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Piet Mondrian et le tortueux chemin vers le néoplasticisme

Piet Mondrian et le tortueux chemin vers le néoplasticisme

03 June 2017 | PAR Alice Aigrain

Un lapin mort peint avec une vraisemblance déconcertante. Pas sûr que vous y identifiez la patte d’un des peintres modernes les plus célèbres de sa génération. Vous en doutez peut-être, encore interloqué par cette peinture dont l’intérêt pour la mimesis vous semble aux antipodes du néoplasticisme et de son abstraction dogmatique, mais vous êtes bien dans la première salle de l’exposition : The discovery of Mondrian.

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Un coup de maître. L’exposition de La Haye présente pour la première fois l’intégralité des œuvres de Piet Mondrian conservées par le Gemeentemuseum. Quelque 300 toiles, soit un quart de sa production totale. Elles étaient pour la plupart jusqu’alors restées dans les réserves du musée, pour des problématiques de conservation. Grâce à une grande campagne de restauration, elles sont désormais à même d’être montrées au public, afin qu’il découvre ces œuvres, mais aussi les nouvelles connaissances que leurs études approfondies ont permises de faire émerger.
L’accrochage n’est pas pour autant complexe. Au contraire, le didactisme a prévalu sans pour autant nuire au propos. Les salles défilent, selon un agencement chronothématique au cours duquel l’aboutissement de Piet Mondrian à Victory Boogie-Woogie semble presque une évidence. Par la nature même de la collection, l’exposition ne se concentre pas sur le néoplasticisme, mais plutôt sur l’évolution plastique de l’artiste de 1891 à 1944. L’accent est mis sur les années d’avant de Stijl, celles les plus méconnues, et pourtant celles qui portent en elles les germes de ce que Mondrian va devenir.

Piet Mondrian (1872 – 1944) est un peintre moderne et un pionnier de l’abstraction, un hollandais passé par Paris et New York. Rejoignant le mouvement De Stijl dont la Hollande célèbre le centenaire cette année au côté de Théo Van Doesburg et Bart van der Leck, il fige rapidement son style autour de règles simples et dogmatiques qui forment ce qu’il nomme le néoplasticisme : couleurs primaires, noir, un peu de gris, et des droites perpendiculaires composent ses toiles empreintes de mysticisme et de son intérêt pour la spiritualité. Cette version plus épurée de De Stijl qu’il n’explore que par la peinture, constitue l’image de Piet Mondrian marquée par le peu d’évolution de son style une fois qu’il en avait dicté les règles. Décliner en stylo, en carnet ou en trousse, « Mondrian » semble être figé dans un état plutôt que dans un parcours dans l’imaginaire collectif. À l’inverse d’autres peintres modernes dont l’œuvre est comprise dans le temps de sa progression, le cas de celle de Mondrian éludait souvent la partie évolutive de sa production, du moins jusqu’à l’exposition d’aujourd’hui.

Des paysages nocturnes d’une virtuosité discutable à la dernière de ses toiles abstraites, le spectateur comprend les étapes des questionnements formels du peintre qui l’ont mené vers un chemin radical. Son regard sur la question de l’espace, de la couleur, de la lumière et de la ligne, le tout teinté de spiritualité, chacune expliquée dans une salle, amène naturellement le regardeur de la peinture traditionnelle au néoplasticisme.

Ménageant surprises et rapprochements, l’accrochage est une démonstration visuelle parfaitement menée qui ne perd jamais le propos. Il faut dire que la progression de Mondrian s’y prête. Au regard de sa production, il semble passer d’un retard important sur l’art moderne à son avant-garde. Lorsqu’à la fin du XIXe siècle Mondrian peint des paysages et des portraits dans une facture d’un grand académisme, il semble largement en retard avec le début des avant-gardes historiques qui se développent alors. Ses paysages se teintent de symbolisme et de mysticisme au début du siècle. Entre 1907 et 1908, l’appropriation de la modernité s’accélère dans son œuvre. La ligne et la couleur s’affirment comme le montrent deux œuvres représentant un moulin. La mimesis laisse place à une couleur invraisemblable d’une intensité rare. Entre les deux œuvres ? À peine un an, et pourtant la radicalité du changement est absolue. Dans la première œuvre de 1907, Moulin de Oostzijde le soir, la ligne et la couleur sont en germe, porté par l’attention à la luminosité. Dans la seconde, Moulin ; Moulin au soleil, la peinture semble prendre son autonomie face à la fidélité de la représentation du sujet. De façon concomitante, l’abstraction semble se profiler, les formes se détachant de leur modèle. Métamorphose, en 1908, une toile qui semble pour la première fois abstraite, entre le crâne et la fleur, entre l’anthropomorphisme et le geste.

Son approche du cubisme date de 1911 et elle semble formatrice de son passage définitif vers l’abstraction. Dans une série d’études et de toiles représentant un arbre – de L’arbre gris, en 1911 à Pommier en fleurs en 1912, – le passage d’une représentation figurée à sa modélisation simplifiée et abstraite est limpide. Sa peinture abstraite se définit déjà par le trait et la ligne, les couleurs peu variées et l’aspect géométrique. Il rejoint De Stijl en 1917 puis s’en éloigne pour se consacrer à son propre style.

La démonstration visuelle fonctionne à merveille puisqu’elle semble reprendre les étapes de l’histoire de l’art abstrait tel que le conçoit le modernisme – un progrès continu vers l’abstraction par l’affirmation de la couleur, de la ligne et de la planéité –, mais à travers la production d’un unique acteur. Il faut dire que Mondrian a cela de passionnant de transformer sa pratique avec un radicalisme et une rapidité déconcertante. Il fonde donc ce qui devient un des styles prédominants de la scène artistique mondiale, et qui a joué un rôle déterminant dans l’art moderne des Pays-Bas.
Ainsi tout le pays se met aux couleurs de De Stijl pour le centenaire de sa fondation. Les évènements se multiplient dans tout le pays et celle du Gemeentemuseum est sans doute une des expositions majeures de cette année de célébration et n’est à rater sous aucun prétexte.

Retrouver le programme complet des évènements de l’année De Stijl  sur www.holland.com/mondriantodutchdesign


©rédit photo : Gemeentemuseum Den Haag.

Piet Mondrian, Haas, 1891. Gemeentemuseum Den Haag.
Piet Mondrian, Metamorphose, 1908.Gemeentemuseum Den Haag.
Piet Mondrian, Victory Boogie Woogie, 1942-1944. Pre?t de la fondation du patrimoine culturel des Pays-Bas/Ministe?re de la Culture, de l’Education et des Sciences.

Piet Mondrian, Moulin de Oostzijde le soir, environ 1907- 1908. Gemeentemuseum Den Haag.
Piet Mondrian, Moulin ; Moulin au soleil, 1908. Gemeentemuseum Den Haag.

Piet Mondrian, L’arbre gris, 1911. Gemeentemuseum Den Haag.
Piet Mondrian, Pommier en fleurs, 1912.

 

 

Infos pratiques

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Alice Aigrain
Contact : [email protected] www.poumonsvoyageurs.com

One thought on “Piet Mondrian et le tortueux chemin vers le néoplasticisme”

Commentaire(s)

  • nice discussion in the museum courtyard, alice! :)

    June 6, 2017 at 12 h 00 min

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