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Carpeaux, sa violence, ses sculptures et la cour de Napoléon III au Musée d’Orsay

Carpeaux, sa violence, ses sculptures et la cour de Napoléon III au Musée d’Orsay

23 June 2014 | PAR Yaël Hirsch

Dans une exposition “chronothématique” agencée autour du bronze de la Fontaine de l’observatoire, emblématique du musée, Orsay met en lumière un des plus grands sculpteurs du patrimoine national. Artiste de la cour de Napoléon III, pionnier scandaleux en son temps quand il représentait le corps bruissant et vibrant de vie, Carpeaux alliait classicisme et violence. A (re)découvrir à travers 85 sculptures, 20 peintures et 60 dessins.

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Né en 1827 à Valenciennes, arrivé à Paris à 11 ans avec ses parents, entré aux beaux arts à 20 où il se range d’abord sous le magistère de l’hétérodoxe François Rude, Carpeaux remporte le grand prix de sculpture avec Hector implorant les dieux en faveur de son fils Astyanax  (exposé en 1854, ce qui lui ouvre les portes de la prestigieuse Villa Medicis. En Italie, où il arrive deux ans en retard (!) et où il reste près de six ans. fan du folklore local (les diverses versions de son Pêcheur à la coquille en 1858 sont magnifiques), il tombe amoureux de Michel-Ange et puise les inspirations qui lui permettront de renouer avec la tradition baroque du portrait d’apparat.

Tirée de l’Enfer de Dante, sa sculpture de fin d’études  Ugolin (1858-1861) n’est pas, comme promis et faute de moyens, sculptée dans du marbre. On en voit des versions en plâtre et en bronze et peut suivre le travail en cours avec des dessins.

Rentré à Paris, il remporte une commande de l’Etat pour orner le fronton du Louvre en réfection, côté scène. Intitulé Flore, un de ses reliefs est si criant de vérité et sort tellement des lignes classiques du Louvre avec les seins nus de son allégorie, qu’il faut que l’empereur lui-même intervienne pour que le directeur du chantier ne coupe pas la tête de la nymphe. S’ensuivent une série d’autres monuments, réalisés avant ou après la mort de l’artiste (dont la fameuse fontaine Watteau pour sa ville natale de Valenciennes) et des esquisses pour certains concours qui n’ont pas vu le jour. Dans une petite salle qui fait un peu l’effet d’une chapelle on découvre l’aspect véritablement croyant du sculpteur et son travail sur la Pieta et sur la vierge Marie, qui prend parfois les traits de l’impératrice Eugénie.

La salle la plus riche de l’exposition est probablement celle des portraits de cour, à commencer par la reine Mathilde, cousine de Napoléon III qui l’y a introduit. On trouve aussi des nobles et des personnalités de l’époque, comme Alexandre Dumas et sa femme.  On apprend que, déjà malade, Carpeaux a accouru au chevet de Napoléon III à Camden, en 1873, pour dessiner le corps du souverain défunt. Morceau de bravoure de cette galerie de portrait, celui du Prince impérial et du chien Néro (1966) marque une certaine modernité tant par le côté “normal” de l’héritier, que par l’usage de propagande qui a pu en être fait pas l’Empire. Une version sans le chien a même été fondue pour l’hôtel de ville de Paris. Adepte de l’édition, Carpeaux savait vendre les droits de ses créations afin d’encourager une reproduction  qui symbolise bien l’ère de la reproduction industrielle.

Côté portrait, sa famille n’était pas en reste et à travers les autoportraits peints et surtout une sculpture d’angelot au bras cassé inspirée par son jeune fils blessé qu’il a forcé à poser dans la douleur, on découvre doucement les coulisses profondes de l’art vibrant de Carpeaux. Un section entière de l’exposition est dédiée à ses zones d’ombres,  notamment à travers un plâtre défiguré par l’artistes et plusieurs toiles aux sujets sombres (assassinats, accouchements, meurtres). La seule toile exposée de son vivant représente deux orphelins du siège” de Paris (1873).

Enfin, la fin de l’exposition ouvre sur le grand hall de la gare d’Orsay, avec, plusieurs maquettes de la fontaine de l’observatoire, devant la sculpture. Et un moulage d’époque de la fameuse Danse (1868-69) qui orne le Palais Garnier et a assez choqué pour susciter vandalisme et cette critique acerbe sous la plume de Emile Zola : “Le groupe de M. Carpeaux, c’est l’Empire ; c’est la satire violente de la danse contemporaine, cette danse furieuse des millions, des femmes qui vendent et des hommes vendus. cette façade bête et prétentieuse du nouvel Opéra, au beau milieu de cette architecture bâtarde, de ce style Napoléon III, honteusement vulgaire éclate le symbole vrai du règne”. 

Classique et bien menée, l’exposition Carpeaux est complète avec divers moulages, ses dessins et esquisses préparatoires. Elle est aussi didactique quand elle représente en miniature les références baroques ou les versions manquantes des œuvres. On sent à chaque instant qu’on est au cœur de notre patrimoine.

Visuels:
– affiche de l’exposition
– Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875), Pêcheur à la coquille, 1861-1862, Marbre, Washington, D.C., The National Gallery of Art, Samuel H. Kress Collection, inv. 1943.4.89 © Image courtesy of the National Gallery of Art, Washington
– Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875), Ugolin et quatre enfants, Esquisse terre cuite, Paris, musée d’Orsay, RF 2995 © Musée d’Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
– Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875), Le Prince impérial et le chien Nero, 1866, Marbre, Paris, musée d’Orsay, RF 2042 © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Michel Urtado
– Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875), Autoportrait dit aussi Dernier Autoportrait, Huile sur toile, Paris, musée d’Orsay, RF 1961 29 © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
– Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875), La Danse, Pierre d’Echaillon,Paris, musée d’Orsay, RF 2884 © Musée d’Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

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