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Eli Lotar au Jeu de Paume : une première rétrospective

Eli Lotar au Jeu de Paume : une première rétrospective

14 February 2017 | PAR Alice Aigrain

Dans le cadre des 40 ans du Centre Pompidou, le Jeu de Paume s’associe à l’institution pour proposer une exposition d’un de ses fonds de photographies encore relativement méconnu. L’occasion pour le public de découvrir la production moderniste et protéiforme d’Eli Lotar.

Vers une réhabilitation ?

Eli Lotar ne fait pas partie des photographes modernistes parisiens célébrés et reconnus, malgré une production importante, de nombreuses publications. Sa mise en valeur dans une importante exposition au Jeu de Paume est donc le début de ce qui semble être un mouvement de réhabilitation de son œuvre. Un fonds de 9000 négatifs et d’une centaine de tirages vintages dormait pourtant dans les réserves du Centre Pompidou depuis les années 1990 jusqu’à ce que Damarice Amao, commissaire de l’exposition, décide d’en faire une étude approfondie au cours de son doctorat.
Si un premier accrochage de ses photographies avait eu lieu en 1993, l’exposition du Jeu de Paume propose une vision plus élargie et complète de l’œuvre de Lotar. À la clé, quelques belles découvertes photographiques s’offrent au regard du spectateur. Il est pourtant difficile d’appréhender la production d’un artiste qui s’est essayé un peu à tout, en fonction de ses rencontres, de ses préoccupations et de ses engagements politiques. Ceci explique peut-être pourquoi il a été difficile à l’histoire de l’art de lui accorder une place. Il n’existe pas dans sa production une singularité ou une spécificité qui rende ses photographies reconnaissables parmi toutes. Dès lors, il est compliqué d’ériger un mythe autour d’une œuvre aussi multiple. Les sujets de ses photographies varient, comme sa technicité. L’exposition propose donc de prendre le problème à revers : et si c’était la richesse et la variété de sa démarche qui constituaient sa singularité ?

Moderniste, documentaire, avant-gardiste, surréaliste…

L’exposition s’oriente donc autour d’un parcours thématique dont les catégories parfois trop larges tendent à perdre un peu le propos. De sa rencontre et de sa formation au côté de sa compagne Germaine Krull découlent des photographies exemplifiant dans la prise de vue la modernité même du médium photographique (gros plan, contre-plongée…) et prenant pour sujet les paysages urbains et industriels. À ces déambulations à la recherche du moderne de la ville semblent s’ajouter peu à peu l’étonnement et l’onirisme. Il se rapproche alors de la photographie surréaliste, et publie dans les revues emblématiques du mouvement telles que Documents ou Minotaure. De nombreux reportages paraissent en collaboration avec des représentants de l’avant-garde littéraire, de Jacques Prévert à Georges Bataille. Quant à sa petite production cinématographique, elle se fait au côté notamment de Vitrac, Artaud ou encore Buñuel. Ses photographies, ses photomontages et ses films questionnent ainsi l’étrangeté et la bizarrerie dans un prisme tantôt joueur tantôt poétique.
Ce rapprochement de la mouvance surréaliste semble se faire tant pour des questions esthétiques que par ses engagements politiques. Engagé auprès de l’Association des artistes et écrivains révolutionnaires, il change alors sa manière de photographier en fonction de l’occasion. Il se détache de l’esthétique moderniste ou avant-gardiste pour se rapprocher d’un style plus documentaire, qu’il juge comme étant le seul capable de porter une revendication politique. Il tourne quelques films et propose à la presse tel que Variétés, Détective, Vu ou Jazz des reportages explicitement engagés. Au tournant des années 1930, il opère ainsi un changement dans ses prises de vues, en adoptant plus clairement une esthétique documentaire. Celle-ci cohabite pourtant de façon concomitante avec des projets à l’esthétisme avant-gardiste, avant de s’imposer de façon quasi exclusive dans sa production. L’exposition se clôture sur son travail en collaboration avec Giacometti, le dernier de ses projets, montrant ainsi que Lotar questionne encore et toujours l’adaptation du fond et de la forme.

Ode aux tirages d’époque et aux documents

De ces allers-retours dans l’esthétique et l’œuvre d’Eli Lotar découle une exposition qui tente de se débattre avec une production qui explore plusieurs horizons photographiques et esthétiques sans continuité chronologique. Indicielle de son cercle relationnel, de ses engagements politiques, de ses déplacements, l’œuvre de Lotar est difficile à exposer, dans le parcours linéaire qu’impose les espaces muséaux. Pourtant le Jeu de Paume réussit à rendre le propos assez intelligible grâce à la mise en relation des vintages avec des images inédites ainsi que des documents. Si la mise en avant des tirages d’époque semble un peu exagérée – à l’exception des photomontages, la plupart ne présentent pas d’intérêts majeurs par rapport à un tirage moderne -, ces photographies sorties pour la première fois des réserves du Centre Pompidou, dialoguent bien avec les tirages modernes de négatifs et les fac-similés des reportages dans la presse et démontrent ainsi la diversité des approches de Lotar.

© Eli Lotar

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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