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[Arles 2015] Les incontournables des 46e Rencontres de la Photographie

[Arles 2015] Les incontournables des 46e Rencontres de la Photographie

18 August 2015 | PAR Yaël Hirsch

Orphelines de leur Fondateur, le regretté Lucien Clergue (voir notre article), les Rencontres Photographiques d’Arles n’en cessent pas pour autant d’éblouir et de se réinventer. Petit compte-rendu de la 46ème édition, riche de 35 expositions où la photo flirte avec les autres arts et où la question de la collection est centrale. Une édition 2015 qui interroge les fondations de la photographie et les mouvances de frontières de cette discipline…

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1. Des Rencontres pop et glossy
Il y a un peu de strass et de paillettes pour cette 46e édition très alléchantes de Rencontres. En tête du hype, le projet MMM qui réunit Matthieu Chedid et Martin Parr dans l’élégant écrin de l’Eglise des Frères Prêcheurs. Au programme : projections de mots clés et ambiance musicale pointue signées M et clichés mêlés du grand Martin Parr. En option : on s’allonge sur une chaise longue aux couleurs des plagistes tant dépeint par Parr (et on peut même l’acheter, la chaison longue!). Une rencontre au sommet qui procure bien du plaisir !

Tout aussi brillante en qualité d’image, la confrontation de néons de motels américains Jour / Nuit de Toon Michiels à l’Eglise des Trinitaire est un bain pop reposant.

A l’église Saint-Blaise, la néerlandaise Alice Wielinga propose de creuser derrière le vernis de la propagande communiste de Corée du Nord. Si le matériel de propagande a bien été récupéré et irradie lors d’une projection tout en strass, la dénonciation du mensonge totalitaire par un texte faiblichon prononcé à des milliers de kilomètres du danger, sur un ton intimiste démodé, ne convainc pas qu’il y a là une vraie révolte d’artiste.

Enfin, seule exposition véritablement politique des Rencontres, le projet de Paolo Woods et Gabriele Galimberti sur Les paradis (fiscaux), rapport annuel brille de mille feux iréniques au cœur même du Palais de l’Archevêché. Toute en images grandes et brillantes jouant finement du contraste entre population locales des îles caïmans, du Luxembourg et des grands financiers ou gestionnaires de patrimoine jouant au golf, l’exposition multiplie les médias pour donner au public la mesure des fonds déplacés et des inégalités creusées. Courageux, jamais gratuitement moralisateur et absolument brillant !

2. Époustouflantes collections
Cette 46ème édition est donc l’occasion de revenir sur la manière dont on constitue un fond photographique. Dans le droit fil de ce questionnement, l’emblématique Musée Reattu propose en parallèle d’une revisite de ses toiles, une exposition de 50 clichés de ses collections photos sous le titre Oser la photographie. On y trouve des photos mythiques de Robert Doisneau, Henri Cartier-Bresson, Man Ray, mais aussi William Klein, Richard Avedon, Yusuf Karsh, Sarah Moon et bien évidemment Lucien Clergue. Un parcours magnifique, avec en prime, l’éternelle vue sur le Rhône d’un musée enchanteur.

On reprend les mêmes photographes et on étend encore le scope au monde entier pour l’époustouflante exposition des collections de la Maison Européenne de la Photographie. L’événement ne dure que jusqu’au 30 août car il est “associé” aux rencontres. Sachant que la MEP réunit aujourd’hui une collection de 21 000 photos, les quelques centaines qui ont été choisies ont été accrochées à la fois à a Chapelle du Méjan (dans laquelle on entre en passant par la librairie-cinéma Actes Sud) et à la Chapelle Saint-Laurent. La visite permet à la fois de faire une balade dans l’histoire de la photographie de la deuxième moitié du 20ème siècle avec dans le premier lieu, des séries signées Richard Avedon ou Robert Frank, et dans le deuxième lieu Araki, Cindy Sherman, Larry Clark, Martin Parr (incontournable dans cette édition 2015 des rencontres) ou Ralph Gibson. Et les petits textes très bien faits permettent de faire le lien entre plusieurs générations de photographes : on apprend ainsi que Ralph Gibbons a été l’assistant de Robert Frank et que c’est lui a édité la première grande série de photos de Larry Clark en 1971, Tulsa. Enfin, on suit également la manière dont se constitue une aussi grande collection, notamment dans une salle dédiée aux commandes spéciales de la MEP à des photographes pour ses expositions ; commandes qu’elle a pu faire aussi bien à Cartier-Bresson qu’à Martin Parr que l’institution a poussé à s’intéresser aux Parisiens.

C’est aussi sur le mode systématique de la collection que deux grands photographes américains sont redécouverts à Arles : Walker Evans est abordé sous l’angle révélateur de ses photos pour la presse, tandis qu’un peu oublié et toujours en marge (il travaille la couleur quand le noir et blanc est à la mode et vice versa), le travail très protocolaire de Stephen Shore est exposé de manière exhaustive dans le très bel Espace Van Gogh. Dans cette collection, on a peut-être tendance à trouver plus d’humour aux portraits de ses parents à ses débuts qu’à ses grands cadrages d’arbres actuels…

Anthropologique et historique, la collection des photos prises par le prêtre allemand Martin Gusinde en Terre de Feu est tout simplement époustouflante. Les clichés datant des années 1920 suivent tous les aspects triviaux comme rituels (même initiatiques) de la vie des indiens Yamana et Selk’nam. Et ils sont d’une vitalité telle qu’ils semblent avoir été pris dans l’année. Un voyage passionnant et fascinant à ne manquer sous aucun prétexte au cœur de la ville au Cloître Saint-Trophime.

Moins institutionnelles mais tout aussi obsessionnelles, les collections de l’artiste américain Tony Oursler s’exposent à la Fondation Luma (dont le bâtiment monumental est en train de pousser en marge de la ville, au Parc des ateliers). Ces collections creusent une mythologie familiale sous le titre d'”impondérable” et font intervenir démons, succubes et phénomènes paranormaux. Les collections de photos ou portraits d’esprits ou d’extra-terrestres sont retenues dans un gros livre consultable sur place et dont les éléments sont projetés sur un écran, tandis qu’un film absolument fou confrontant deux petites filles à l’au-delà est projeté dans une grande salle au public concentré.

Enfin, il faut aussi mentionner deux expositions plus spécialistes, mais tout aussi mordues de collections, la rencontre de 7 photographes japonais à la Chappelle Sainte-Anne (“Another Language“), et l’univers étrange et angoissant du collectionneur Jean-Marie Donnat (“Vernaculaire!”) à la chappelle de la Charité.

3. Quand la photo dialogue avec les autres arts…
C’est également sous le mode de la somme, sinon de la collection, que la grande exposition Total Records déroule des kilomètres de couvertures de 33 et 45 tours signés par de grands photographes. Ici les liens entre Photo et Musique sont à l’honneur sur deux étages. Francis Wolfff chez Blue Note, Andy Warhol pour les Rolling Stones, Jean-Paul Goude pour Grace Jones, Jean-Baptiste Mondino pour Madonna, Jeff Koons pour Lady Gaga ou John Baldessari pour le groupe allemand Die Sterne…. La liste des photographes qui ont participé au succès d’un titre ou d’un album est longue. Il y a beaucoup de mythes dans cette grande exposition, notamment au travers de la collaboration entre Paul & Linda McCartney et les coulisses de la célébrissime couverture d’Abbey Road (1969). Et cette toute grande expo qu’on espère voir voyager sait aussi montrer comment les musiciens eux-mêmes ont su jouer sur les couvertures mythiques d’albums passés pour s’inscrire en filiation ou en rupture de toute une pop culture. On retrouve notamment la pochette du premier album d’Elvis Presley qui a inspirer trait à trait celle du tube des Clash “London calling”. A voir absolument à l’Atelier des Forges.

Photo et cinéma marchent main de dans la main, notamment dans les photos que Paul Ronald a en couleur du dernier film (en noir et blanc) de Federico Fellini, 8 1/2. A voir à l’abbaye de Montmajour.

Et enfin, plus classiques mais incontournables aux marges du festival, les dessins et les gravures de Vincent Van Gogh à la toute nouvelle Fondation d’Arles qui porte son nom valent vraiment le détour. Ne manquez pas non plus le coup d’oeil sur la ville depuis la terrasse de la fondation. Côté mouvement, un petit détour par l’animation est au programme avec l’artiste japonais Taibamo. Et pour un petit plongeon dans la modernité plastique, les dessins et les grandes sculptures en verre de Roni Horn sont à couper le souffle. Prévoir 9 euros en plus pour l’entrée de la Fondation Van Gogh. 

visuels : YH

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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