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La triennale de Vendôme réunit des artistes de la région Centre – Val de Loire

La triennale de Vendôme réunit des artistes de la région Centre – Val de Loire

27 May 2015 | PAR Flora Vandenesch

Vendôme accueille la première Triennale d’art contemporain de la région Centre. A l’initiative de la Drac, l’accent est mis sur la vitalité de la création contemporaine et la gratuité, dans cette manifestation destinée au public et ouverte à tous. En déambulant dans la ville au gré du parcours, on sent une belle émulsion naissante. En tout, 25 artistes plasticiens, photographes, cinéastes, graffeurs et bien d’autres, tous vivant et travaillant dans la région Centre -Val de Loire, sont exposés pendant 5 mois, au musée de Vendôme et au Manège de Rochambeau, réhabilité pour l’occasion.  Abritées sous le grand dôme de bois et de pierre, la plupart des oeuvres sont des nouvelles pièces, inscrites dans la modernité et le paysage urbain.

Depuis 10 ans, plus d’une centaine d’artistes ont été aidés par la commission des aides à la création de la Drac et il n’est pas toujours aisé de dresser un bilan du paysage artistique. Tous les trois ans, cette manifestation d’art contemporain va permettre la rencontre entre le public, les artistes et les oeuvres originales. Dans le climat actuel contestataire, où l’on constate souvent les baisses de contributions de l’aide publique à la culture, la triennale de Vendôme est à contre-courant et montre, au contraire, quels résultats peuvent naitre des aides apportées par l’état à la création artistique chaque année, en France. C’est un message positif que l’on reçoit en écoutant Damien Sausset, un des commissaires de l’exposition. “Nous avons été totalement libres et nous n’avons subi aucune pression de la Drac pour imaginer la triennale”. La majorité des artistes exposés sont lauréats des aides régionales à la création, mais pas seulement. Certains artistes comme Saâdane Afif, natif de Vendôme et Rémi Boinot, voient, eux aussi, leurs oeuvres exposées au musée de Vendôme et au Manège de Rochambeau. Le batîment, appartenant à la Drac, a été mis à la disposition des artistes. La Drac a imposé le lieu mais laissé une grande liberté aux commissaires dans le choix des exposants et dans la signalétique. Elle a aussi permis qu’il y ait 20000 exemplaires gratuits de programmes pour les visiteurs. On peut vraiment parler d’une triennale régionale, qui mise sur des artistes habitant, vivant et créant en région Centre – Val de Loire, sur un territoire où il n’y a pas beaucoup de centres d’arts.

La scénographie est pensée comme une ville plutôt que comme une exposition.

A la frontières entre deux réalités urbaines, près de la gare, une fresque à la peinture aérosol intitulée Sentimental Madness, prend forme sur le mur d’une vaste structure en béton, le bâtiment de l’Union à Vendôme. Ce bâtiment agricole du quartier nord, fermé dans années 90, a été investi par le tandem Monsieur Plume/IncoNito, deux graffeurs qui peignent à la bombe sur le haut mur et étendront leur fresque jusqu’à la corniche s’ils ont autorisation de la mairie. Mr Plume travaille le trait, IncoNito travaille plutôt le dégradé. Leurs proportions s’étayent à partir d’une esquisse, laissant ensuite une bonne part d’improvisation dans le dessin. La peinture se voit de loin, de l’autre coté de la ville, au delà de la ligne de démarcation qui existe entre le centre historique plutôt bourgeois et les quartiers Nord. Les deux artistes ont réalisé des questionnaires auprès des habitants de Vendôme et c’est eux qui ont déterminé le choix de la grande fresque. Les thématiques, créée autour de la paix et de l’homme submergé par l’industrialisation du monde, sont nées d’une réflexion et d’un dialogue avec les riverains. Le graffiti Sentimental Madness devient un signe, un repère, et permet aux habitants de s’approprier leur propre espace urbain. Le soir du vernissage le 23 mai, le tandem intervient également sur une maquette en bois du bâtiment de l’Union, dans l’enceinte du quartier Rochambeau. Le commissaire Damien Sausset souligne : “les habitants ont déterminé ce qu’il y a au mur. Il s’agit de se répandre, d’aller dans la ville, de contaminer le milieu urbain”.

Le lapidaire est au coeur du dispositif sonore

Au manège Rochambeau, chaque artiste a un espace, sauf Thierry-Loïc Boussard, dont les oeuvres prennent place en différents lieux, tout au long de l’exposition. Dans ce grand bâtiment de bois et de pierre, à la haute charpente et aux murs solides, on se sent à l’abri, prêt à découvrir ce que recèlent les multiples parti-pris artistiques. Parmi les thématiques soulevées le long du parcours, le travail de la pierre comme matériau et sujet de réflexion est central dans l’oeuvre des artistes exposés, notamment celle de Cécile le Tanneur. Dès l’entrée dans l’exposition, on peut apercevoir son tableau joliment nommé Lithaophone, entouré, de part et d’autres, de deux sculptures issues du fonds lapidaire. Au premier abord, on pense à un tableau en voyant Lithaophone. En réalité, il a tout d’une sculpture, composé d’un mur creux avec une structure de bois, de marbre reconstitué et d’un dispositif sonore. Quand on se penche près de l’oeuvre, on entend un son venir de la pierre. Cécile le Tanneur évoque ” les sons et les bruits perceptibles à l’intérieur de la masse de pierre  qui ont été composés à partir d’enregistrements des flux aquatiques des rivières, artères et canaux qui parcourent la ville de Vendôme, d’une part, et d’autre-part à partir d’enregistrements d’ultra-sons non audible à l’oreille. Ces ultra-sons amplifiés et augmentés donnent à entendre les vibrations imperceptibles, inaudibles et invisibles qui nous entourent. Les dessins visibles sur la pierre correspondent aux spectrogrammes sonores de ces sons et de ces flux continus.” Elle parle d’un mur instrument ” qui s’expose comme un immense détail sonore et visible de notre environnement immédiat turbulent et pourtant non visible. Les sons sont audibles par transmission osseuse.” La sculpture Lithaophone interroge ce qu’implique un volume, une forme ou une masse dans un espace. Cette interrogation fait écho aux questions que soulèvent Rémi Boinot à travers ses créations en plaçant un rocher qu’il nomme “bombe volcanique” au coeur de son installation, la pièce numéro 7. Intitulée Parmi les hommes, au beau milieu, elle regroupe différentes oeuvres, le film Oeil, le Pinceau suspendu, et Silence fossile, bombe volcanique. Cette roche au milieu de la pièce, est affublée d’un casque audio relié par un fil, planté dans la roche. Originale, intrigante, cosmique, elle semble détenir des secrets. On peut s’assoir dessus, écouter au casque. Et là, c’est le silence, un son total et absolu, à la mémoire du fossile.

“Si le néant est silence, cela questionne la nature du silence. Un aller retour possible qui n’existe pas.” Rémi Boinot

Différentes symboliques se répondent autour des éléments en interaction : Le pinceau d’où s’égoutte un liquide rouge brun, l’image de l’oeil du cochon noir sacrifié, la pierre au sol qui diffuse le son du silence. Dans un processus de construction, animaux, hommes et dieux dialoguent. L’oeil de sanglier, suspendu comme le pinceau, nous regarde. Dans sa pupille, on voit le reflet de Rémi Boinot, qui filme. Le pinceau aux gouttes couleur sang évoque aussi le sacrifice, quand on s’exprime avec sa plume, on risque d’être sacrifié. Rémi Boinot a créé cette installation avant les événements meurtriers de janvier et il a réalisé ensuite à quel point le sujet était actuel. Rémi est un passeur, il a connu Olivier Leroi et a suivi toute sa trajectoire. Il aime échanger et construire, créer des passerelles. Beaucoup d’artistes de la région sont venus chez lui, y ont puisé leur inspiration. Son oeuvre renvoie au minéral, créant elle aussi son histoire à partir du dépot lapidaire situé juste à coté de l’espace d’exposition. Le lapidaire, comme fil conducteur de la triennale d’art contemporain de Vendôme, dans cette région si belle pour ses constructions en pierre, cela a du sens. On revisite, à travers le regard des artistes, cette technique ancienne (le mot pierre étant issu du latin lapis) qui consiste à façonner et tailler les pierres, “de façon à les rendre dignes”. Pour Karine Bonneval, l’espace dédié à sa création a été primordial. Situé entre le dépôt lapidaire et le mur en pierre du manège, tout a l’extrémité est, l’endroit respire l’harmonie. La plasticienne a d’abord vu le lieu d’exposition qui l’a tout de suite inspirée. Elle s’est approprié l’espace et a composé avec la lumière. Son oeuvre Makarka, composée de 22 pains de sucre, évoque un cheminement autant physique que mental qui renvoie à la terre, aux éléments qui nous nourrissent. Karine Bonneval cite l’ethnologue Philippe Descola :” nous sommes des occidentaux tout en haut de la pyramide”, et s’interroge “comment nous replacer dans un tout vivant?”. L’artiste habite au milieu des champs dans la région centre et s’interroge sur le végétal exploité en tant qu’espèce consommée. Elle déclare : “Je travaille sur notre lien avec les végétaux”. Tout est quadrillé, normé. “Et on appelle ça la nature”.

Une oeuvre comestible

Ancrée dans le territoire, elle aime sa région et travaille sur des plantes vivantes auxquelles elle ajoute des composantes artificielles. La plasticienne explique : “La canne à sucre n’existe plus sous sa forme naturelle, elle est aujourd’hui modifiée. Ce sucre, appellé l’or blanc, était synonyme de grande richess et de profonde pauvreté, c’était des esclaves qui le récoltaient sous Napoléon. L’histoire du sucre, encore aujourd’hui au rang de première production agricole mondiale, raconte une double déportation, celle de l’humain et de la plante.” Makarka tire son nom du créole, nom qui désignait le sucre tout à la fin de la raffinierie, celui qui était destiné à produire de l’alcool. A la fois massive et éphémère, cette installation a été créée pour la triennale. Elle garde sa forme grâce à la température de l’air, tant qu’il n’y a pas trop d’humidité qui risquerait de l’abîmer. Karine Bonneval s’est un peu sentie comme une alchimiste en pensant cette oeuvre, grâce à la recette du sucre, sur le thème de la cristallisation. Entièrement en sucre, cuits au four à 110 degrès, les pains sont faits dans un moule alimentaire, avec du colorant mais sans conservateur. Ils ont un aspect brut et pailleté délicat de pierres précieuses. On peut toucher leur forme voluptueuse. Et la tête ronde des pains de sucre tient dans le creux de la main. “On pourrait les lécher”. Comme surgies du sol, les statues semblent naitre de ce pan noir duveteux, qui se teintera des couleurs blanches des pieds des visiteurs de passage, et deviendra noir et blanc comme les sculptures. A la limite du caramel, la matière organique prend des teintes très différentes d’une sculpture à l’autre, chacune unique, comme un dégradé de cristaux clairs et sombres tout au long de l’allée. Des teintes mauves, lie de vin, épousent le sol noir. Au coeur du manège Rochambeau, les évocations flottent entre les murs de pierre et les sculptures en sucre, éclairées par touches par une lumière transversale qui dessine et illumine la matière.

Visuels :

Karine Bonneval, Makarka, 2015, Sucre massé et colorant noir, production pour la Triennale de Vendôme, Malik Nejmi 4160, 2014, Installation vidéo splitscreen, couleur, quadriphonie, Musique originale de Mathieu Gaborit, Dorothy-Shoes, Titre indéfini, série ColèresS Planquées, Thierry-Loïc Boussard, Photo : Gilles Dinety, n° 2292 – 3 NYC, acrylique sur papier marouflé sur toile, 1997 signé TLB daté 5/12/97 et n° 2293 – 4 NYC, acrylique sur papier marouflé sur toile, 1997 signé TLB daté 8/12/97, Saâdane Afif, Fountain Archives FA.0174 , 2008 à aujourd’hui, Série de 137 pages arrachées depuis un livre puis encadrées © Courtesy Mehdi Chouakri, Berlin. Photo : Jan Windszus, Berlin, Cécile Le Talec, Lithaophone, 2015 (détail) Courtesy de l’artiste, Rémi Boinot, Œil, 2015, Video still de l’installation-vidéo, Parmi les hommes au beau milieu / Among mankind dead in the middle, installation, film 6.21mn en boucle, film Œil, boucle vidéo, disque-écran, altuglas ; Pinceau suspendu, 94 cm, matière composite, crin de cheval, bac en métal, sciure, réservoir, dispositif de goutte à goutte ; Silence fossile, bombe volcanique 120 x 70 x 70 cm, casque audio, 2015.

La Triennale de Vendôme, 1ère édition, 25 artistes de la région Centre-Val de Loire, Manège Rochambeau / musée de Vendôme, du 23 mai au 31 octobre 2015.

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