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Tout en haut des Pays-Bas, une Capitale  de la culture pleine de relief

Tout en haut des Pays-Bas, une Capitale de la culture pleine de relief

15 August 2018 | PAR Sabina Rotbart

Les Pays-Bas, ce  n’est pas que la Hollande et Amsterdam. Pour trouver le même charme, la foule en moins, une bonne option consiste à rejoindre la Frise, cette province maritime tout au nord du pays. Autour de sa métropole, Leeuwarden, capitale européenne de la culture 2018, s’étend un littoral mystérieux, où les oiseaux tiennent conférence sur les dunes et les digues, et où cités et villages offrent de beaux musées, une architecture pleine de charme et, cette année, des expériences multiples.wadden-en-frise492x307

Malte et Leeuwarden sont les deux capitales européennes de la culture 2018. Mais si Malte ne manque pas d’intérêt historique, c’est plutôt une destination pour l’hiver. Leeuwarden, la capitale de la Frise, cette province qui allonge sa bande de côtes, d’iles et de prairies à deux heures au nord d’Amsterdam, se prête davantage à une virée de fin d’été ou d’automne.

Des prairies sur le rivage

Il faut embarquer sur le Thalys jusqu’à Amsterdam, puis à bord d’ un de ces petits trains régionaux qui semblent tellement plus pittoresques chez nos voisins immédiats, pour rejoindre Leeuwarden, la capitale de la Frise occidentale, territoire où la prairie bute sur la mer. Les géants qui habitent ces prairies bordées de petits canaux se confrontent depuis toujours aux problèmes que redécouvre l’écologie actuelle, comme la montée des eaux. Ce qui charme, dans cette approche qui peut se faire en train, en voiture ou évidemment à vélo, c’est l’horizontalité forcenée du paysage avec juste par moment un minuscule tertre, piqué d’un hameau. On perçoit presque les traits du graveur derrière le paysage. Tout le monde vous parlera de l’animal du crû, le cheval frison, fort élégant avec sa robe noire et lustrée, comme Zingaro, la monture de Bartabas, un cheval au caractère complexe, comme ce pays, à la fois doux et vif. Bête de cinéma ou de spectacle après avoir été une bête de guerre. En automne d’ailleurs, un spectacle impressionnant qui mobilise une centaine de ces puissants destriers dans une épopée évoquant la lutte  de l’homme contre la mer, sera présenté à Leeuwarden (http://2018.nl/en/stormruiter), parmi les 200  manifestations qui se déroulent cette année.

Cette population qui s’est forgée dans la violence des éléments a la réputation (justifiée ou non, impossible d’en juger) d’être dure. Sans passivité, en tous cas, comme en témoigne le fait qu’elle est politiquement « rouge » aux dires de notre guide. Sans doute a-t-il fallu jouer collectif pour apprivoiser les éléments hostiles et cela a laissé des traces comme cette idée, née ici, d’une « communauté ouverte ».  Communauté ouverte à l’image d’un pays ouvert, pénétré par les eaux, troué par les lacs magnifiques vers Sneek ou Bolsward et les canaux qui strient les prairies de part en part. Là où les hérons, l’été, taquinent les moutons.

Partout, un monde liquide

L’eau, c’est donc très logiquement la thématique centrale de cette année européenne de la culture en Frise. Aussi, des fontaines ont-elles été commandées à onze plasticiens européens, puis installées à Leeuwarden et dans dix villages alentour. Des œuvres d’ Othoniel, Cornelia Parker et, à Leeuwarden, une émouvante fontaine de Jaume Pensa, des visages d’enfants gagnés sans cesse par une brume matinale. Ce circuit des fontaines en évoque un autre, celui de la Course des onze villes, un parcours en patins à glace de 200 kilomètres sur les canaux gelés. Il mobilisait,  l’hiver, avant le réchauffement climatique, des milliers de patineurs. Leeuwarden, c’est une ville joyeuse, tonique et à la dimension assez charmante pour une virée de quelques jours. Elle est enserrée non de remparts mais de canaux qui hébergent un Port-musée de navires anciens, clippers, navires à voile et à vapeur.

Leeuwarden, ville natale de Mata-Hari et Escher

 Leeuwarden qui compte pas moins de 600 monuments est aussi la ville natale d’Escher et de Mata-Hari, les deux gloires locales, à côté de Pieter Stuyvesant, le très autoritaire gouverneur de la Nouvelle-Amsterdam qui deviendra New York. Mata-Hari y vécut toute jeune et une exposition lui a été consacrée au printemps, montrant la complexité du personnage et la difficulté à discerner légende et réalité. L’une des visites thématiques organisées par l’office du tourisme sur les femmes célèbres de Leeuwarden revient sur son enfance frisonne (Outre Mata-Hari, est évoquée Saskia, la première femme de Rembrandt mais aussi une autre européenne qui fut la première femme à pénétrer au Japon, son mari n’ayant pas voulu se séparer d’elle malgré les interdictions. Elle a fait l’objet d’une vraie fascination au pays du soleil levant, son visage devenant une curiosité ornant les céramiques).

Jusqu’au 28 octobre, Escher, fait, lui, l’objet d’une très importante exposition présentée au Musée frison. On y découvre un Escher assez différent de celui présenté à la Haye, car les œuvres des débuts, inspirées par ses voyages et beaucoup moins connues, y sont largement présentées. Elles montrent une période antérieure à la géométrisation de l’espace. Se dégagent aussi de cette présentation de très beaux bois, de très beaux linotypes qui donnent une image de la production incroyablement diversifiée de cet artiste. On peut imaginer des paysages frisons dans Puddle (1952) qui saisit le reflet des arbres dans le miroir brillant de l’eau.

Escher, enfant privilégié, est né dans un ravissant palais, Princessehof, qui héberge à l’heure actuelle Keramiekmuseum, un Musée national de la céramique de renommée mondiale. Un lieu à ne pas manquer, tant pour le cadre XVIIIème délicieusement baroque, que pour sa collection asiatique. Migrating ceramics (http://2018.nl/en/migratingceramics), l’exposition présentée jusqu’en juin 2019, montre les emprunts réciproques entre Asie et occident, au travers du commerce de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC) qui amena aux Pays-Bas, et dans toute l’Europe, le goût des porcelaines asiatiques, les imitant ensuite pour vendre ces copies en Europe et jusqu’au Japon lui-même!

 

 

proefverlof-buiten-aan-de-gracht-jantina-talsmaMais Leeuwarden a aussi un vrai charme provincial au sens positif du terme. Une province non repliée, comme en témoigne l’exposition qui questionne une supposée identité frisonne au Musée éponyme, riche de multiples productions artistiques contemporaines d’ici ou d’ailleurs. Il faut paresser dans la ville, grimper jusqu’à la tour ultra-penchée de Oldehove, rivale nordique de celle de Pise, admirer les petites rues dont les maisons, en briques et parements blancs, ont plus de quatre siècles, découvrir le très joli jardin du nouvel hôpital Saint Antoine où riches et miséreux souffraient mais dans des corps de logis séparés. Leeuwarden compte aussi des architectures remarquables comme une pharmacie art nouveau monumentale, un centre des postes et télégraphe transformé en superbe hôtel de luxe (mais très abordable, les prix n’ont rien à voir avec Amsterdam). Sa nef en bois a la  forme d’une coque de navire (Post plaza). Après un passage dans les petites rues anciennes du centre, il faut faire une étape roborative dans la  kleine kerkstraat, chez l’excellent fromager Zuivelhoeve, pour acheter du fromage bien mâture (« oude kaas »), puis, le mieux est de finir en prison. Façon de parler bien sûr.

Une merveilleuse prison

Car la prison ici, c’est un poème. Blockhuispoort, ancienne maison forte dont les soubassements datent du XVIème a totalement changé de fonction depuis dix ans. Désormais, marché de créateurs, ateliers d’artistes et d’artisans d’art mais aussi les services culturels de la ville y sont rassemblés dans une joyeuse vitalité. Et jusqu’à la joliment nommée « maison officielle des Geek « locaux. C’est un des endroits où le touriste imaginatif peut loger dans les cellules individuelles ou collectives ! Car la prison fait hôtel (Alibi Hotel) mais aussi restaurant. L’un, très abordable dans la première cour, propose de bonnes moules de la mer du Nord,  l’autre, gourmet, ouvre en été sur le canal voisin, Proefverlof. Ceux qui veulent diner d’une cuisine créative mais savoureuse, avec de la musique, rejoindront Roast, un établissement très joyeux, pourvu d’un jardin intérieur. Bon repaire pour trentenaires ()http://roastleeuwarden.nl

Franeker, village bijou peuplé d’inventeurs farfelus

Rayonner depuis Leeuwarden (idéalement en vélo, mais personne ne vous jugera si vous préférez le train), pose le problème de l’embarras du choix cette année. Soit on filera vers les digues, les dunes et le littoral, les iles de la mer de Wadden, un secret bien gardé par les hollandais dont c’est un des spots de vacances préféré, voir les manifestations de land art organisées sur le rivage ( sense-of-place.eu) qui sont liées aux questions d’environnement. Soit on choisira Franeker, ce ravissant petit village à l’architecture ancienne admirable, maisons de brique rouge et canaux traditionnels, pour visiter le planétarium étonnant qui l’a rendu célèbre. Bon, bien sûr, direz-vous, les planétariums ne sont peut-être pas votre tasse de thé. Cela n’était pas non plus le nôtre. Mais celui-ci défie les lois du genre. Construit dans son salon par Eise Eisinga, un fils de cardeur de laine autodidacte  qui écrivit cependant un traité de mathématiques de 600 pages à seulement 15 ans. Furieux de voir un pasteur effrayer la population en prédisant une fin du monde imminente pour cause de conjonction néfaste des  planètes, il voulut prouver le contraire en reproduisant le système solaire à l’échelle,  sur le plafond de son salon! Les planètes tournent encore sur leurs orbites artisanales, elles sont animées par un impressionnant système de poids et de roues dentées (http://planetarium-friesland.nl). Encore plus étonnant, pour ce XVIIIème siècle provincial,  Eisinga n’était pas le seul savant inventeur dans le coin, on en connaît plusieurs à l’époque dans cette région agricole. Autre curiosité, à Drachten, où le mouvement De Stijl (Mondrian et consorts) était rassemblé autour de Théo van Droesburg,au début de la première guerre mondiale, une maison reprenant les codes graphiques de De Stijl se visite depuis cette année. (2018.nl/dadaindr8888) et des bals dadaïstes forcément légèrement fous, sont prévus en octobre...

°Informations sur l’année capitale européenne de la culture en Frise : 2018.nl/en

°Office de tourisme de Leeuwarden : www.friesland.nl/en

©photos de 2018.nl

Infos pratiques

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Sabina Rotbart
journaliste en tourisme culturel, gastronomie et oenotourisme. [email protected]

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