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[Interview] Le “Musée Passager” est-il le musée de demain ?

[Interview] Le “Musée Passager” est-il le musée de demain ?

29 April 2015 | PAR Constance Delamarre

Nous avons rencontré Laetitia Maffei, commissaire du Musée Passager dont la deuxième édition intitulée Vivre, a commencé à Alfortville du 4 au 26 avril, et continuera à Cergy-Pontoise et Meaux. Le Musée Passager est une structure itinérante en faveur de l’art contemporain, initié par la Région Île-de-France. Il crée le contact entre l’art, les territoires et les Franciliens, et sert aussi à promouvoir les richesses culturelles locales en s’installant au cœur des villes. Les Ateliers Frédéric Laffy dont fait partie Laetitia Maffei, ont eu pour mission la conception et la réalisation de ce projet. 

Le Musée Passager à quitté Alfortville dimanche 26 avril. Comment s’est passée cette première étape ?

Cette première étape s’est très bien passée, on était très content. Et surtout comme il a fait très beau et que le musée était sur les bords de seine, les gens profitaient du musée en même temps que leur promenade. Les habitants d’Alfortville ont beaucoup participé, on eu 6000 visiteurs en tout. Il y avait 1000 personnes au carnaval avec près de 400 enfants, et environ 200 personnes à chaque événement. On a eu des retours très sympathiques dans le livre d’or, aucun retour négatif, donc c’est agréable. Marine Antony a eu beaucoup de succès avec son installation dans un espace noir avec des plaques phosphorescentes dans un lieu appelé la Chapelle. Le titre de l’exposition cette année c’est Vivre. On a choisi de reconstituer une maison, avec la terrasse, la chambre, le salon et la chapelle comme un lieu méditatif. L’idée est de montrer que l’art est fait pour vivre avec quotidiennement, et n’est pas que fait pour les musées. Il faut que les visiteurs puissent se le réapproprier leur espace domestique.

Le programme du Musée Passager  à Cergy-Pontoise et Meaux sera-t-il le même ?

L’exposition ne change pas d’une étape à l’autre. Ce qui change se sont les événements autour organisés en partenariat avec les structures et associations locales, pour mettre en valeur la culture du territoire d’accueil, du street art, de la danse, de la musique, du théâtre…

Pourquoi Alfortville, Cergy-Pontoise et Meaux, des villes de banlieue éloignées de Paris ?

Paris a une offre culturelle importante et notre but est de s’installer dans des villes où l’offre contemporaine est moins importante. On s’est rendu compte que les gens ne vont pas sur Paris donc il faut venir à eux. Le Musée Passager est conçu comme un lieu ouvert sur l’extérieur. Il n’y a pas de portes, et les gens peuvent entrer sans s’en apercevoir. Une fois qu’ils sont rentrés, il y a une équipe de médiateurs qui les accueille et les guide, car le dialogue est très important.

L’idée d’un Musée Passager est donc venue d’un manque ou d’un besoin culturel. 

Exactement. Avant j’étais administratrice d’un centre d’art du réseau TRAM Île-de-France (ndlr: Réseau d’art contemporain) et je me suis rendue compte que quand il y a un centre d’art dans une ville, peu en connaissent l’existence. Le Musée Passager se place donc en centre des villes, avec une programmation événementielle en plus de l’exposition, avec des pratiques amateurs, pour attirer le public. On met en place des visites scolaires gratuites qui sont déjà pratiquement toutes réservées, ainsi que des ateliers de pratiques artistiques gratuits et ouverts à tous qui proposent un travail en écho avec une œuvre exposée.

Est-ce une offre au-delà du musée ?

Tous les musées font ça maintenant. On offre ce que fait un vrai musée avec la même qualité, comme le Louvre par exemple.

Le principe est donc de venir à la rencontre des visiteurs parce qu’il n’y a pas d’offres culturelles près d’eux, mais est-ce aussi parce qu’ils ne vont pas d’eux-mêmes dans les musées ?

Il y a un a priori sur l’art contemporain qui est jugé souvent difficile. On veut montrer que l’art contemporain n’est pas seulement conceptuel mais qu’il offre aussi un regard sur notre monde, avec des œuvres qui interpellent tout de suite. A l’édition précédente, des gens disaient aux médiateurs ou écrivaient dans le livre d’or qu’ils n’étaient jamais entrés dans un musée avant. On veut créer un lieu familial et convivial.

Est-ce un musée seulement pour les habitants de la ville où il s’installe ?

En grande partie oui. En revanche à Cergy-Pontoise on sera sur un lieu de passage à la sortie du RER Cergy-Préfecture. On pense qu’il y aura plus d’étudiants avec l’université, et des gens qui travaillent à côté, par rapport à Alfortville. L’année dernière à Saint-Denis, le public était plus parisien car on était à côté d’une station de métro, ce qui les effraie moins. Mais le but est d’abord d’attirer le public local. Les gens vont prendre 5 minutes pour découvrir le musée, même s’ils ne l’avaient pas prévu. On doit capter les spectateurs sur leur passage.

Est-ce que cela permet d’avoir la conscience d’appartenir à un même territoire ?

Les gens le sentent et aiment qu’on mette en valeur leur territoire. On propose une scène ouverte pour mettre en lumière ce qu’il se passe culturellement sur le territoire, ce qui donne effectivement un sentiment d’appartenance. Les gens s’approprient le musée et reviennent deux ou trois fois. C’est un lieu familier et familial, les enfants en visite scolaire reviennent avec leurs parents…

Ce genre de projet culturel permet-il un impact sur l’identité de la Région Île de France ?

On essaie de créer un événement qualitatif qui montre l’art contemporain aujourd’hui. La Région a une vision novatrice et dynamique de son territoire, c’est pourquoi elle est à l’initiative de ce projet.

Les musées sont souvent associés au lieu dans lequel ils sont implantés, comme le Centre Pompidou appelé communément Beaubourg comme son quartier. Qu’apportent l’itinérance et la mobilité par rapport à un musée classique ?

Le Musée Passager s’étend sur deux ou trois semaines et mobilise les habitants par l’aspect événementiel. Quand un lieu est pérenne, c’est difficile de faire venir le public donc il y a la création d’expositions ou d’événements. Là le musée est l’événement.

Les visiteurs du Musée Passager seront-ils les visiteurs des musées classiques ?

Oui. L’année dernière on avait une œuvre de Bill Viola alors qu’il y avait en même temps une rétrospective au Grand Palais à Paris. Certains nous ont dit qu’ils y étaient allés avant et on incitait les autres à y aller. C’est une réussite car beaucoup de gens ont exprimé le fait qu’ils retrouvaient un accès à l’art contemporain. On renoue avec le public.

Vous évoquiez les scènes ouvertes avec du street art… Nous avons été à l’exposition Hip-Hop, du Bronx aux rues arabes à l’Institut du Monde Arabe et nous avons constaté que ce qui était exposé était différent d’un musée traditionnel. Proposer de la culture urbaine est-il le moyen d’amener le public à découvrir l’art contemporain ? 

Absolument. Il y a un gros succès autour du street art, il y a de plus en plus d’amateurs. Notre jardin a d’ailleurs été conçu par deux artistes de street art, comme Aleteïa qui vit et travaille entre Paris et Grigny. C’est un art visuel, souvent figuratif, qui montre un univers et qui est donc plus facile d’accès qu’un artiste conceptuel. Mais cela prouve que le public a un intérêt pour l’art contemporain et les artistes qui font du street art ont aussi envie de renouer avec le regard.

Est-ce que cela permet aux jeunes d’enter au musée et de découvrir l’art contemporain ?

Évidemment. C’est une expo accessible quelque soit l’âge. Il n’y a pas de barrières, pas de règles, on peut entrer avec ses rollers, une poussette… Nous avons eu un groupe de dix jeunes qui parlaient dans le musée. Les gens ont le droit de s’exprimer, de parler. Nous avons d’ailleurs une œuvre musicale…, c’est un lieu vivant, un musée où il faut parler. On peut même crier, courir et même toucher les œuvres. Les gens deviennent respectueux car on leur montre que ça leur appartient.

Est-ce ça le musée de demain ?

Oui, un musée de vie et qui fait partie de la vie. On veut désacralisé le musée, que ce ne soit plus un temple. Le musée fait partie de la vie d’aujourd’hui.

Le Musée Passager, du 4 au 24 mai à Cergy-Pontoise dans le quartier du Grand Centre, puis du 1e au 21 juin à Meaux sur la Place Henri IV. Plus d’informations ici.

Propos recueillis le 28 avril 2015.

Visuels © Hugues-Marie Duclos /  Région-Ile-de-France

Immigrants, Bettie Nin, 2011 © Bettie Nin and Galerie Perception Park

Surface, Casey Reas, 2009 © DAM Gallery

Time Was, Time Is, Alexandra Gorczynski © Alexandra Gorczynski and Zhulong Gallery

Black over blue, Marine Antony, 2011© Hervé Jolly

 

 

 

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