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Exposition Indochine aux Invalides : Essor et déclin de l’Extrême-Orient français

Exposition Indochine aux Invalides : Essor et déclin de l’Extrême-Orient français

19 October 2013 | PAR Franck Jacquet

 

En 1954 prenait fin l’existence de l’emprise française en Indochine à la suite de la piteuse et annoncée défaite de Dien Bien Phu. L’Indochine reste dans les mémoires pour cet événement et on oublie souvent que la France fut une puissance impériale durant plusieurs siècles avant d’être durablement présente entre le milieu du XIXe et le milieu du XXe siècle. Jusqu’à la fin du mois de janvier, le musée de l’armée revient donc sur un siècle d’empire français. Excellant sur la pédagogie, l’exposition a du mal à justifier le pluriel dans le mot « hommes » de son intitulé et à se détacher d’un point de vue « classique » sur les colonisés.

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Un bel accrochage chronologique

Le parcours de l’exposition est d’une rigueur toute militaire, construit sous l’égide de Christophe Bertrand et Emmanuel Ranvoisy. Quatre salles pour un parcours chronologique : les prémisses, la conquête, les aspects de l’empire français au premier vingtième siècle, la guerre de décolonisation. La seconde et la quatrième partie sont, dans la tradition des expositions du musée, les plus développées et les mieux maîtrisées. Le choix a été fait de passer insensiblement entre la période des influences et celle des conquêtes, dans le cadre d’une enfilade de vitrines ouvertes si bien que, presque insensiblement, cette conquête paraît elle-même évidente sinon naturelle. Le propos évidemment désamorce : les résistances sont nombreuses, la conquête est en réalité longue, difficile, ponctuée d’événements d’ampleur comme la prise de Tourane et la lutte contre la Chine soutenant les visées indépendantistes du Vietnam, sous son influence pluriséculaire. Les détails sur cette conquête menée tantôt volontairement, tantôt par opportunisme et pour appuyer le commerce français sont extrêmement bien exposés grâce à de nombreuses cartes et un découpage rigoureux : le non spécialiste comprendra enfin les divisions historiques dont les Français doivent tenir compte sous Napoléon III comme sous la République entre Annam, Cochinchine, Cambodge et Laos. Au fond, la conquête s’étale sur des décennies, entre l’arrivée de la corvette Le Catinat en 1856 et la fin de la pacification en 1897 d’un territoire s’étalant des confins du Raj britannique au Yunnan. On notera que l’impérialisme français dans cette partie du Sud de la Chine a été laissé de côté alors qu’il n’était qu’un prolongement de cette emprise sur les territoires. La France rêve alors de villes coloniales plus grandes de Paris, en particulier pour Saigon mais aussi déjà pour Phnom Penh. A chaque étape de la conquête on perçoit les acteurs (chefs militaires, parfois civils, mandarins et notables locaux plus ou moins résistants) et ceux qui les suivent (commerçants, militaires ethnographes…). La conquête est ainsi incarnée. Enfin, on comprend ses racines avec la première salle qui nous permet de comprendre l’influence ancienne de la France, particulièrement sur le plan religieux. On regrettera simplement que l’exposition oublie que la conquête fut aussi une affaire de partenariats et d’appuis réciproques avec les Anglais dont d’ailleurs quelques drapeaux sont présents dans les objets exposés.

Le second point fort de l’exposition est de revenir tout aussi précisément avec force de documents cartographiques, de plans (pas seulement militaires) et de vidéos permettant de donner chair à cette armée française franchement en déroute progressive face au Viet Minh dès 1946. L’emprise militaire française se réduit progressivement et on comprend pourquoi la tactique défensive est privilégiée dès avant 1950. Tactiques et stratégies des belligérants apparaissent ainsi très clairement. Le point marquant sera sans doute ici, à côté des uniformes ou des traces de l’organisation des maquis communistes, une vidéo du retour des prisonniers de guerre français qui n’ont pas été massacrés ou qui ne sont pas décédés dans des camps que d’aucuns ont comparé à un système concentrationnaire. Les corps faméliques de soldats au faciès européen, africain ou même asiatique (ils ne furent sans doute pas nombreux à en réchapper) témoignent de la diversité du corps expéditionnaire dont la logistique est d’ailleurs américanisée. Le visiteur comprend donc bien la réussite puis l’échec, à plusieurs décennies de distance, du contrôle des territoires indochinois.

De la didactique… militaire
Le parcours bénéficie d’un ton très didactique se traduisant non seulement par cette construction rigoureuse mais aussi par des cartels simples, explicatifs mais clairs et précis. Ils sont doublés de cartels destinés aux enfants. Au total l’effort consacré permet de donner une grande clarté à la conquête comme au système de la présence française ou de la différence d’organisation entre les armées et les forces opposées durant la Seconde Guerre mondiale et la guerre de décolonisation. Les affiches et documents de propagande se répondent ainsi sur une période très complexe entre 1940 et 1946, alors que se succèdent les acteurs vichystes, gaullistes, anglais, américains, soutiens indigènes à la colonisation et opposition communiste peu à peu trustée par le personnage d’Ho Chi Minh dont aucune image d’ampleur n’est présente, assez étrangement. Un beau fouillis que l’exposition parvient à déjouer au détour des salles 3 et 4.

Les incontournables pédagogiques sont là : Cao Bang et Dien Bien Phu pour les batailles ; un insert sur le débat colonial exposant notamment, autour de la question sur le Tonkin, des citations de Clemenceau ou de Ferry ; la contribution des asiatiques à l’effort de la Première Guerre mondiale… Les vidéos viennent souvent en appui.

La colonisation par les colonisateurs
A l’inverse, on saisit moins aisément les aspects économiques et culturels de l’emprise française. Ils sont présents, incontestablement, mais si l’exposition cherche à restituer les « hommes » dans leur diversité, ils n’y sont pas vraiment. On ne perçoit jamais le regard des colonisés que par une digestion française / occidentale. En effet, la conquête est effectivement un moment d’exploration et les vitrines laissent de larges places aux « militaires anthropologues ». Mais nous voyons leur silhouette avant tout, de même que les premières vidéos tournées sont empreintes du point de vue occidental. Le souhait de croiser les regards est donc bien difficile quand la majeure partie est occupée par les uniformes, les plans et les productions matérielles des Français. La résistance à la colonisation sur laquelle le propos est très clair donne mal à voir ce qu’étaient les mandarins, cadres essentiels des sociétés concernées. La société des années 1920 et 1930 est un peu mieux illustrée dans la troisième salle, mais décidément, on a du mal à distinguer ce qui relève de l’essentiel dans cette société coloniale des clichés orientalistes : on pense à cette figure ondulée de la danseuse khmère si typique, ou encore la place des prostituées dans l’ordinaire militaire, ici nommées les « horizontales ». Sur ces aspects mais aussi sur la question des métissages qui n’étaient pas totalement absents, on complètera l’exposition avec l’ouvrage de Brocheux Pierre et Hémery Daniel, Indochine, la colonisation ambiguë.

L’exposition permet donc, par un parcours pédagogique, clair et très structuré, de comprendre comment s’est construite puis délitée l’emprise sur les territoires composant l’Indochine. Les supports culturels, démographiques et économiques de cette présence sont certes énumérés mais on ne perçoit pas tout à fait leur portée, comme si les deux mondes, l’européen et l’asiatique n’avaient été que juxtaposés…

Visuels

Visuel 1 : Habit en soie de Grand-duc annamite du général Warnet, XIXème ; © Paris – musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Emilie Cambier
Visuel 2 : Parachutage sur Dien Bien Phu, 1954 ; © Paris – musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / ECPAD.

Infos pratiques

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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