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[Arles] Les Rencontres de la Photographie : une édition 2016 sous le signe de la création

[Arles] Les Rencontres de la Photographie : une édition 2016 sous le signe de la création

04 August 2016 | PAR Yaël Hirsch

Démarrées le 4 juillet 2016 (lire notre article) et rythmées par de grands événements dans le théâtre antique comme le concert de PJ Harvey sur visuel de Seamus Murphy du 9 juillet (lire notre article), les 47e Rencontres de la Photographie animent Arles de près de 40 expositions jusqu’au 25 septembre 2016. Petit panorama général d’une deuxième édition pilotée par Sam Stourdzé et placée sous le signe du “monde d’aujourd’hui”. 

Créateurs, création, in and off
Fortement liées à l’école de photographie de la ville, via la personnalité de leur fondateur, Lucien Clergue, les Rencontres d’Arles mettent par essence l’accent sur la création. Cette année, peut-être encore plus qu’aux éditions 2015 et 2016, on a l’impression d’y découvrir de nouveaux talents. Même si nous n’avons pas pu voir ne serait-ce que le début des 100 expositions proposées par le festival “Voies off“, qui gagne les galeries, les espaces publics et aussi les habitations privées des jeunes photographes, nous avons pu découvrir quelques univers. Notamment, chez lui, celui de Matt Frenot, autour des “Objets intérieurs”. Dans un travail qui “éprouve le pictural”, cet artiste méditatif, formé à l’Ecole Nationale de la Photographie d’Arles, présente des petits objets capturés chez lui… dans l’intérieur où ils ont été l’objet de contrastes. Le fond bleu Provence des murs est l’objet de toute une étude de couleurs jaunes et de valeurs, tandis que sa proposition d’échelle éclatée permet d’explorer le réel avec de petits gestes. Un travail à découvrir désormais sur le site de l’artiste.

Côté “in”, il y a bien sûr la traditionnelle sélection du prix découverte de la Grande Halle du Parc des ateliers (où la construction de la Fondation Luma et notamment le building de Franck Gerhy avancent à pas de géants!). Et cette année, les 10 candidats – autant d’hommes que de femmes- étaient exposés dans des niches mêlées aux autres expositions et qui faisaient penser à une exposition personnelle par un jeune talent. Aux côtés de la lauréate, Sarah Waiswa et sa série de photos très esthétiques sur une femme albinos en Ouganda, on a pu remarquer le travail plastique de Christodoulos Panayotou ou les paysages post-RDA de Stéphanie Kiwitt ou les clichés néo-pop du suisse Beni Bischof

Dans le même espace, une des toutes belles révélations du festival est le fruit d’une “rencontre” : celle du travail de street photography d’Ethan Levitas, mis en perspective avec l’oeuvre du maître Garry Winogrand (voir notre chronique de l’exposition au Jeu de Paume). La scénographie aux petits oignons et le recul historique sur un art qui saisit tellement à vif, donnent à savourer toute l’énergie et l’originalité du quadragénaire new-yorkais. Par ailleurs, c’est au cœur de la ville, au cloître Saint-Trophime que l’on trouve le travail d’une des figures de proue de la création photographique selon les Rencontres. Egalement présentée en partenariat au Carré des Arts à Nîmes autour du fou projet de photographier les “Dominique Lambert“, la très conceptuelle Stéphanie Solinas présente une réflexion de “Méthode des lieux” appliquée à l’usine Lustucru qui a 110 ans d’histoire à Arles.

Les archives de la création face au présent
L’oeuvre de Stéphanie Solinas exprime aussi comment le passé nourrit le présent et l’archive est une des grandes inspirations traditionnellement mise en valeur aux Rencontres. Notamment à travers la notion cruciale de “collection”.

Après les grandes réserves d’objets  autour du spiritisme de Tony Ourler sous le titre d’Impondérable en 2015 (lire notre article), ce sont les collections du documentariste Sébastien Lifschitz que l’on peut voir cette année à l’Atelier des forges sous le titre “Mauvais genre”. A travers des milliers de clichés, c’est tout l’historique des transformistes et de certains travestis que ces collections nous amènent à découvrir. Qui s’est habillé en femme? Quand? Sur scène ou dans l’intimité? Beaucoup de noir et blanc pour des photos qui interrogent autant la norme sociale que le rôle de l’image pour les mettre en question. En art spécifiquement, le passé se collecte et se cache sous forme de palimpseste et de citation, c’est ce qu’essaie de montrer l’exposition “Il y a de l’autre“, à l’étage au dessus de “Mauvais genre”.

Histoire et violence sont au cœur du questionnement archivistique, ce que l’on retrouve bien dans le grand film au charbon sur écran de 4 m de 2015 de l’immense plasticien sud-africain William Kentridge, More Sweetly Play the Dance où une grande procession fait à la fois penser par son titre au fameux poème “Fugue de mort” de Paul Celan et aux génocides du 20e siècle, tandis que que la longue marche nomade ne peut pas ne pas faire penser aux migrants d’aujourd’hui. Un pont douloureux et important.

Révision cruciale du passé pour vivre en pleine conscience notre présent, c’est un choc puissant que le travail de Maud Sulter (1960-2008) sur le génocide oublié des noirs à l’heure de l’Europe nazie. La technique un peu vintage du collage rend le propos d’autant plus fort que son minutieux et très narratif travail est placé au centre d’une des églises les plus chatoyantes de la ville : La chapelle de la charité. A voir absolument.

Un tête à tête comme celui de William Klein et de Eikho Osoe est l’occasion pour la chapelle du Méjan de confronter deux points de vues sur Tokyo. Étrangement, l’œil avisé et le travail plastique du grand photographe de mode américain semble un peu daté (il est aussi dépassé en nombre), face à la manière dont la bombe atomique habite toutes les séries du japonais. Inspirées par l’art du Kabuki, ses photos les plus sensuelles grimacent autant que les processions de Kentridge. Une ode paradoxale à la vie, en noir et blanc, après l’expérience du gouffre… A l’étage, si la série “voyage” de Hans Silvester paraît bien plus plate, c’est peut être justement qu’elle a du mal à dégager un spécificité aux Bench. Par contraste, les travaux froids et géniaux de Danila Tkachenko propulsent la paranoïa soviétique à l’heure actuelle du numérique et de la polyarchie avec des Restricted Aeras aussi blanches que neige.

Tandis que dans la série “Après la Guerre”, le travail classique et puissant de Don McCullin nous permet de revivre en images tout le 20e siècle à l’Eglise Saint Anne, c’est au Capitole qu’il faut aller pour un triple exercice d’Histoire immédiate : non seulement pour retrouver la série inoxydable des Américains de Andres Serano mais aussi une exposition fleuve et très plastique d’œuvres inspirées par le 11 septembre. Mais surtout parce que l’une des plus belles expositions de cette édition 2016 des Rencontres est la série de paysages de Champs de bataille ou de lieux d’extrême violence réalisée par Yann Morvan. 80 photos de sites datant d’il y a 3500 ans ou d’aujourd’hui (la série la plus récente a été faire en Libye) permettent de voir ce que sont devenus les lieux où des hommes (et des femmes) ont perdu la vie dans le feu et le sang. Parfois, il y a un mémorial, parfois, la tôle ondulée et les immeubles fracassés portent encore la trace de la violence et de la mort. Mais le plus souvent, la nature reprend – vite et longtemps- ses droits et les charniers sont des trous de verdure que le photographe et journaliste français interroge avec poésie et réflexion.

Toujours sur la notion d’onde sismique de la violence, le film de Seamus Murphy mettant en scène la chanteuse PJ Harvey au Kosovo parle de destruction et de reconstruction dans les mots poétiques de la songwriteuse à l’Eglise Saint-Blaise. Mais la mémoire et l’histoire ne concernent pas que la violence armée aux rencontres d’Arles : la vie musicale et la “sape” du Bamako des années 1960 sont fêtées avec “Swinging Bamako” au Couvent Saint-Césaire. Et les frasques du magazine Hara Kiri (l’ancêtre de Charlie Hebdo) reviennent sur la liberté sexuelle et la satire politique des années 1970. Tout un monde d’impertinence un peu grossier et d’humour potache s’expose en grand format, donnant une certaine perspective aux événements des deux dernières années.

Entre passé exaltant, violence du présent et création future, les Rencontres de la Photographie transforment encore une fois Arles en fête d’image. A voir et revoir les yeux grands ouverts.

visuels : affiche et YH

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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