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“Vertiges” à Labanque, une clôture de cycle réussie

“Vertiges” à Labanque, une clôture de cycle réussie

10 September 2018 | PAR Antonin Gratien

Après “Dépenses” (2016) et “Intériorités” (2017), Labanque parachève le cycle de la trilogie “La Traversée des inquiétudes” pensée par Léa Bismuth avec une exposition fiévreuse en regard plongeant sur la poétique des vertiges. Du 8 septembre au 10 février 2019.

Avec Vertiges, Labanque mise encore une fois sur la mise en place d’une exposition contemporaine collective. Ainsi, 9 des 12 artistes présentés ont produit des oeuvres inédites dans le cadre de cette exposition directement inspirée de l’oeuvre littéraire de Georges Bataille.

Répartie sur 4 étages, l’exposition répond volontiers à une logique de verticalité qui entraînera le visiteur depuis les explorations sensorielles de l’altérité radicale jusqu’aux cimes des cumulonimbus – voire de l’extra-terrestre. Les choix scénographiques se révèlent ici d’une grande cohérence, et participent amplement à l’impression d’immersion pluridimensionnelle dans tout ce que le mot “vertige” peut contenir d’inconnu, d’inquiétant, et de jouissif.

Vertiges, le défi des rencontres

Chaque artiste, à travers le travail de son médium propre, élabore une articulation spécifique de ce concept. À la réflexion, il paraît d’ailleurs assez logique qu’une exposition axée autour du vertige joue autant sur la déclinaison des perspectives. Et que l’on se rassure tout de suite, ce que Vertiges a de bigarré ne sombre jamais dans l’écueil du “catalogue”. Les oeuvres sont riches de leur porosité, elles évoluent avec une certaine logique, et soulèvent par là des questionnements qui n’auraient pas pu être sans cette interconnexion.

À titre d’exemple, on découvre dès le rez-de-chaussée une cohabitation frappante entre l’agitation suette des travaux en caméra thermique d’Antoine d’Agata, et la plénitude abyssale des toiles de Claire Chesnier. Alors que le premier offre avec Acéphale un témoignage sériel de ses expérimentations du chaos ( violence de la misère sociale, usage de drogues, rencontre avec le monde des prostitués), la seconde présente dans Jours une réflexion portée sur l’activité même de la peinture – ici comprise comme une perte radicale de repère, un tournoiement indéterminé qui conduit au mystère. Ce jeu des différences et des complémentarités se poursuivra tout au long de la visite. Et c’est une réelle richesse, car ce choix nous empêche formellement de cloisonner notre perception dans approche unilatérale.

Une utopie des marges, le doute humain, la fulgurance de l’inventivité

Après le rez-de-chaussée, les spectateurs auront le loisir de découvrir les derniers travaux de Romina de Novellis : Luna Park. L’artiste napolitaine (qui avait d’ailleurs déjà été exposé dans le cadre d’Intériorités en 2017) a conçu pour l’occasion trois vidéo-projections dans la pénombre des anciennes salles d’archives du bâtiment. Romina de Novellis y organise une hétérotopie dans un parc d’attractions abandonné où LGBT+, queer, handicapés et personnels d’aide à l’accueil des migrants cohabitent tantôt dans une parade fantasque, tantôt dans une ronde tranquille. Cette métaphore d’un monde où l’acception de la différence va de soi fait immédiatement mouche grâce à une brillante mise en scène aux accents levinassiens autour de la vulnérabilité des corps, qu’il soit nu ou apprêté, fonctionnel ou mutilé.

Les deux autres étages de Labanque rassemblent un nombre assez impressionnant d’oeuvres inédites à ce jour. On y verra entre autres la flore éclatante de Bruno Perramant (dont certains avaient peut-être déjà vu le travail dans l’exposition Voyage au Centre de la Terre), la vidéo expérimentale de Rebecca Digne, et les images satellites de Daniel Pommeureulle. Un corpus là encore extrêmement varié qui interroge infailliblement le visiteur sur la puissance de l’élan vital, l’importance de l’ancrage géographique, et les dangers de l’incommensurable.

À cet ensemble de doutes et d’angoisses existentielles répond l’oeuvre de Marie-Luce Nadal, située au dernier étage du bâtiment, presque à la manière d’un grand “oui” à la question sous-jacente : existe-il une action possible après avoir pris conscience de notre position au sein du “grand tout” – qu’il soit social, ou bien cosmique ? Contre la nausée des vanités, la frénésie de l’ingéniosité. L’artiste démontre ici, si la preuve en était nécessaire, qu’il existe bien un onirisme de la technique. Les installations de Marie-Luce Nadal – fusil à foudre, usine à nuage, et réecritire miniature du Livre de Job – constituent quelque chose comme une prise au corps jubilatoire avec le transcendant de la condition humaine.

La dialectique millénaire de la joute entre créativité humaine et loi de la nature trouve ici, de fait, une expression d’une poésie irrésistible. Dans ce qui constitue pour ainsi dire un “point de chute” de l’exposition, le vertige n’a plus grand-chose de l’exutoire imaginaire, et encore moins du perdre-pied. Il s’agit bien, avec Marie-Luce Nadal, de jouer la carte de la volte-face pour faire de cette affect corporel une force, une ouverture radicale vers le champ des possibles.

La pluralité au service d’une compréhension élargie du “vertige”

On l’aura compris, c’est avec un œil toujours curieux et un intérêt sans cesse renouvelé que l’on progresse entre les murs de Labanque. En cause avant tout, l’habileté du jeu de jongle entre les différentes acceptions du vertige. Les œuvres de l’exposition “orbitent” élégamment autour de ce mot dont l’énigme frôle parfois le mystique. En écho le spectateur doit quant à lui sans cesse se repositionner, interroger les rapports, appréhender le lien. Pour cela, il convient de comparer les démarches, voire de recommencer la visite selon des itinéraires nouveaux. Et c’est un plaisir.

Pour plus d’informations sur l’exposition, rendez-vous ici.

Visuels de © ASC Anne Samson Communication, dans l’ordre : Georges Tony Stoll, Romina de Novellis, Bruno Perramant et Marie-Luce Nadal.

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Antonin Gratien

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