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Corpus Baselitz : Autoportraits réflexifs et incarnés au Musée Unterlinden

Corpus Baselitz : Autoportraits réflexifs et incarnés au Musée Unterlinden

22 September 2018 | PAR Yaël Hirsch

Pour le 80e anniversaire de l’artiste allemand Georg Baselitz, le seul musée Français à lui rendre hommage est le Musée Unterlinden de Colmar. A voir jusqu’au 4 novembre (exposition prolongée!)

Après l’exposition que lui a dédié la Fondation Beyeler au Printemps, depuis le mois de juin, le Musée Unterlinden présente 70 œuvres de Georg Baselitz : il s’agit d’une somme issue de sa série d’autoportraits amorcée fin 2014, où le maître se confronte à la fois à son âge et aux peintres qui l’ont inspiré : (Bacon, Duchamp, Dubuffet, Dix, Picasso, ou Titien…)

C’est au cœur de la nouvelle aile du musée Unterlinden de Colmar, sur deux étages départagés par une piscine dans l’espace créé en 2015 par les architectes Herzog & de Meuron que se déploie cette exposition riche de 70 œuvres. La résonance de ces œuvres avec le trésor du Musée (exposé dans la chapelle) : le Retable d’Issenheim, signé Grünewald et datant du 16e siècle est également forte. Sur le mode de l’autoportrait sans tête et parfois sans buste, notamment le magistral étage du hauts où d’immenses toiles parfois diptyques ou triptyques trônent sous un toit qui fait penser à un grenier, Baselitz interroge la peinture en même temps qu’il affirme la survivance de ses fantômes et de sa matière au 21e siècle.

Et étrangement, la cycle (encore en cours) commence sur une note finalement assez apaisée. Comme on l’attendait, l’expérience débute la tête à l’envers dans une toile de nu sans tête où le corps rose translucide semble reposer sur un matelas noir, en face comme gratté sur le côté d’une grande toile, « La dixième nuit, descente rapide » semble se dérouler quand tout est consommé. Le personnage est posé sur le flanc de manière inhabituelle : alors que Baselitz peint de plus en plus allongé au-dessus de ses grandes toiles, afin de préserver son corps, on semble quitter sans regret le diktat de la verticalité des corps et de leur inversion.

Derrière, une puissante sculpture-tente en bois noir, des œuvres sans titre en papier montrent des nus roses et allongés, eux aussi. « Nous roulons. Vers le bas » (2016) est une grande toile noire où le corps blanc et acéphale du personnage principal est latéral: il semble nager comme un poisson.

A mi-parcours de cette première salle, on retrouve Baselitz tel qu’on le connaît et l’on recommence à marcher sur la tête dans des questionnements historiques greffés au corps : Le flou gris et la silhouette noire de « Dans la fumée aussi » et « La fumée n’a pas encore disparu » (2016) nous ramènent au cœur du 20e siècle, avant que n’apparaissent les traces multipliés d’un acrobate sens dessus dessous avec  l’encre de Chine de la suite «Avignon ».

La fin de cette première salle aux médias multiples (on trouve une deuxième sculpture qui semble être un corps de bois noir suspendu) renoue avec l’ironie et avec l’histoire de l’Art comme autant de moyens de prendre du recul avec la Tragédie : En faisant bouger les pieds de sa figure blanche ou rose à moitié effacée,  Baselitz fait explicitement référence à la fameuse oeuvre de Marcel Duchamp : Nu descendant un escalier (1912). La reprise est assez exceptionnelle, en toile ou en papier et a parfois lieu de dos, l’homme montrant un cul osseux de squelette qui semble vouloir nous emmener dans les coulisses de l’iconoclasme (“La Révolution de derrière”, 2015).

On passe un mur blanc et se retrouve dans la “piscine” ou un film de Heinz Peter Schwerzfel permet à l’artiste de parler de ce qui dérange dans son œuvre.

Les pieds du Nu descendant un escalier nous reprennent après avoir nous-mêmes montés quelques marches et nous êtres retrouvés sous les immenses combles de ce nouvel espace. Autant l’étage précédent multiplie les formats, autant l’étage supérieur ne propose qu’une seule grande sculpture au milieu d’immenses toiles aux  dimensions impressionnantes. L’angoisse suinte un peu depuis ces figures blanchâtres posées à l’envers, métatarses précis et agités, sur fond noir. Les titres nous emmènent d’ailleurs vers l’idée de fin : le rose flash vient rappeler l’origine dans « Der Anfang is der Abgang » (« Le début est la sortie ».

Et les diptyques, triptyques ou quatre figures condensées en une toile ne viennent pas nous sauver de cette solitude du temps qui passe (« Wir gehen ab », «on s’en va» ou « Ach Herrje, ma tutti occupato ».) Mais quand on regarde de notre plus près l’on retrouve toute une variation d’humeurs  (le corps est rose pour « Ach Rosa »)  et de thèmes (le voile cache et révèle l’impertinence quand on voit le cul osseux du « Cardinal derrière le rideau ». Il y a  même une brève apparition du sacré avec les genoux pliés du puissant « Finestra in Venezia ».

L’on sort de l’exposition habité et bouleversé par les interrogations de Baselitz sur le temps, la matière et ce qu’il a réussi à figurer : une vie et une créativité d’autant plus tenace qu’elle dépasse la simple vitalité du peintre pour interroger toute une tradition.

visuels : vues de l’exposition (c) YH

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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