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Sculpter (faire à l’atelier), à Rennes

Sculpter (faire à l’atelier), à Rennes

09 April 2018 | PAR La Rédaction

Trois espaces d’art de Rennes accueillent, jusque fin mai une exposition qui entend valoriser la fabrication sculpturale et le travail d’atelier depuis les années 1980, à travers une sélection de plus de soixante pièces.

Sculpter (faire à l’atelier) se tient jusqu’au 27 mai 2018 au Frac Bretagne, au Musée des beaux-arts de Rennes et à la Criée centre d’art contemporain.

criée

Soixante-trois artistes de 28 à 72 ans, français ou vivant en France, trois lieux d’art et un programme thématique les liants sous un titre : « Sculpter (faire à l’atelier) ». Avec ce panorama de l’évolution des pratiques sculpturales en atelier, en France depuis les années 1980, il s’agit, expliquent les organisatrices et directrices des trois lieux, Anne Dary (Musées des Beaux-Arts),
Catherine Elkar (Frac Bretagne) et Sophie Kaplan (La Criée), d’« expliquer comment on en est arrivé là », de montrer des « artistes chez qui la fabrication est au cœur du travail et qui ne délèguent pas, ont une pratique d’atelier et dont au moins une partie de l’œuvre est faite à la main ».

L’exposition entend offrir « plusieurs entrées thématiques » et il est certain que, au vu de l’immense diversité des pièces exposées, des approches – de l’abstrait au narratif, du comique au conceptuel, d’un surréalisme poétique au minimalisme – , le panorama est riche et divers.

Au rayon comique, ce sont incontestablement les fantaisistes animaux hybrides de Laurent Le Deunff (cacatoès-pieuvre, chat-brachiosaure…) qui se distinguent parmi les œuvres les plus immédiates. Mais l’invraisemblable Buste réalisé par Daniel Dewar et Grégory Gicquel – sculpture d’un chandail de laine sur tronc sans tête de 3,5 tonnes de béton et d’1,65m de haut – n’est pas moins comique, à sa façon. « Prenant souvent pour modèles des objets produits par l’industrie, ils développent un artsanat dans lequel la touche, l’irrégularité, le défaut de fabrication ont droit de cité. Leur intérêt pour les lavabos, éviers et autres fountains sonne comme une réponse joyeuse à Marcel Duchamp, mais s’ils s’intéressent au ready-made, c’est pour le reconduire au handmade », explique le catalogue.

Cette référence à Marcel Duchamp se retrouve dans une des pièces les plus marquantes : la reconstitution d’Étant donnés : 1° la chute d’eau, 2° le gaz d’éclairage, sa dernière œuvre, reconstituée mais « ouverte ». C’est-à-dire, qu’au lieu que dans l’installation de Marcel Duchamp, le spectateur découvre la mise en scène – l’entrejambe d’une femme nue allongée dans les herbes sur fond de paysage – à travers un trou dans la structure de bois, il peut ici tourner autour et voir l’artifice de sa « fabrication ».

Un des fils conducteurs et un des intérêts de cette exposition en constitue aussi la limite. Beaucoup d’autoréférentialité, d’art-sur-l’art, de références à l’histoire de l’art, à des artistes ou des œuvres, beaucoup de jeux de citations. Pour qui entre dans cette logique et adhère à cette sorte de refermement de l’art sur lui-même, il faut reconnaître à diverses œuvres leur pertinence. L’étonnant Pavillon nocturne de Julien Dubuisson se présente en trois parties distinctes : une étagère sur laquelle reposent dix-huit pièces en résine acrylique et qui ont, de prime abord, une allure de débris de pièces archéologiques ; par ailleurs, une vidéo et, enfin, un bloc de forme quasi cubique. La vidéo éclaire la nature de ces pièces : une fillette les y assemble, recomposant les six sculptures qui ont servi de modèle : Locking Piece de Henry Moore, masque mortuaire de l’inconnue de la Seine, tête cycladique, le Cube d’Alberto Giacometti (dont le titre initial était Pavillon nocturne), mégalithe de l’âge du bronze. S’emboîtant les unes dans les autres, ces diverses sculptures entrent enfin dans l’apparent bloc, miniature du Ghost de Rachel Whiteread. Jeu habile ou métaphore de l’histoire de l’art et de la sculpture en particulier (chaque nouvelle oeuvre étant une partie qui s’insère dans une totalité dont elle hérite et qu’elle poursuit) ?

De la même façon, à La Criée, le public connaisseur reconnaîtra dans les sculptures de La Parade moderne, de Clédat et Petitpierre, les références aux peintures de Max Ernst, Otto Dix ou Edvard Munch, et qui perdent toute leur pertinence exposées ainsi, comme vidés du tragique ou de l’absurde qu’ils exprimaient initialement. Il est vrai que ces sculptures sont conçues, comme l’indique le titre, pour parader, sur fond de l’entêtant Boléro, joué par une fanfare, avec une attitude mortuaire.

Au Musée des Beaux-Arts, c’est encore l’amusant N.A.S.D.A.Q. (Now Art Seemingly Deserves A Quotation), installation d’Olivier Blanckart qui reproduit avec une touche d’humour le célèbre cliché des quatre « stars » new-yorkaises de l’art conceptuel prise en 1969 par Seth Siegelaub (Robert Barry, Douglas Huebler, Joseph Kosuth et Lawrence Wiener). Les quatre sculptures se détachent sur un fond de tapissage de comissariat (façon Usual Suspects) et de courbe d’indice boursier – d’où le titre de l’œuvre, qui renvoie au Nasdaq, indice des valeurs dématérialisées (ce qu’est l’art conceptuel). En surplomb, une phrase en néon : « It is only Art & Art », une pastiche renvoyant aux néons de J. Kosuth autant qu’à l’album des Rolling Stones It’s only Rock ‘n’ Roll. Comme l’explique l’artiste, J. Kosuth produit un « art académique très coté ». Hommage ou moquerie : il y a sans doute un peu des deux dans cette démarche, une des œuvres les plus saillantes de l’exhibition.

Mais ce côté art-sur-l’art parlera sans doute au milieu de l’art et à ceux qui, connaissant les « codes », les renforcera dans l’entre-soi et le happy few, mais n’aura que peu de chances de parler au-delà.

Il y a cependant d’autres œuvres originales à découvrir : l’étonnant Dominator, de Pascal Rivet, une moissonneuse-batteuse construite avec du bois, soit une approche artistique manuelle et méticuleuse pour reconstruire avec minutie la machine emblématique par excellence de l’industrialisation de l’agriculture. Le beau maillage noir de terre cuite de Christelle Familiar (Plantes épiphytes en modèle), les trois shibari de Morgane Tschiember (des céramiques aux allures de matériau souple, contenues dans des cordes – d’où le titre, référence à une pratique sexuelle de suspension d’origine japonaise), l’étonnant monde céramique d’Elsa Sahal (Snakes and Ladders) aux biomorphismes très sexualisés, le fascinant Bagage de Sylvie Réno, qui reproduit avec une minutie une valise, une brosse à cheveux, une trousse de toilette et ses flacons en carton ondulé, entre autres.

Mention spéciale aux très beau et surprenant Paysage magnétique de Véronique Joumard : de petits tas de limaille de fer, par l’effet magnétique d’un aimant posé sur l’autre face de la planche de bois sur laquelle elle repose, ont pris une forme éruptive, comme cette beauté surréaliste qu’André Breton envisageait comme « explosive-fixe ».

Au total, beaucoup d’art-sur-l’art, beaucoup de travaux sur la matière et d’œuvres abstraites pour très peu de contenu narratif ou figuratif. Les artistes de la trempe de Hervé Di Rosa, Marc Petit, ou Zlatko Glamotchak ne manquent pourtant pas.

Visuels : affiche de l’exposition

Mikaël Faujour.

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