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Noémie Sauve : “Je fabrique des choses que j’ai envie de voir et pas forcément ce que j’ai déjà autour de moi”

Noémie Sauve : “Je fabrique des choses que j’ai envie de voir et pas forcément ce que j’ai déjà autour de moi”

21 May 2018 | PAR Christophe Dard

Son travail est une sorte de trait d’union entre les origines de l’humanité et notre fragile contemporanéité. Par le biais de nombreux supports, le dessin, la sculpture, la peinture et la mise en scène plastique, Noémie Sauve développe essentiellement les thèmes de la domestication des éléments, de l’animal et de son environnement.
Artiste engagée, exposée en galerie et lors de salons (Drawing Now, YIA, Art Paris…), Noémie Sauve a également participé à plusieurs résidences, en France et à l’étranger.
Du 25 mai au 1er juin, Noémie Sauve est l’une des artistes à l’honneur de l’exposition collective Psychéologies, à Paris, aux côtés de quatre autres artistes, Aymée Darblay, Louis-Cyprien Rials, Adrianna Wallis et Ada Yu. L’évènement porte le label Zelig Leatherman dont l’objectif est de soutenir des projets indépendants et innovants pour tisser des rapports entre les différents acteurs du monde de l’art, l’une des motivations de Noémie Sauve.
C’est dans son atelier de Montreuil que Toute la Culture a rencontré l’artiste.

 

Noémie Sauve dans son atelier @DarioRudy
Noémie Sauve dans son atelier @DarioRudy

 

Noémie Sauve, quel est votre parcours?
J’ai suivi une formation en histoire de l’art qui a commencé dés le lycée. J’ai ensuite poursuivi mes études aux Beaux-Arts de Lyon. Mais j’avais 18 ans et ce cadre ne me correspondait pas car j’avais besoin d’apprendre, de découvrir le monde par moi-même. J’ai donc vécu cinq ans en squat à Grenoble avec des personnes issues d’horizons divers : étudiants en architecture ou en sciences politiques, ex-ingénieur, bibliothécaire… J’avais besoin de me sentir participer au monde. Le squat était un lieu d’échange, de propositions sur la ville et d’appropriation de celle-ci par des actions diverses. Par la suite, je me suis mise à travailler dans divers ateliers d’artistes, en France et au Canada, avant de m’établir pour de bon à Paris, où j’ai créé plusieurs collectifs et associations toujours en activité. Depuis, je suis installée dans cet atelier à Montreuil.

 

Extrait des dessins en galvanoplastie pour l'exposition Tara Pacific, 2018 @ Noémie Sauve
Extrait des dessins en galvanoplastie pour l’exposition Tara Pacific, 2018 @ Noémie Sauve

 

À la base, vous venez du dessin…
Le dessin c’est le médium d’accès facile, celui qu’on démarre à l’école sur un bout de feuille, et qu’on emporte partout. La place et l’absence de celui-ci dessinent quelque chose qui participe à la composition. Certains de mes dessins sont très chargés, mais dans d’autres le blanc prend une part dans la proposition. Quand j’investis un endroit dans le dessin, c’est très minutieux et je peux passer une semaine sur quelques centimètres carrés. Le blanc et le grain du papier sont choisis pour accompagner le trait du dessin.

 

Dague chouette fluorescente, verre fluorescent, 2016 Noémie Sauve, photo @ Katrin Backes
“Dague chouette fluorescente”, verre fluorescent, 2016 Noémie Sauve, photo @ Katrin Backes

 

Vous réalisez aussi des silex, des couteaux fluorescents. Quelle est la signification de ces objets?
J’ai commencé à mener ces recherches lors de ma résidence au Musée de la Chasse et de la Nature en 2015. Je présenterai une sélection de ces pièces fluorescentes inédites en céramique, en verre et en bronze lors de ma prochaine exposition Psychéologies (du 25 mai au 1er juin à Paris).
Ces outils sont des figures animales mises en main. Je suis attachée aux problématiques de la domestication. Ce travail est l’aboutissement d’une forme qui s’essayait à la décoration d’outils divers avec des figures animales comme pour charger nos objets d’un fantasme que nous avons sur le sauvage, leur donner une âme alors qu’en pratique le sauvage est soumis ou géré, contraint. C’était une contradiction intéressante qui a trouvé sa forme dans ces séries d’armes. Il s’agit de les utiliser pour les mettre à notre portée, pour les maîtriser. S’approprier l’image de l’animal sur une arme ou un outil procure paradoxalement une impression de liberté, de force alors que dans la nature notre rapport à la vie sauvage est défini par une négation.

 

La marche étoilée du protecteur, céramique fluorescente 2017 photo @ Katrin Backes
“La marche étoilée du protecteur”, céramique fluorescente 2017 photo @ Katrin Backes

 

Pourquoi vos œuvres portent-elles des titres poétiques et énigmatiques?
Les titres concentrent la part d’expérimentation que j’ai voulu faire dans le dessin. Un titre permet de confirmer une sensation ressentie par le spectateur de la pièce ou, du moins, de lui permettre de s’amuser avec la pièce et prendre part à l’énergie qu’elle peut dégager. J’aime bien mettre des titres pour cela. Cela produit une ambiance et scénographie la pièce.

 

Le Mirador 2015 130x80 cm mine graphite, crayon de couleur sur papier Moulin du Gué 300 g Réalisé avec le soutien de la Fondation François Sommer
“Le Mirador”, 2015, 130 x 80 cm
Mine graphite, crayon de couleur
sur papier Moulin du Gué 300 g
Réalisé avec le soutien de la
Fondation François Sommer

 

Quel est le plus important dans votre travail?
Je suis attirée par tout ce qui me permet de créer des images nouvelles avec des matériaux classiques, d’où le verre fluorescent, la galvanoplastie en dessin ou la céramique fluorescente, qui me permettent de révéler différentes facettes, de jouer sur des principes mécaniques à partir d’un matériau très simple. Par la technique ou par certains matériaux comme la terre- souvent considérés comme un peu trop traditionnels pour l’art contemporain alors qu’ils ont une histoire et une vraie raison d’être- mon travail est axé sur l’écologie et les matériaux font partie d’un environnement qui me relie à ce qui me nourrit. Je joue avec la matière et cela me fait participer à la vie physique. J’en ai besoin et surtout, en manipulant, on apprend des choses. Il y a également un côté artisan qui ressort de ce processus.
Je fabrique des choses que j’ai envie de voir et pas forcément ce que j’ai déjà autour de moi.

 

Lion fontaine blanc fluorescent en lumière blanche, 2017 photo @ katrin Backes
“Lion fontaine blanc fluorescent” en lumière blanche, 2017 photo @ katrin Backes

 

Vous parlez d’écologie. Ce thème est central dans votre travail…
Oui, si on prend l’écologie comme une définition globale à savoir « l’effet du tout sur le tout » alors il ressort une idée d’équilibre qui nous dépasse en tant que partie du tout. Je suis plus particulièrement intéressée par les questions de pouvoir que soulève cette notion d’écologie. Je pense par exemple au brevetage du vivant. L’idée que tout ce qui nous entoure et qui participe de la régulation de l’autonomie du vivant puisse être accaparé, revendu pour alimenter un marché ou encore, détourné, pour créer des dépendances me révolte.
L’écologie me semble donc un terrain propice pour évoquer des questions de liberté. De plus, d’un point de vue esthétique, voire archéologique, observer les fossiles d’une vie humaine qui inclut ou non le sauvage, l’autre… dans son histoire physique ou écrite; comment on range, classe, trie, sépare, organise, les architectures, les bêtes, les outils… constitue une grande source d’inspiration aussi. De manière générale, je suis à la fois attendrie et énervée par la nécessité que nous avons de trouver une place utile à chaque chose au détriment de nous-mêmes.

 

Animal en transparence pendant le labour de la cité U de Villetaneuse, 2016, réalisé avec le soutien de la Fondation François Sommer/Musée de la Chasse et de la Nature/ photo @ Noémie Sauve
“Animal en transparence” pendant le labour de la cité U de Villetaneuse, 2016, réalisé avec le soutien de la Fondation François Sommer/Musée de la Chasse et de la Nature/ photo @ Noémie Sauve

 

L’écologie a d’ailleurs fait l’objet de deux résidences particulièrement marquantes pour vous?
Comme dit précédemment, la résidence au musée de la Chasse et de la Nature a été un moment fondateur. Elle s’est étalée sur deux ans. Je me suis rendue à plusieurs reprises au domaine de Belval dans les Ardennes. J’ai été accompagnée dans mon projet jusqu’au bout, sur un temps de création et non pas sur le temps d’une exposition.
L’autre résidence marquante a été celle que j’ai faite cet été 2017 à bord de Tara dans le Pacifique. J’ai été sélectionnée avec plusieurs autres artistes pour rejoindre cette goélette scientifique dans le cadre d’une mission de deux ans sur l’étude de la biodiversité des récifs. L’objectif est d’appréhender l’évolution des récifs coralliens dans le contexte du changement démographique et climatique. Le projet que j’ai proposé nécessitait une réelle compréhension des enjeux scientifiques en plus du travail d’observation classique dessiné auquel je mêlais un code graphique urbain. Aujourd’hui en pleine production en vue de l’exposition à venir, je découvre les problèmes que soulève la sensibilisation à ces univers marins. Formellement, il n’est pas évident de savoir comment rendre la sensibilité de l’océan. J’ai donc cherché à développer des techniques qui pourraient devenir le support idéal de ces expressions nouvelles comme la galvanoplastie appliquée au dessin ou la fluorescence en céramique.

 

"Picorage bicéphale" dans le poulailler de Clinamen à St Denis, réalisé avec le soutien de la Fondation François Sommer/Musée de la Chasse et de la Nature/ photo @ Noémie Sauve
“Picorage bicéphale” dans le poulailler de Clinamen à St Denis, réalisé avec le soutien de la Fondation François Sommer/Musée de la Chasse et de la Nature/ photo @ Noémie Sauve

 

Vous êtes très engagée…
Si mes années en squat ont modelé ma manière de penser et d’agir, c’est à mes années de lycée, et notamment grâce à un professeur d’histoire de l’art très investi, que je dois mon envie de m’impliquer.
Les projets en association comptent beaucoup dans ma vie et font partie de mon travail. Je m’y investis autant que dans une résidence.
Je travaille avec l’association Clinamen, une cellule de recherche et développement autour de l’agriculture urbaine. Concrètement, cela se traduit par des dizaines de moutons sur le parc de La Courneuve, un terrain de maraîchage et des vignes sur la cité universitaire de Villetaneuse ou bien encore des formations de bergers urbains qui se baladent avec des troupeaux autour des cités du 93.
Je peux citer aussi l’association Zélig Leatherman qui organise l’exposition Psychéologies à laquelle je participe (du 25 mai au 1er juin). Zélig Leatherman est un collectif qui se définit par projet. Le but est de dialoguer et de rendre visible les questionnements sur la création contemporaine. Les recherches ont pour point de départ la transversalité de l’art et de ses acteurs. C’est en observant notre milieu professionnel dans son ensemble que nous avons constaté que l’œuvre pouvait être présentée différemment, que l’auteur était multiple et son existence historique soumise à tout un tas de filtres, que tous ces métiers participent à créer l’œuvre finale.

 

"L'Oiseau" Disconographie à la Chapelle, 2006 photo @ Noémie Sauve
“L’Oiseau” Disconographie à la Chapelle, 2006 photo @ Noémie Sauve

 

Parlons également des mises en scène dans la ville
Lorsque j’étais en squat, j’essayais déjà de répondre à mes envies de participer à la ville. La ville n’est pas modelée par rapport à nos activités. Ce sont plutôt nos activités qui s’adaptent à la ville et encore c’est une ville que l’on conçoit non plus de manière globale, mais par petites zones. On voit bien que tout ce qui nous fait vivre, manger, boire, dormir, tout cela est quasi absent dans la ville. Cela s’arrête aux boutiques.
Mon idée était de proposer des actions, de suggérer des situations qui émanent d’une pièce faite à l’atelier et qui prennent vie avec des protagonistes en ville, dans des quartiers, qui rejouent des histoires.
Mais quand j’ai monté les premières mises en scène à Paris, c’était interdit. Si je voulais les faire dans les règles, cela supposait des mois d’attente administrative. Je me suis donc dit que si moi, artiste, je voulais juste peindre ma ville, la dessiner, exister, il n’y avait qu’un seul endroit où je pouvais le faire, la place du Tertre dans le 18ème arrondissement! C’est un périmètre plutôt limité. J’ai essayé, ne serait-ce que pour aller au bout de l’expérience.

 

"silex" Silex à tête d'oiseau, céramique, 2016, collection du Musée de la Chasse et de la Nature à Paris
“Silex” Silex à tête d’oiseau, céramique, 2016, collection du Musée de la Chasse et de la Nature à Paris

 

Quelles sont les choses qui vous influencent le plus?
La musique. Elle crée des identités et des émotions. C’est un support de communication, d’échange, de lâcher-prise et de plaisir. C’est le premier médium artistique vraiment collectif dans mon histoire personnelle. J’écoute des styles de musique totalement différents, souvent par phases. En ce moment, j’écoute du raï et du rock expérimental américain et polonais. Juste avant c’était le zouk, le kompa et le free jazz. J’écoute aussi du RNB, du rap, de l’opéra, du drone doom ou encore des musiques expérimentales ou hip-hop qui m’accompagnent tout le temps à l’atelier.
Certains de mes projets plastiques débordent sur des projets musicaux, ou de danse avec une envie de mélange. Un artiste plasticien, musicien ou architecte, et qui se mélange à d’autres artistes était quelque chose dont j’ai toujours rêvé. Je ne vois pas pourquoi je me limiterais aux arts plastiques parce que je suis plasticienne. Mais j’ai bien conscience que cela n’est pas si simple. Les artistes ont des difficultés à vivre de leur travail. Tout le monde n’est pas disponible pour échanger et mélanger autour d’un projet à inventer.

Propos recueillis par Christophe Dard

 

INFORMATIONS PRATIQUES :

Le site de Noémie Sauve :
noemiesauve.com

L’exposition Psychéologies :
Du 25 mai au 1er juin
33, rue d’Artois 75008 Paris
Ouvert tous les jours de 15 h à 20 h et sur rendez-vous à [email protected]

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Christophe Dard
Titulaire d’un Master 2 d’histoire contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Christophe Dard présente les journaux, les flashs et la chronique "L'histoire des Juifs de France" dans la matinale (6h-9h) sur Radio J. Il est par ailleurs auteur pour l'émission de Franck Ferrand sur Radio Classique, auteur de podcasts pour Majelan et attaché de production à France Info. Christophe Dard collabore pour Toute la Culture depuis 2013.

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