Arts
Entretien avec Jeanne-Bathilde Lacourt, Conservatrice en charge de l’art moderne au LaM

Entretien avec Jeanne-Bathilde Lacourt, Conservatrice en charge de l’art moderne au LaM

17 September 2018 | PAR Lisa Bourzeix

A l’occasion d’un nouvel accrochage suite à l’arrivée du nouveau directeur Sébastien Delot, nous nous sommes entretenus avec Jeanne-Bathilde Lacourt, Conservatrice en charge de l’art moderne.

Entretien :

Quelle est votre fonction au sein du LAM ?

Je suis conservatrice en charge de l’art moderne.

Quand ce nouvel accrochage a t-il été décidé ?

A l’arrivée du nouveau directeur en 2017.

Était-ce une volonté de montrer ce qu’on ne voyait pas ? Avez-vous beaucoup d’oeuvres au stock ?

Il s’agit plutôt de jeter un nouveau regard sur la collection d’art moderne. Il y a en effet un certain nombre d’œuvres qui ne sont présentées que par roulement, et cet accrochage sera l’occasion de les revoir. La première salle rappellera la manière dont les œuvres étaient présentées dans l’appartement du collectionneur Roger Dutilleul, qui est à l’origine de la collection d’art moderne du musée. On y verra notamment des œuvres d’André Lanskoy qui n’ont pas été vues depuis de très nombreuses années et qui ont été réencadrées pour l’occasion. Mais cet accrochage est aussi l’occasion d’emprunter des œuvres à d’autres musées : le Musée d’histoire naturelle, à qui nous empruntons des objets africains et océaniens, le Musée national d’art moderne – Centre Pompidou, le Frac Picardie ainsi que le Musée de Picardie qui est fermé pour rénovation, c’est donc l’opportunité de présenter des œuvres qui ne seraient pas du tout visible du public, comme une sculpture de Miró par exemple.

Ce nouvel accrochage des salles d’art moderne signifie-t-il un nouveau parcours ? Si oui lequel ?

Oui, on va axer le propos sur différentes thématiques. On commencera par raconter l’histoire de la famille Dutilleul / Masurel qui dans leurs demeures parisiennes avaient réuni des oeuvres d’artistes cubistes, tubistes, naïfs ou abstraits, d’origines variées, anonymes ou non, primitifs ou modernes. Le face à face entre ces deux générations permet d’étudier la façon dont oncle et neveu ont abordé les œuvres du XXème siècle, selon leurs sensibilités propres. On abordera ensuite la question du primitivisme et de la relation entretenue par les artistes, les marchands et les collectionneurs avec les objets d’art africain et océanien grâce au prêt du Musée d’histoire naturelle de Lille. Cela permet de confronter ces objets, qui viennent des colonies françaises, aux productions d’artistes tels Amedeo Modigliani ou encore Pablo Picasso et de questionner la définition même de l’art. Finalement le parcours nous emmènera vers la question du biomorphisme et celle du mouvement dans l’art, à chaque fois en s’appuyant sur une œuvre importante de la Donation Masurel (le fonds à l’origine de la collection d’art moderne du musée). Les références au monde naturel deviennent une tendance générale et des artistes cubistes se convertissent à ce mouvement. Dans le même temps, dans le parc du jardin, il est possible d’admirer les créations de Calder et se pencher sur cette nouvelle façon de faire de l’art. Ce parcours chronologique permet donc de voir la manière dont ont évolués les influences et les rapports aux œuvres et aux objets.

Quelles sont les difficultés à faire vivre une collection permanente ? Le public boude-t-il ces salles au profit des expositions temporaires ?

Les deux manières de présenter les œuvres sont complémentaires. La collection d’art moderne attire le public, peut-être grâce à un ensemble assez important de chefs d’œuvres (peintures cubistes de Braque et Picasso, œuvres de Fernand Léger, œuvres de Modigliani). Les expositions permettent de développer plus particulièrement une thématique grâce au prêt d’œuvres que nous n’avons pas dans la collection. C’est vrai que les expositions temporaires font événement et peuvent être un levier pour venir ou revenir au musée, et peuvent attirer d’autres personnes que notre public habituel.

Quel sera l’apport du nouvel accrochage ?

Ce nouvel accrochage est l’occasion de porter un nouveau regard sur notre collection, même si le fond reste le même. Développer des thèmes qui n’ont pas été abordés les années précédentes. Notamment le primitivisme sur lequel le regard a changé au cours du siècle pour aller vers une perspective post-coloniale. À cette époque les objets présentés dans l’exposition ne sont pas perçus comme des objets de curiosité, mais uniquement comme esthétiques, il n’y a pas préoccupation de l’usage. Après la deuxième guerre mondiale c’est un regard plus critique qui pose la question du marché et de la fabrication de ces objets (pour les touristes ou les amateurs par exemple). On retrouve quelques objets africains qui sont des emprunts d’œuvres à l’extérieur, notamment du Musée d’Histoire Naturelle de Lille et du Centre Pompidou. Pour Roger Dutilleul et son neveu Jean Masurel, il y a la volonté d’un angle de vue plus intime qu’avant, de reconstituer dans une des salles la manière dont il affichait ses tableaux mais avec une hiérarchie différente. Il s’agit de montrer que plusieurs regards et discours sont possibles. Ce sont les deux axes principaux du nouvel accrochage. Il y a aussi une réorganisation : refaire l’espace, repeindre les murs, rajouter de la couleur, des nouveaux socles, mettre en place une nouvelle scénographie.
Par ailleurs, Alain Fleischer a réalisé un documentaire d’une dizaine de minutes spécifiquement pour l’accrochage sur Roger Dutilleul et Jean Masurel, pour donner du corps à la collection privée.

Quelles œuvres seront particulièrement mises en avant ?

Toutes sont importantes mais on peut évoquer le masque Nimba, acquis par Jean Masurel, La Maternité de Modigliani, L’Homme nu assis de Picasso, le mobile de Calder qui sera présenté plus bas qu’auparavant avec des jeux de lumières et d’ombres portées dans une mise en scène qui rappelle sa présentation dans son propre atelier, les prêts des institutions extérieures (une sculpture de Jean Arp du Centre Pompidou, une sculpture de Miró du Musée de Picardie, des masques et des statuettes du Musée d’histoire naturelle de Lille, deux tableaux d’André Masson du Frac Picardie).

Ce remaniement va t-il de pair avec une nouvelle façon de présenter le musée ? Par exemple , quelles sont les conséquences pour les visites guidées ?

Les visites guidées auront toujours lieu, sauf pendant les quelques jours de fermeture nécessaires pour la préparation des salles et l’accrochage. Un certain nombre d’évènements sont prévus pendant les journées du patrimoine le week-end du 15 septembre (visites de l’accrochage, projection de films de Fleischer). Il y aura toujours des ateliers et des visites. C’est l’angle d’attaque qui sera modifié. Il y aura plus de choses autour du primitivisme. Une « Navette de l’art » est également mise en place, c’est un bus affrété qui, après la visite du LaM va au musée Tervuren à Bruxelles.

Photos ( dans l’ordre ) :

Portrait de Jeanne-Bathilde Lacourt, conservatrice en charge de l’art moderne au LaM, Villeneuve d’Ascq. Photo : N. Dewitte © / LaM

Willy Maywald, Photographie de l’appartement de Roger Dutilleul, 48 rue de Monceau, Paris 8e, 1951-1956. © Association Willy Maywald / Adagp, Paris, 2018

Vue de la nouvelle présentation des salles d’art moderne du LaM, Villeneuve d’Ascq. Ici : Afrique, Nigéria – Bénin, Peuple Yoruba, Masque-casque. Bois et pigments. Lille, Musée d’Histoire Naturelle. Photo : N. Dewitte / LaM

Vue de la nouvelle présentation des salles d’art moderne du LaM, Villeneuve d’Ascq. Au premier plan : Anonyme (Peuple Baga, côte de la Guinée), Masque Nimba, s.d. Au second plan : Pablo Picasso, Homme nu assis, 1908 – 1909. © Succession Picasso et Amedeo Modigliani, Nu assis à la chemise, 1917. Photo : N. Dewitte / LaM

Vue de la nouvelle présentation des salles d’art moderne du LaM, Villeneuve d’Ascq. Évocation de l’appartement de Roger Dutilleul avec les œuvres emblématiques de la donation Geneviève et Jean Masuel au musée. Photo : N. Dewitte © / LaM

Informations pratiques :
LaM, 1 Allée du Musée, 59650 Villeneuve-d’Ascq.
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Lisa Bourzeix

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