Boston en témoignent dès les années 1860. . L’essor de l’aviation donne plus d’ampleur à cette représentation de la terre vue du ciel, et les premiers décollage fascinent cubistes et surréalistes. L’exposition présente des œuvres tout à fait saisissantes de Robert Delaunay des années 1920 dépeignant le champ de mars parisien depuis le ciel. Dans la Même veine, Felix Vallotton voit Honfleur d’un tout autre œil que les surréalistes et le futurisme italien fait des vues plongeantes l’une des courroies de son accélération de la civilisation.

Clin d’œil à l’exposition 1917, la section suivante de l’exposition démontre que les vues des tranchées ont inspiré l’abstraction, la topographie plane de la terre meurtrie et des “orages d’acier” rappelant l’abandon de la perspective des toiles de Kandinsky ou Klee. Ne manquez pas le film époustouflant de l’armée montre un avion quitter Paris pour le front, les ruines et la destruction arrivant dans le champ de la caméra, puis les tranchées). Et, détail intéressant, le Bauhaus ayant emménagé à Dessau non loin des industries métallurgiques Junker qui produisaient également des cartes postales de vues du ciel, le lien établi entre abstraction et vues aériennes est solidement démontré.

C’est dans cette deuxième section que le visiteur découvre l’artiste hongrois qui sera le premier à théoriser l’impact des vues aériennes sur l’art contemporain : Lazlo Moholy-Nagy. Il est en effet le premier à parler d’une “nouvelle expérience de l’espace” et de montrer combien l’abandon de la ligne de fuite impacte la création de son temps. Mondrian et le mouvement De Stijl ont,sr ce point, beaucoup en commun avec le Bauhaus.

Lazlo Moholy-Nagy montre également que les vues du ciel brouillent non seulement la perspective, mais également le sens des proportions. Du coup, tout une série d’artiste réinterprètent la topologie plane en condensé de magie. Ainsi, par exemple, des photos de André Ketesz qui sortent du cliché d’un New-York vertical pour réenchanter les géométries de Manhattan.

pompidou metzAu 20ème siècle, qui dit “vue d’en haut” dit aussi point de vue dominant. Toute un section de l’exposition interroge la manière dont les idéologies totalitaires et fascistes se sont emparées de cette nouvelle perspective pour exprimer l’écrasement de l’homme par la masse (effet de foule) ou la technique (les villes se transforment en panoptiques pour aller jusqu’à des vues de Hiroshima et de Birkenau). Dans cette section dérangeante et magnifique trône l’énigmatique et oppressante photo “Pongyang” d’Andreas Gurky (2007) et par les architectures utopiques du Corbusier.

En grimpant un étage, on arrive à la deuxième partie de l’exposition, toujours thématiquement agencée, mais ici l’on sent bien qu’on quitte aussi l’art moderne pour se concentrer sur l’Après 1945. Un moment où prendre l’avion n’est plus destiné à une élite mais où petite à petits les classes moyennes ont régulièrement accès aux vues du ciel. Un lien fort est suggéré entre la topographie nouvelle des vues du ciel et la gestuelle de Polock au-dessus de sa toile. Dans ce sillage, l’exposition montre toute une série de toiles sublime, de Georgia O’Keefe et de Sam Francis.

L’avant-dernier thème est celui de l’urbanisation, où l’exposition montre, avec de magnifiques oeuvres de Ed Ruscha ou Wolfgang Tillmans à l’appui que la grande ville de la fin du 20ème siècle n’est plus New-York, l’altière concentrée mais LA, la dispersée.

Après un petit passage par le cœur du Land Art, “Vues d’en haut” se termine par un tournant de surveillance (frisant souvent la limite de la biopolitique) avec la thématique de la “supervision” qui renoue avec la domination fasciste, en plus “soft”, l’innovation google earth et les clichés populaires de Yann Arthus-Bertrand y côtoient des œuvres plus dérangeantes où la question de notre liberté – observés du ciel- se pose. En ce sens le grand mur de photos de caméra de vidéo-surveillance de Franck Thiel (1966) a un caractère menaçant et représente bien la note finale, étrangement inquiétante que délivre cette magnifique exposition.

Passionnante à de multiples points de vues, riches d’œuvres époustouflantes (venues des collection du Centre Pompidou, mais également d’autres grands musée du monde, “Vues d’en haut” pose une question philosophique et esthétique absolument cruciale. Et y répond avec suffisamment de rigueur et d’ouverture pour qu’on regrette de ne pouvoir y revenir plusieurs fois. Une toute grande exposition.

Photos:
affiche : Margaret Bourke-White travaillant en haut du Chrysler Building, New York, New York, 1935 © Photo : Oscar Graubner / Time Life Pictures / Getty Images
Robert Delaunay, Tour Eiffel et Jardin du Champs de Mars, 1922, Huile sur toile, 178,1 × 170,4 cm © Hirshhorn Museum and Sculpture Garden Smithsonian Institution, The Joseph H. Hirshhorn Bequest, 1981 Photography by Lee Stalsworth

Infos pratiques

Festival Musique sur Ciel
Théâtre des Halles
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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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