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Landerneau expose le sculpteur, moderne et méconnu, Henry Moore

Landerneau expose le sculpteur, moderne et méconnu, Henry Moore

01 July 2018 | PAR La Rédaction


Depuis le mois de juin, le travail d’Henry Moore ( (1898-1986), peu visible et donc peu familier en France, fait l’objet d’une exposition à Landerneau, issue d’une collaboration de la Fondation Henry Moore et de la Fondation Hélène & Édouard Leclerc. La première en France sur l’artiste britannique depuis… 2002.

Par Mickael Faujour

Fier d’inaugurer l’exposition du sculpteur britannique, Michel-Édouard Leclerc annonce début juin, attendre 180 000 à 200 000 visiteurs pour ce qui, ajoute-t-il, inaugure un « cycle de collaborations internationales ». C’est en effet en s’associant avec la Fondation Henry Moore, située à Perry Green (Angleterre), que l’exposition a été conçue. Avec un programme copieux, qui déborde hors les murs, dans les rues de Landerneau (deux œuvres) et de Brest (une), le programme donne un aperçu tout à la fois de la profonde cohérence du travail de l’artiste, mais aussi de la diversité d’une production dont la France, qui ne possède qu’une seule de ses œuvres en collection publique et une sculpture dans les jardins des Tuileries, n’a guère idée.

Sagement – et judicieusement – chronologique (au début, du moins, puisque des rapprochements thématiques sont réalisés plus loin), le déroulé de l’exposition donne à comprendre, par une belle collection de dessins, l’ancrage double – voire triple – de l’artiste : à la fois occidental – classique tout autant que moderne (avec une influence nette du Picasso des années 1920, aux volumes puissants) – et extra-occidental, avec un intérêt, dès ses études d’art, pour les collections du British Museum. Somme toute, rien d’exceptionnel parmi les artistes modernes de son temps, que l’art « primitif » avait tant conduit à repenser l’art. Mais en puisant tout à la fois dans l’art préhispanique ou l’art des Cyclades (influence très sensible en particulier dans certaines des nombreuses sculptures préparatoires exposées sous vitrine) et dans les recherches formalistes propre à la modernité artistique, Henry Moore a trouvé une voie singulière. Une voie représentatve d’une modernité qui n’a pas rompu les amarres avec le classicisme et dans laquelle le dessin – pratique classique, s’il en est – est au fondement, de façon continue, d’une production faite à la fois de constances de motifs donnant lieu à variations, qu’à des nouveautés pleines de force. Un art qui, s’il tire parti de l’abstraction, dans des formes organiques, ne rompt jamais avec la figuration – se situant à l’entre-deux.

Ainsi, un rapprochement est fait avec le surréalisme, pour rappeler que ce courant n’a, à la vérité, que peu influencé Henry Moore, même s’il a participé à la grande exposition londonienne du surréalisme, en 1936. Là, sont exhibées quelques pièces étonnantes, bronzes matériellement puissants mais à la forme aussi élancée qu’acérée, qui rappelle plutôt le Picasso des Figures au bord de mer, et assortis de fils, aux airs d’instruments à corde ou de lyres orphiques de fantaisie : Stringed Figures.

Le déroulement de l’exposition donne à penser que l’affirmation de son art a été un processus lent, vers une maturité qui advient autour de la cinquantaine, même si son motif principal – Reclining Figure, un corps stylisé allongé reposant sur un coude – apparaît dès les années 1930, pour revenir encore et encore retravaillé durant toute sa carrière. Après la « tentative de l’abstraction » (le deuxième espace) et du surréalisme, son art entre dans une période moins marquée par les recherches formelles que par l’urgence sociale et politique. La section « Guerre » du programme présente une collection d’œuvres remarquables témoignant de l’effondrement généralisé de la civilisation et de l’humanté : la lithographie de 1939 Spanish Prisoner présente une figure stylisée derrière des barbelés, dans une gamme chromatique réduite, austère ; The Helmet, bronze de 1939 ou 1940, affirme une image exhaussée à haute de mythe, de symbole intemporel (au point de faire penser au masque de Darth Vador) ; la poignante série de dessins « documentaires » sur les populations londoniennes abritées la nuit dans les tunnels du métro londonien (1941), présente des visions puissantes de ce moment réel, bouleversant, cruel de l’histoire, exhaussée aussi au rang de visions mythiques, en particulier sa Study for ‘Tube Shelter Perspectve : The Liverpool Street Extenson », dont la perspective fuyante, décalée, rappelle le dramatisme de La Découverte du corps de saint Marc de Tintoret.

Curieusement, son guerrier au bouclier (Warrior with Shield) est postérieur de plusieurs années (1953-54) mais prolonge la méditation sur la guerre, avec une chef-d’œuvre qui a la puissance plastique et symbolique d’un archétype, d’une image absolue de la guerre, de la violence, de la résistance.

C’est peut-être une des forces majeures d’un grand artiste que, précisément, de produire des images archétypales, absolues, c’est-à-dire de donner à une idée, un sentiment, une forme qui en agrège toute la densité. Plus que les reclining figures, qui parcourent son œuvre de part en part, ce sont sans doute ses variatons autour de la mère et son enfant, qui en relèvent, tantôt avec rondeur et douceur (notmment le Primitive Mother and Child, aux airs d’idole archaïque, 1980), tantôt en une vision de cauchemar d’un enfant dévorant sa mère (Maquette for a Mother and Child, 1952).

Une constante attention au monde, au minéral, aux formes organique infuse aussi la sculpture de Henry Moore, comme en témoignent les curieux développements dessinés ou sculptés autour des mâchoires d’éléphants ou d’os. Ou bien encore, la très belle série de lithographies de Stonehenge, d’un effet et d’une puissance graphique qui rappellent beaucoup Loïc Le Groumellec.

L’indistinction devenue courante entre l’art parachevé, que l’artiste reconnaissait comme ses œuvres, et les « coulisses » de sa création, nous vaut d’accéder à et mettre sur un plan d’égalité, des productions finies et d’autres préparatoires. Mais même parmi ces dernières, la vitrine exhibant les nombreuses figurines montre des pièces pleines de séduction.

La section « Architecture », témoignant de ses irruptions dans ce champ, certainement la plus faible de l’exposition, donne à voir les limites de Henry Moore, du reste un artiste plutôt « dense », concentré autour de variations thématiques et formelles, plutôt que voué au perpétuel débordement de sa force créative comme Picasso. Mais les diverses sculptures verticales, notmment ses totémiques créatures Three Standing Figures (1953) montrent encore d’autres voies innovantes, étranges, au mystère séduisant, d’un art en fin de compte pluriel, bien riche et profond peut-être que ses reclining figures, plus connues des amateurs d’art sans doute, ne laissaient penser. Incontestablement, il s’agit d’une nouvelle exposition réussie dans un lieu où, il y a dix ans encore, personne n’aurait parié que pourrait s’installer un lieu d’art qui propose une programmation artistique de portée internationale tout en attirant le grand public, avec des choix esthétiques d’excellence mais dépourvus des facilités de l’art de l’orthodoxie néolibérale que collectionnent et exhibent volontiers les fondations d’oligarques. En ce sens, indépendamment de toute éventuelle considération fiscaliste, aucun doute, la fondation assure avec brio cette « mission de service public » que revendique Michel-Édouard Leclerc.

Exposition présentée au Fonds Hélène et Edouard Leclerc
du 10 juin au 4 novembre 2018

Visuel ©Fonds Hélène et Edouard Leclerc

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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