Arts

Elles@centrepompidou : un féminin pluriel réaffirmé

26 May 2009 | PAR Claire-Marie

Du titre de l’exposition « Elles@centrepompidou », le préfixe « elles » est bien intriguant. Que voit-on dans ce quatrième et cinquième étage du centre Pompidou ? De l’art féminin, des artistes femmes ? Le pluriel de « elles » nous fait trancher en faveur de la deuxième option. Le propos de l’exposition n’est pas en effet de cantonner les artistes femmes à la seule qualité supposée féminine de leur art mais bien de montrer la multiplicité de leurs approches artistiques. Si l’approche intellectuelle peut sembler consensuelle, les moyens mis en œuvre par le centre Pompidou ne le sont pas : un accrochage de 8000m2 uniquement d’artistes femmes issues des collections permanentes.

Un humour mordant d’ironie

Tel est souvent le ton de ces artistes femmes conscientes des obstacles sociaux dressés à l’encontre de leur genre.

Ce ton, les Portraits Grandeurs Nature (2007-2009) d’Agnès Thurnauer le souligne d’emblée en accueillant frontalement le visiteur.

Portraits Grandeurs Nature (2007-2009) d’Agnès Thurnauer Ces badges détournent formellement la conception traditionnelle du portrait et proposent une relecture de l’Histoire de l’Art sous un angle transgenre. Le changement de sexe nominatif de cette sélection d’artistes majeurs du XXe siècle illustre bien la domination artistique masculine, Louis(e) Bourgeois étant la seule femme portraiturée. Mais passer d’une domination artistique masculine à celles des artistes femmes dans le cadre d’une exposition, n’est ce pas risquer une relecture partiale et fantaisiste de l’Histoire de l’Art ? « Badger » les artistes “femmes” parce qu’elles le sont, n’est ce pas les ghettoïser ? Autant de questions qu’une seconde lecture de cette œuvre soulève.

L’humour, c’est également l’arme de Barbara Kruger qui interroge la notion d’héroisme au masculin dans son œuvre Untitled (What big muscles you have !).

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« Quel gros muscles vous avez ! » évoque ses phrases clichés des films à la gloire de la virilité masculine tels Rambo. En arrière fond, les différents destinataires de cette phrase confirment bien l’absurdité d’une telle glorification, de « My ayatollah », « My banker » [mon banquier] à « My pope » [mon pape]. Un coup d’arrêt à la représentation de l’héroïsme au masculin, par le rire ?

Cette ironie grinçante se retrouve dans les posters des Guerrilla Girls, un groupe d’artistes féministes américaines revendiquant la parité de statut et de reconnaissance entre artistes des deux sexes.

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Là encore, le détournement d’un tableau classique d’Ingres, Grande Odalisque (1814) est vecteur d’une prise de conscience du statut de la femme dans l’Art. « Les femmes doivent-elles être nues pour entrer dans le Met » (Metropolitan Museum of Art, New-York) ? Le corps nu posant de la femme est davantage reconnu que le corps créant de la femme artiste. Pour preuve, ces chiffres édifiants : 3% d’artistes femmes au Met contre 83% de nus féminins. Et le visiteur rit également jaune devant le poster « Les avantages d’être une femme artiste » des Guerrilla Girls.

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Petit florilège : «  ne pas avoir à surmonter l’embarrassante appellation de ‘génie’ », « être rassuré que quelque soit le type d’art que vous faites, il sera labellisé ‘féminin’ », « ne pas avoir à côtoyer des hommes dans les expositions ». A la lecture de ces deux dernières phrases, le visiteur est pris de doutes. Certes, le centre Pompidou avec ses 17,7% d’artistes féminines présentes dans les collections permanentes n’a pas à rougir face au 3% du Met. Mais est-ce qu’une exposition telle « elles@centrepompidou » n’entretient pas les travers dénoncées par les Guerrilla Girls ? Ne faudrait-il pas davantage inclure les artistes femmes dans les expositions plus courantes pour que l’art soit aujourd’hui véritablement sans sexe ? Au détour d’une salle, la phrase de Joan Scott (La citoyenne paradoxale, 1996) imprimée sur un mur nous apporte peut-être la réponse : « L’individu abstrait n’a pas été neutre mais indubitablement masculin ». L’ambition d’une neutralité sexuelle de l’art peut en réalité cacher que l’art universel est profondément masculin, d’où la nécessité de donner un coup de projecteur sur les artistes femmes dans des expositions du type « elles@centrepompidou ».

Une relation au corps défiante et distanciée

En réaction à une idéologie maternaliste encore prégnante dans notre société qui tend à réduire les femmes à leur corps, certaines artistes femmes mettent en scène leur relation distanciée à leur corps. Vers un corps slogan ?

La démarche d’Orlan, dans sa performance de 1977 à la Fiac, est particulièrement exemplaire de ce rapport distancié au corps. En introduisant 5 francs, les visiteurs de la Fiac pouvaient embrasser l’artiste, ceux de « elles@ » doivent se contenter d’une photographie.

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L’extrémiste de cette forme de prostitution peut alors réduire le corps à un rôle de support de l’intellect, ici, un corps assujetti à une réflexion sur le statut de l’artiste femme-prostituée.

Ce rapport au corps de l’artiste femme peut même aller jusqu’au dégout comme nous le montre Jana Sterbak avec sa Robe de chair pour albinos anorexique (1987).

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Cette robe de chair de bœuf exposée sur un mannequin de couturier bouleverse notre appréhension du corps. Et si notre peau n’était qu’un vêtement qui s’use à mesure que nous vieillissons ? Une dérangeante (dé)composition.

La distanciation est poussée à son paroxysme dans l’œuvre de Valérie Belin, Sans titre n°7, 2003 de la série Mannequins. Le titre de la série annonce une série de portraits de top-modèles à la beauté irréelle. Et cette impression est confirmée au premier regard que le spectateur porte sur cette photographie : un visage splendide, parfaitement proportionné, pommettes saillantes, bouche pulpeuse dessinée à la perfection…

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Mais au second coup d’œil, cette image dérange : un-je-ne-sais-quoi de métallique et froid, une perfection inquiétante de réalisme. Un coup d’œil à la notice explicative et le voile se déchire : nous n’avons pas affaire à une top-modèle humaine mais à un mannequin de présentation de vêtement. Humaine, trop humaine ? C’est bien parce qu’elle est moulée à partir des ‘morceaux’ les plus ‘parfaits’ de différentes femmes : l’une lui donne la perfection de la pommette, l’autre la courbe aérienne du sourcil…

Cette distance au corps ne le rend t-il pas finalement étranger ? En assimilant la distance au corps qu’opère le regard médical à celle induite par le regard artistique, Mona Hatoum nous propose un film judicieusement nommé Corps étranger (1994), soit le trajet d’une sonde à travers tous les orifices humains.

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La mise en situation du film dans un orifice cylindrique crée un corps-dans-le-corps, le spectateur ayant l’impression de tomber dans l’abyme de son propre corps en visionnant le film présenté sur un écran rond. Une expérience troublante, entre haut-le-cœur et fascination.

Un espace intérieur exteriorisé

Une chambre à soi : le titre de l’ouvrage de Virginia Woolf nomme une section de l’exposition, personnifiant l’espace intérieur nécessaire à tout libre-arbitre et à tout mûrissement de la pensée. Mais, loin de confiner la femme dans un foyer domestique intérieur ou concret, ces artistes femmes montrent bien la porosité des frontières entre privé et public, forum et maison.

Ces espaces intérieurs extériorisés sont loin d’être uniformes, malgré le genre commun de leur conceptrices. Devant l’opposition frontale de la chambre 202 (1970) de Dorothea Tanning et Sans titre (2001) de Koo Jeong-A, le visiteur comprend à quel point l’exposition « elles@centrepompidou » méritait son pluriel.

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Si le désordre est le dénominateur commun, celui-ci se teinte d’onirisme chez Tanning où racines et corps protubérants s’immiscent dans un intérieur bourgeois confiné. L’amoncellement de déchets et d’emballages dans une pièce au gigantisme épuré exprime la vision plus réaliste de Koo Jeong-A : une image de la vacuité de l’existence ?

Quant à elle, Sophie Calle brouille la frontière public / privé dans un décor biaisé : quel est l’intimité d’une chambre d’hôtel ? L’hôtel (1981) de Sophie Calle relate en effet l’emploi temporaire de l’artiste dans un grand hôtel vénitien en tant que femme de chambre, d’un type particulièrement fouineur.

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La présentation de chaque chambre répond à un véritable protocole : en haut, une vue d’ensemble de la chambre, au milieu un texte relatant les fouilles et les découvertes de l’artiste, en bas des images appuyant des détails du texte. Cette uniformité quasi-scientifique se confronte aux histoires personnelles des hôtes que l’on lit entre les lignes. Ce contraste entre l’uniformisation des planches et le particularisme de chaque histoire prend à parti le spectateur-voyeur et provoque l’émotion. Et l’on se surprend à s’émouvoir pour cet homme venu commémorer, seul, la nuit qu’il avait passé un an auparavant avec un amour perdu.

Un ton, une relation au corps, un rapport à l’espace : trois fils qui peuvent permettre de nouer les artistes femmes ensemble par leur approche différenciée et particulière de ces sujets. Mais ces fils, comme ceux que proposent les thématiques de l’exposition, ne sont-ils pas délicatement cousus de fil blanc ? Devant plus de 500 œuvres, 200 artistes et 100 ans d’échelonnement, l’ambition de rassembler ces artistes femmes sous la même bannière est irréaliste. La pluralité du féminin artistique est réaffirmée. Toutefois, relire les collections permanentes d’un musée sous l’angle du genre est extrêmement stimulant et l’exposition mérite deux fois plutôt qu’une visite.

Les Guerrilla Girls proclamaient ironiquement que l’avantage d’être une artiste femme était de « ne pas avoir à surmonter l’embarrassante appellation de ‘génie’ ». A la vue de certaines pièces de l’exposition, il est clair que le temps est venu… de les faire mentir !

Claire-Marie FOULQUIER-GAZAGNES

Centre Pompidou, du 27 mai 2009 – 24 mai 2010 Exposition ouverte tous les jours, sauf le mardi, de 11h00 à 21h00

A consulter : http://www.ina.fr/fresques/elles-centrepompidou/Html/PrincipaleAccueil.php

Tarif plein 12 EUROS, réduit 9 ou 8 euros.

Pour approfondir le sujet, nous avons sélectionné pour vous ces  blogs qui en parlent :

Corps sans organes

Art design by

Nanikaa

Les promenades humaines


Prison break : The final break – L’épilogue
Jude Law
Claire-Marie

16 thoughts on “Elles@centrepompidou : un féminin pluriel réaffirmé”

Commentaire(s)

  • Très bon article ! Complet et bien fait. Joli développement.
    Et puis aussi… merci pour votre commentaire.

    Cordialement
    Cyberkor

    May 27, 2009 at 0 h 18 min
  • faire un point historique sur la position des femmes dans l’art plastique n’est pas inintéressant, mais cette manière exlusive, radicale, fait un peu soixante huitardes attardées, non ? Il y a des manières plus conviviales de faire aujourd’hui, pour valoriser le travail des artistes femmes, que de mettre les hommes dehors… Almanart pose ce débat et laisse la parole à tous : n’hésitez pas de donner votre avis sur : http://www.almanart.com/exposition-elle-pompidou

    May 29, 2009 at 14 h 15 min
  • amateurdart

    Quelles est la place des femmes dans l’art aujourd’hui ?

    Des évènements et conférences ont été programmés pour approfondir le sujet.

    Débat ouvert sur le blog de l’exposition :
    http://elles.centrepompidou.fr/blog/

    June 17, 2009 at 10 h 39 min
  • miss Punchabord

    Ah la la que les femmes sont ennuyeuses la plupart du temps (ou la plupart des femmes sont tout le temps ennuyeuses, ce qui revient au même). Elles affirment vouloir s’émanciper de l’homme, de l’attrait physique, et passent leur temps à montrer leur cul (ou celui de leurs copines) et à parler de leurs relations aux hommes. Elles s’imaginent que leurs gémissements érotico-larmoyants fabriquent de l’art. On imagine qu’elles ne sont bonnes qu’à se faire sponsorisées par un fabricant de cosmétiques, de maquillages et de crème anti-rides… Quel ennui ! Heureusement, il y a les pionnières (Dorothée Taenning), les maîtres (Niki de Saint Phalle, Annette Messager, Louise Bourgeois), les valeurs sûres (Sophie Calle), les étoiles montantes (Agnès Thurnauer) et les découvertes (Valie Export, Susan Meiselas). Heureusement qu’il y a des femmes qui en ont (Tant pis pour le sponsor)…

    August 30, 2009 at 21 h 26 min
  • de solere

    bonjour, je cherche à rentrer en contact avec Claire-Marie Foulquier pour un reportage sur M6 pouvez-vous me joindre au 01.46.43.18.00
    Ariane
    Ligne de front productions

    January 14, 2010 at 11 h 39 min
  • Bonjour, votre article est très interessant et je vous invite à lire le mien sur mon site( voir ci-desssus) ou sur mon blog jocelyne-artigue.over-blog.com: je vais essayer d’y retourner car vous avez raison ,il faut a

    February 4, 2010 at 11 h 06 min

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