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« Exagérer pour inventer », Joana Vasconcelos fait bien plus qu’un crochet par l’Hôtel des Arts  [Toulon]

« Exagérer pour inventer », Joana Vasconcelos fait bien plus qu’un crochet par l’Hôtel des Arts [Toulon]

17 July 2018 | PAR Yaël Hirsch

Jusqu’ au 18 novembre, les points de Joana Vasconcelos habitent avec éclat et intimité le centre d’art du Département du Var, à Toulon. Pensée pour le lieu, l’exposition “Exagérer pour inventer” propose une plongée dans 20 ans de création.

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« Le grand défi c’est d’être à la fois décoratif et conceptuel, dégager du sens », déclarait Joana Vasconcelos lorsqu’elle était la première femme à exposer à Versailles (lire notre article). À Toulon, on comprend bien ce qu’elle ajoute quand elle dit « Je désire réaliser des œuvres qui invitent le spectateur à se projeter. Mais selon sa culture et son âge, il y voit différentes choses ». Sur deux étages, prend place l’exposition riche d’œuvres de collections privées (David Fleiss, Luis Adelantado, Fondation EDP… ) et entièrement pensée pendant deux ans par l’artiste pour l’Hôtel des Arts qui était l’ancienne sous-préfecture (un bâtiment du 19ème siècle administratif, donc) et qui a été mis par le département au service de la culture quand la ville est passée FN en 1995.

La première chose qui frappe le regard est l’immense Walkyrie It’s raining men (2018) créée pour l’événement. Dans une grande installation de cravates, pantalons, chemises et chaussettes qui semble manger le rez-de-chaussée pour grimper comme une végétation folle aux extrémités phalliques jusqu’à l’étage, l’artiste fait un clin d’œil au fait que le commissaire, Jean-François Chougnet, est un homme. Il a fallu pas moins de dix jours aux équipes de Vasconcelos pour mettre en place ce monument coloré, joueur et parfait pour l’espace. Et c’est debout, les mains dans les pantalons qu’elles ont parfait les coutures de cet immense étendard.

Or, très vite, l’on retrouve Joana Vasconcelos, via un film, dans son milieu très féminin familier : la grande sororité des tricoteuses ou crocheteuses avec un beau film qui magnifie celles qui brodent son œuvre (une seule femme par pièce pour que les nœuds soient égaux). Il y a l’équipe des femmes, jeunes et moins jeunes, qui suivent Vasconcelos dans son art et il y a des monuments clés du Portugal millénaire. Le pays d’origine de l’artiste (et le premier qui l’a reconnue) est omniprésent, dès le cartel qui nous rappelle que le mot crochet est passé tel quel de la sphère lusophone à la langue française, avec ses traditions. Et le Portugal est aussi présent, à travers ses monuments emblématiques, le mythique travail d’après les animaux de Rafael Bordalo Pinheiro (1846-1905), les azuléjos (mosaïques) ou la tapisserie d’Arraiolos qui retient dans ses fils les deux cygnes amoureux du Pas de deux (des français 2002) grimaçants. La première chanson culte et portugaise de l’Eurovision (2005) ainsi qu’un « Luso » Nike (2006) viennent parfaire cette image mi-enracinée mi-ironique d‘un Portugal entré dans la mondialisation.

L’autre grand thème est tout aussi identitaire et ambigu. Chez Vasconcelos, la panoplie de la parfaite ménagère se mélange avec les monuments emblématiques de la civilisation quand crochet, tricot, mosaïques et fils électriques, unissent le lavabo (Dripping Springs, 2015), la manique de cuisine (Big Booby, 2016), le sèche-linge (Neonblanc, 2004) et la télévision emmaillotée dans du crochet avec la Porte d’Ishtar du temple de Pergame (2016) ou un doublé du fameux urinoir (Marcel Marcel, 2017).

Le culte de l’apparence notamment pour les femmes est dénoncé avec recul et intelligence dans Fashion Victim (2018) qui est en mouvement et fait écho aux bigoudis ironiques de Style for your Hair (2000), le duo de potiches Lilaea et Madison (2017) ou le Bundex Car (2000) qui exhibe sur un chariot des rouleaux de papier toilette en lieu et place de seins magnifiés par de la lingerie push-up.

Les genres se catapultent entre le travail domestique et non valorisé de la femme au foyer et les œuvres faîtes pour l’éternité dans un séisme de valeurs qui donne à réfléchir. D’autant plus que du côté des matières, tout est toujours précieux et très travaillé : la maison de poupée, quand le Berengo Studio de Venise souffle son verre (2015) et même le pauvres animaux de faïence suspendus par le col et méthodiquement fracassés dans l’installation Passerelle (2005).

Disposé dans des alcôves, le tout joue de l’intime et des spécificités de l’espace pour un parcours à la fois noble, ludique et grinçant et donne en effet à réfléchir tout en se projetant. Et sans jamais oublier de faire un travail de contextualisation culturelle. Travail que l’Hôtel Départemental des Arts prolonge avec des visites guidées les mercredi, samedi et dimanche à 15h30, une visite imaginée par Vasconcelos elle-même pour donner des outils aux enfants (qui ont d’ailleurs leur propre espace dans le musée).

Aux côtés de ce travail de Vasconcelos qui est elle-même allée voir la Walkyrie qu’elle a inspirée à des élèves du collège Jacques Rivière de Marseille, l’HDA de Toulon propose chaque samedi pour qui veut des Ateliers de peintures de Rue Action, en partenariat avec le centre social de Toulon. Et autour de cette nouvelle exposition, ne manquez pas la performance de VR de Gwendaline Bachini à 10h et 18h lors des Journées européennes du Patrimoine, les 15 et 16 septembre, ainsi que les concerts de Hilfiklub (28/09), Roger JR (12/10), Joe Bel(13/10) en partenariat avec Tandem. En partenariat avec Jazz à Porquerolle, Diego Imbert et Michel Perez viendront jouer le 8 novembre et une soirée de poésie autour d’Attila Josef est prévue le 18 octobre.

Visuels : visite de l’exposition © YH

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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