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Les traits de Van Gogh dans les lignes d’Artaud

Les traits de Van Gogh dans les lignes d’Artaud

18 March 2014 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Van Gogh / Artaud. Le suicidé de la société est une exposition événement. Événement car elle offre un acte rare ces derniers temps, celui d’exposer un acte, une parole.

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Cette exposition a été conçue et mise en scène par Isabelle Cahn. L’idée absolument géniale est de partir d’un texte d’Antonin Artaud, Van Gogh le suicidé de la société. Publié en 1974 chez Gallimard, 26 ans après la mort du poète. En 1947, le musée d’Orsay consacre une exposition à Van Gogh, quelques mois avant, Pierre Loeb (1897-1964), “fondateur de la galerie Pierre à Paris, suggéra à Artaud d’écrire sur Van Gogh en pensant qu’un artiste comme lui, qui avait été interné pendant 9 ans dans un hôpital psychiatrique, était le mieux placé pour écrire sur un peintre considéré comme fou.” Inutile de dire qu’Artaud fut peu emballé par l’idée que seule la folie le rattachait au peintre. Mais un texte se fait en réaction à l’exposition, et ce sont les thèmes qu’ Artaud a soulevés qui nous permettent d’évoluer parmi les oeuvres de Van Gogh, apportant ainsi un regard infiniment neuf qui permet de sortir de la dialectique beau/laid.

On entre dans l’exposition par un phénomène, repéré déjà chez Dries Van Noten aux Arts Déco, un nuage de mots. “Cauchemar”, “inertie bourgeoise”. Le ton est donné. La thèse déployée ici est que c’est la société, et essentiellement les psychiatres qui ont poussé le peintre au suicide et non la folie. Artaud traduit en quelque sorte Van Gogh. Ici, les regards des autoportraits (le premier est l’affiche de l’exposition Van Gogh de 1947) soulignent l’introspection et les paysages de convulsions fortes qui font bringuebaler les peupliers de la cour d’Hôpital Saint Paul où Van Gogh est interné.
L’exposition fait un crochet par l’identité d’Artaud que l’on voit, à la fois jeune et en bonne santé dans les films muets dans lesquels il a tourné, tel Faits divers d’Autant Lara et aride, dans les photos de Denise Colomb (1947) terrassé par les traitements, notamment le laudanum, pour re-basculer dans les territoires de Van Gogh. On passe Le pont Langlois à Arles (1888) et on lit “J’aime mieux pour sortir de l’enfer, les natures de ce convulsionnaire tranquille”.

Artaud dresse une galerie de portrait. On rencontre la très maternelle et pourtant vide d’enfant Augustine Roulin (1889), on fait un pas sur La salle de danse à Arles en 1888. Les natures mortes s’animent et témoignent de la douleur de vivre. La paire de chaussure, une chaussure retournée (1887) inspire le drame tout comme les Tournesols sont fanés en 1887.

Artaud joue les devins, voyant dans le champ de blé aux corbeaux, tableau considéré longtemps comme le dernier sur lequel Van Gogh travaillait, un acte prémonitoire, disant que “le funèbre de l’histoire est le luxe avec lequel les corbeaux sont traités”.

“L’orageuse lumière”, l’une des dernières salles ici, achève de nous convaincre. En regardant La Nuit étoilée (1888), paysage cosmique rendant les bords du Rhône irréels, on entre dans l’idée d’Artaud, et on pleure la mort de ces deux hommes.

Visuel : Vincent van Gogh (1853-1890)
Portrait de l’artiste au chevalet, Paris
Décembre 1887-février 1888
Huile sur toile
H. 65,1 ; L. 50 cm
Amsterdam, Van Gogh Museum (Fondation Vincent van Gogh)
© Amsterdam, Van Gogh Museum (Fondation Vincent van Gogh)

Infos pratiques

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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

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