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“L’Art et l’Enfant”, au musée Marmottan : une fine revue de moeurs

“L’Art et l’Enfant”, au musée Marmottan : une fine revue de moeurs

11 March 2016 | PAR Géraldine Bretault

Dans le sillage de la très réussie Naissance de l’intime, qui se penchait l’an passé sur la question de la toilette, le Musée Marmottan confirme l’essai en conviant les bonnes fées autour du berceau de l’enfance : de la Renaissance à nos jours, les oeuvres sélectionnées sondent cette fois l’évolution du regard de la société sur les jeunes générations. 

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L’Art et l’Enfant, ça vous dit quelque chose ? En effet, le Musée de l’Orangerie proposait déjà en 2009 une exposition intitulée “Les Enfants modèles”. Mais de “Claude Renoir à Pierre Arditi”, l’intervalle temporel était bien plus restreint, et il s’agissait avant tout d’enfants célèbres et de jouets d’enfants.

Le Musée Marmottan a tenté d’élargir le cadre : plutôt que de se cantonner aux toiles de sa collection permanente (“une vraie garderie d’enfants”, nous confiait l’historien Jacques Gélis), les commissaires ont souhaité remonter aux origines des Temps modernes, et porter un regard sociétal sur la question. Après tout, les commanditaires ne sont jamais les enfants-eux-mêmes, de sorte que l’enfant est assujetti à la double projection de ses parents sur sa destinée, et du peintre sur son modèle.

Grâce à un choix d’œuvres restreint mais bien pensé, l’articulation est très claire. De l’Enfant-roi au sens littéral (portrait d’Anne d’Autriche incarnant la fonction royale au temps de sa régence pour Louis XIV), on glisse subrepticement vers les Lumières, où la dichotomie est frappante entre la misère de l’enfance rurale et les nouveaux préceptes mis en avant par Jean-Jacques Rousseau dans son Émile ou de l’éducation. Le portrait de grande bourgeoise montrée en train d’allaiter, parce qu’il est désormais de bon ton de le faire, sans réelle tendresse, est exemplaire à ce titre.

Autre sujet passionnant, le clivage des sexes en matière d’éducation, ainsi que la relation des pères à leurs enfants, en fonction de leur genre également. D’autant que de savants symboles nous révèlent en réalité qu’il peut s’agir de portraits posthumes, ce qui modifie leur interprétation.

Une signature évidente manque à l’appel, celle d’Élisabeth Vigée-Lebrun, pour cause d’itinérance : l’exposition du Grand Palais est présentée en ce moment au Metropolitan Museum de New York. Une toile de François-André Vincent vient compenser cet absence : Madame Boyer-Fonfrède et son fils montre bien comment les gestes mêmes sont plus déliés entre la mère et l’enfant. Les élans de tendresse sont désormais admis face à d’autres regards.

À l’aube du XIXe siècle, le rapport à l’enfance se fait plus politique. Misère toujours, urbaine désormais, dans des grandes villes surpeuplées suite à la Révolution industrielle. Puis c’est l’éclosion solaire du mouvement impressionniste, et sa passion pour les joies simples du quotidien – l’Enfant au pâté de sable, de Berthe Morisot.. Mais là aussi, nous avertit-on, méfiez-vous des apparences… Taraudé par les problèmes d’argent, Monet ne renonçait pas pour autant à peindre des pochades évanescentes montrant sa femme au jardin, et usait encore de domesticité…

La dernière section tente de montrer comment du dessin d’enfant comme source d’inspiration, les artistes avant-gardistes en sont arrivés à rechercher cet archaïsme dans leur peinture. La démonstration est là peut-être un peu courte pour être convaincante.

Signalons une fois encore l’élégance de la muséographie, ainsi que la présence de nombreux cartels développés. Une exposition pour petits et grands.

 

“Quand j’avais leur âge, je dessinais comme Raphaël, mais il m’a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme eux.” Pablo Picasso

 

 

Visuels : © Attribué à Léonard Limosin, Portrait du futur François II, vers 1553 © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Gérard Blot
Anonyme, anciennement attribué à Philippe de Champaigne, Portrait d’un enfant mort; vers 1650, © Besançon, Musée des beaux-arts et d’archéologie, Photo © Charles CHOFFET, François-André Vincent
Madame Boyer-Fonfrède et son fils, Pierre Mignard © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau
Louise-Marie de Bourbon, duchesse d’Orléans, dite Mademoiselle de Tours, ers 1681-1682, Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, Photo © Château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / Christophe Fouin
Stefan Zick ou son atelier, Mannequin viscéral, Vers 1700, © Christian Baraja
Philippe-Auguste Jeanron, Les Petits Patriotes © RMN-Grand Palais / Daniel Arnaudet
Berthe Morisot, Eugène Manet et sa fille dans le jardin de Bougival © Musée Marmottan Monet, Paris / The Bridgeman Art Library
Maurice Denis, La Boxe © Olivier Goulet
Gaston Chaissac, Visage mélancolique © Christian Baraja ©ADAGP Paris 2016

Infos pratiques

Musée du Montparnasse
Atelier de Paris-Carolyn Carlson
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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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