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« Intériorités », voyage au cœur de l’inquiétude à LaBanque Béthune

« Intériorités », voyage au cœur de l’inquiétude à LaBanque Béthune

08 September 2017 | PAR Yaël Hirsch

Ce jeudi 7 septembre 2017 vernissait le deuxième volet de la trilogie de « La traversée des inquiétudes » que la commissaire Léa Bismuth déploie sur trois ans à LaBanque Béthune. Après une première exposition articulée autour des flammes de La Part maudite, c’est l’Expérience intérieure et donc l’intimité qui est le texte-gouvernail de cette grande et sombre expérience collective. Avec une majorité d’œuvres crées pour l’exposition, Intériorité est un voyage où l’on côtoie le « vieux capitaine » le plus ricanant pour une immersion dans la création mélancolique. 

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A une heure dix au Nord de Paris, Béthune est moins courue de Lille, Lens ou Roubaix pour ses musées. Et pourtant, installée dans une ancienne banque, LaBanque est un lieu tout à fait saisissant. Pendant trois ans, cet espace unique et ce lieu dédié non seulement à l’exposition mais également à la création d’art contemporain vibre au rythme de l’œuvre littéraire et philosophique de Georges Bataille. Orchestrée par la commissaire Léa Bismuth, la recherche est pointue, collective et très documentée (n° sécial d’artpress pour chacune des trois expositions, cartels efficaces …). Pour le visiteur, le deuxième volet de la trilogie se présente comme « une expérience habitée de nuit », selon le beau mot de la curatrice. Une nuit étoilée où la lumière des performances brille encore et où l’on passe d’un espace confiné à un autre pour vivre la mystique dans la crainte de la claustrophobie : On s’avance de la caverne platonicienne à la chambre intime avant de grimper sur le sommet noir de l’Etna et de redescendre dans le labyrinthe ou dans le coffre d’une relation érotique Laure/Bataille explicité par les voix.

C’est donc dans le noir qu’on entre dans l’exposition, par un grand plateau central, où nous accueille un coquillage-cercueil de charbon explosé par la performance de l’artiste japonais Atsunobu Kohira. A ce cercueil, une grande plaque d’Inversion photographique noire signée Yokota Daisuke a été réactivé depuis Arles 2015 pour « Intériorités ». Juste à côté, Clément Cogitore travaille sur le giron de Lascaux, Marguerite Duras fait des travellings amoureux dans Paris avec Les mains intérieures et Romina de Novellis se promène telle Gradiva avec un chariot d’or dans Pompei. Au fond de cette première pièce rituelle, Sabrina Vitali a créé une structure de désir qui invite à refléter son âme dans une architecture japonaise et à l’ombre de sucre étalée comme de la chair.
En descendant d’un étage l’on passe devant une vidéo de la performance de Atsunobu Kohira avant d’entrer dans le dispositif labyrinthique de Frédéric Oberland : son, stroboscope et photos surréalistes de paupières nous promènent dans les couloirs vides et les placards dépossédés de leurs dossiers du sous-sol de la banque. La médiation mène à des totems et des miroirs sacrifiés au four à verre de Pia Rondé et Fabien Saleil.

A l’étage on entre enfin dans l’intime, sur un visage qui se cache des mains, dessiné par Jérôme Zonder. Nous sommes dans l’appartement de l’ancien directeur de la banque, avec parquets et moulures et l’espace et saucissonné en alcôves. Dans l’une d’entre elles se nichent trois fac-similés de dessins de Georges Bataille lui-même. Ils sont conservés au MoMA et visibles pour la première fois en France. Un « cabinet secret » réunit des photographies fétichistes de Pierre Mollinier, des photographies sexy et vintage de Eugène von Bruchenhein et des photographies surréalistes d’un certain Zorro. Teintée d’érotisme, l’expérience intérieure est un enfer aguicheur. Dans la pièce d’à côté, Claire Tabouret a réalisé des icônes tout aussi sexy avec des « étreintes » inspirées par un magazine d’époque où le bondage est bienvenu. Alors que les palimpsestes et les jeux de cache-cache de Anne Laure Sacristie réactivent Masaccio et les Pierre Klossowski de la première partie de l’exposition, la chambre de Chantal Ackerman tourne en rond comme une nature-morte rassurante, en face d’une salle de bain vénitienne signe Gilles Stassart où coule l’eau noire et où il manque clairement la sensualité de la Jeanne-Moreau d’Eva remplacée par un suicide filmé en direct. L’étage se termine sur les Larmes d’éros de Bas Jan Ader après les restes rituels et colorés d’une expérience de coloriage sous hypnose et masques aux yeux clos de l’argentine Florencia Rodriguez Giles.

En haut, au paradis, c’est à l’ascension de l’Etna que nous convie Marco Godhino en présentant films, cartes postales et objets de ce voyage saturnien qui enveloppe délicatement une pièce où l’on voit des œuvres de Charlotte Charbonnel.

De la caverne au basalte en passant par la chambre et le labyrinthe, il est temps de se rendre au coffre et de retrouver le sel de l’expérience intérieur de bataille : l’érotisme, à travers une lecture de l’Alleluiah, dédié à Laure et que l’on peut lire sagement à des bureaux de banque…

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Traversée inquiète d’espace clos qui mène vers ce qui s’ouvre en soi, Intériorités offre un voyage dans une beauté et une créativité plus saturniennes que convulsives. A faire et à refaire, avec des tours et des détours, en ne perdant pas le fil d’Ariane des explications éclairantes qui sont fournies dans la nuit…
Visuels : YH et logo

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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