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Photojournalisme et mai 68 : la construction d’un imaginaire visuel collectif

Photojournalisme et mai 68 : la construction d’un imaginaire visuel collectif

19 April 2018 | PAR Aurore Garot

Jusqu’au 26 août, la Bibliothèque National de France (BNF) revient sur la construction médiatique et culturelle de la mémoire visuelle collective sur  les événements de Mai 68, à travers le photojournalisme. Une exposition composée de deux cents pièces – photographies, planches-contact, magazines, documents audiovisuels, qui bouleversent nos acquis historiques imprégnées des conditions journalistiques de l’époque. A ne pas rater.

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“Une jeunesse insolente face à l’ordre conservateur”, tel était le message du cliché de Gilles Caron le 6 mai 1968 représentant Daniel Cohn-Bendit face à un CRS. Une photographie devenue symbole et icône du mouvement grâce à la couverture médiatique qui a exploité l’opposition jeunesse/CRS pour en faire le cœur de Mai 68 a posteriori. 

“Icônes de Mai 68, les images ont une histoire” ouvre les yeux de ses visiteurs sur la réalité médiatico-photographique d’un des événements les plus marquants de l’histoire française, qui s’est ancrée dans nos mémoires. L’exposition décode les photos devenues au cours du temps icôniques, révèle des initiatives photographiques citoyennes cherchant à résister aux représentations médiatiques dominantes et à compenser leur “in-information” et questionne la désaturation progressive dans les journaux post-68, des photographies couleurs prises par les reporters de l’époque… Un dernier point qui rappelle que la photo-couleur était déjà monnaie courante dans le milieu journalistique notamment pour Paris Match qui a fait de ses Unes colorées, son identité. Et oui, il y avait de la couleur à cette époque. Mai 68 vous parait plus jeune en couleurs n’est-ce pas ? 

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L’exposition est exceptionnelle en ce qu’elle donne les clés pour décoder les images et pour comprendre les mécanismes de la construction (progressive) du récit médiatique, culturel et éditorial qui a formé notre mémoire visuelle collective. Les photographies journalistiques ET les événements sont déconstruits à travers une vision plus critique. Pourquoi la “Nuit des barricades”, manifestation autant spectaculaire que symbolique, est passée à la trappe en terme de clichés et dans nos mémoires ?  Pourquoi aucune image de cette nuit de feu et de violence n’est devenu iconique ou du moins persistante dans les journaux ? Deux raisons : la condition formelle des photographies et l’impératif narratif n’étaient pas respectés. Les photos étaient difficilement exploitables car l’événement s’est déroulé…la nuit. Mai 68 reprend un coup de vieux quand nous nous rappelons que même si la couleur était présente, la technique des photos nocturnes était loin d’être développées. Entre le manque de lumière, la confusion de cette nuit, la chaleur et les incendies, aucune image prise ce soir-là ne pouvaient être utilisées par les journaux. En ce qui concerne l’impératif narratif, pour qu’une photo soit exploitée et diffusée par les grands médias à ce moment-là, il faut que la traduction visuelle soit claire, synthétique et qu’elle exprime le récit d’affrontement jeunesse/CRS défendu par la presse. La photo de Gilles Caron répond à cette efficacité narrative car elle oppose les deux camps et illustre ce rapport de force.

Cette représentation dominante et simplifiée imposée par l’univers médiatique, culturel et éditorial était cependant combattue par des photographes amateurs et citoyens qui avaient une volonté forte d’inventer de nouveaux usages, civiques et politiques de la photo. Le club Paris 30X40 proposait ainsi une vision alternative des événements en exposant au jour le jour des photographies hors-champs des grands médias et en les reliant à la vie quotidienne. Un message fort et engagé pour rappeler les causes de cette “révolution”. “Mai 68 – Nous” était une exposition visant à mettre devant les feux des projecteurs la réalité sociale de l’époque (les problèmes d’habitat, de travail et de consommation). Un autre aspect de Mai 68 qui ne se résume pas à un rapport de force jeunesse/CRS à Paris, ce que nous oublions parfois tellement cet imaginaire est ancré dans nos esprits.

Cette exposition est un réveil, une prise de conscience sur notre mémoire visuelle collective que nous avons créé (subit ?) autour de cette période. Grâce aux clés de réflexion qu’elle offre, à la fois sur les raisons et la manière dont l’information photographique est traitée sur le court et long termes, mais aussi sur les alternatives de représentations oubliées, la BNF nous montre que derrière chaque photographie, c’est une histoire qui est racontée et un imaginaire qui se créé. 

Visuels :  Fondation Gilles Caron © Gilles Caron

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Aurore Garot

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