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Anselm Kiefer au Centre Pompidou : foisonnant, puissant mais inclassable

Anselm Kiefer au Centre Pompidou : foisonnant, puissant mais inclassable

16 December 2015 | PAR Yaël Hirsch

C’est l’heure des grandes expositions rétrospectives pour l’artiste qui a inauguré Monumenta. Après une exposition-fleuve à la Royal Academy, c’est au Centre Pompidou de laisser ses grandes toiles et installations déborder ses généreux espaces. Une exposition-fleuve, riche généreuse, où Kiefer s’installe jusque dans le forum (il avait investi la cour de la RA) et apporte des installations ou des améliorations de dernière minute. Une exposition également tournée vers le mythe, la mémoire et l’histoire. Le résultat est vraiment magistral, même si les thématiques choisies sont loin d’apporter une grille de lecture convaincante.

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Attention : Autour des installations, les titres et les références restent en allemand, munissez-vous du petit prospectus à l’entrée pour une visite compréhensible en Français.

Après avoir été imprégné de la matière et la mémoire de Kiefer en passant dans le forum, l’on commence cette exposition fleuve et résolument thématique par une entrée sur la “rhétorique de guerre”. Certaines toiles suturées et une première vitrine des fameux livres brûlés de l’artiste allemand (actuellement à l’honneur à la BNF) né en 1945 côtoient ses premières tentatives sulfureuses de régler la question de son lien à la nation allemande et à une société qui a été nazie : dans les “Tableaux héroïques” de la fin des années 1960 l’on voit le peintre ou le poète, plus ou moins en couleur, plus ou moins peint à la manière romantique, se fondre dans un paysage très Sturm und drang (mais très variable) en effectuant le salut hitlérien.

S’ensuit une salle thématique assez surprenante où l’on découvre l’oeuvre sur papier de Anselm Kiefer, ou du moins une partie de celle-ci, et volontiers la partie érotique qui met en scène des Saintes entre “extase féminine” et franche douleurs.

On arrive ensuite directement aux immenses toiles des années 1970 qui mêlent avec génie thématiques de l’Histoire allemande, architecture piquée à Albert Speer, l’architecte du IIIe Reich et technique expressionniste de la gravure (ici marouflée sur toile). On a un peu de mal à comprendre comment ont été différenciés dans les trois salles l’histoire allemande (bataille de Walrus), le mythe allemand (Wagner, mais quand Kiefer peint les “Chemins de la Sagesse” avec toutes les grandes figures historiques, on est aussi dans l’histoire mythifiée d’une nation tardivement constituée en Europe), et les ruines qui sont partout chez Kiefer où tout est cendres et monument, et où l’on retrouve partout à la fois mythe, poésie et les figures du “peintre inconnu” absent ou du corps allongé du “poète assassiné”.

Après cette première Saga héroïque aux prises avec le lourd passé du 20e siècle, Pompidou nous offre l’intermède d’une salle remplie à ras-bord de vitrines foisonnantes, néo-surréalistes et juste éblouissantes de beauté. Le Nouveau Testament y côtoie la palette du peintre fossilisé, la transformation de Daphné en arbre ou l’évocation militaire de la ligne Maginot, dans un florilèges de symboles et fables européennes, qui pointe aussi bien vers l’art de Joseph Beuys que vers le cabinet de curiosité.

On repart ensuite sur des séries de toiles épiques et immenses, attachées soit au travail de Kiefer sur la Kabbale (mais il y a plusieurs phases en fait des annés 1980 à nos jours et c’est difficile de classer les toiles) et sur les poètes, notamment sur le couple entre l’écrivaine autrichienne catholique morte brûlée Ingeborg Bachmann et son amant juif roumain, de langue maternelle allemande, qui a brisé la langue germanique de l’intérieur après la Shoah, Paul Celan (mais en fait, on avait déjà vu son travail sur la “Fugue de mort” au cœur de la thématique des ruines…).

Après trois dernières salles sur le deuil (qui résonne à la fois avec les ruines et la poésie) et sur le blanc et la couleur (le rouge des coquelicot rejoint le Pavot des poèmes de Celan), l’exposition se termine par une brillante installation inspirée par le livre culte et best-seller du 19e siècle de Madame de Staël : De l’Allemagne (1810). Dans cette oeuvre où Kiefer offre pour stèle à chaque grande figure allemande un champignon qui semble sorti d’un conte de Grimm, la RAF est évoquée aussi bien avec Ulrike Meinhof que des hommes et femmes allemands plus anciens. Le tout est rehaussé d’un arbre généalogique assez paritaire entre hommes et femmes où salonnards des lumières côtoient empereurs où le poète Hölderlin truste plusieurs branches et où le cerveau de l’Histoire semble bien “MH”, Martin Heidegger sur sa montagne du Todnauberg.

Si l’on part de cette dernière installation, on comprend qu’avec cette exposition, Kiefer remet une fois encore le couteau dans la plaie de savoir si être allemand, de culture, d’histoire et de conscience, c’est être coupable d’une construction philosophique, et poétique qui a mené directement au nazisme. Ici, tout parle d’histoire, de mémoire et de faute, même pour celui qui est né en 1945 et a choisi la France pour s’installer. Les œuvres sont là, monumentales, puissantes et forcément bouleversantes. Néanmoins le chemin de travers et les thématiques choisies nous perdent dans le brouillard : elles ne permettent ni de décoder ses références si riches, ni de comprendre pourquoi et comment certaines thématiques obsessionnelles resurgissent chez Kiefer.

Une exposition indispensable mais qu’on aurait aimé voir s’éloigner de ce que Primo Levi dénonçait dans un essai comme “de l’écriture obscure”.

visuel : © Atelier Anselm Kiefer

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Théâtre du Palais Royal
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