Design
Martin Szekely, le designer qui ne voulait plus dessiner

Martin Szekely, le designer qui ne voulait plus dessiner

02 December 2011 | PAR Géraldine Bretault

Lorsqu’il crée la chaise Pi dans le cadre d’une Carte Blanche du V.I.A. en 1983, Martin Szekely est instantanément consacré parmi les grands designers français. Pourtant, à l’écart des paillettes qui attirent les « designers stars » de sa génération, il prend une décision radicale en 1996, qui donne son titre à cette exposition : « ne plus dessiner ».

Précis dans ses énoncés, homme de l’écrit plus que de la parole, Martin Szekely se définit finalement avant tout par les rôles et les étiquettes qu’il refuse d’endosser. Ainsi, s’il se réfère volontiers aux figures du minimalisme, tel Donald Judd, ou à la formule less is more, il n’est pas pour autant un artiste, puisque son attachement à la fonctionnalité des objets le replace in extremis dans la sphère du design.

Pas si simple… car d’un autre côté, cet enfant de la balle s’inscrit en marge du design industriel, qui vise une production de masse, réfutant une filiation trop évidente avec les utopies du Bauhaus ou des radicaux italiens pour lui préférer des éditions en série limitée ou uniques destinées à des collectionneurs particuliers ou des commanditaires privés. (La galerie Kreo présente actuellement jusqu’au 23 décembre une exposition de sa série « units »).

Qu’il s’agisse de trois traits de crayon esquissés sur un coin de nappe ou d’un dessin industriel très technique, le dessin reste une émanation hautement subjective de son auteur, ce que Martin Szekely réprouve. Pour lui, créer un objet, et surtout un meuble, c’est d’abord rechercher sa définition élémentaire dans ce qu’elle a de plus neutre. Qu’est-ce qu’une table ? Un élément qui isole du sol. Cqfd.

Cette mise à distance de la subjectivité rejoint aussi la volonté de s’adapter aux exigences techniques des matériaux les plus pointus, que notre designer associe selon des assemblages inédits afin de magnifier les propriétés spatiales et fonctionnelles de ses créations. Ainsi, le rangement Cork a été créé avec du liège, du corian et du nylon, prenant en compte ses propriétés acoustiques, ce qui réduit le meuble à sa nature fondamentale : celle d’une boîte.

Scénographe de l’exposition, Martin Szekely présente également ses productions industrielles, en marge de ses projets personnels. Vous côtoyez ainsi ses créations lorsque vous buvez un Perrier dans le verre de la marque, ou lorsque vous vous asseyez dans un fauteuil à deux places au cinéma mk2 Bibliothèque.

Designer du retrait, de la soustraction, Szekely nous coupe le souffle par l’élégance sobre de ses meubles. Une ascèse qui résonne d’autant plus fortement face à l’état du monde actuel. « Refroidir », nous tance-t-il. Nous arrêter un instant dans la quête au toujours plus, à la brillance, à l’émotion gratuite. Un programme on ne peut plus politique : nous voici conviés à l’économie des sens, à l’épure, à la satisfaction du juste besoin. Une leçon d’humilité.

« J’ai l’impression quelquefois qu’il faut avoir un culot monstre pour encombrer l’espace. »

Visuels : en une, étagère Tino, aluminium, acier, Nextel, 2009 © photo : Rossana Nencioni

Martin Szekely sur son bureau Heroic Carbon, 2010 © Fabrice Grousset

Rangement Cork 3, simple boxes, liège, corian, nylon, 2009 © Fabrice Grousset

des plats, verre, 1999-2000 © Christoph Kicherer

Stonewood One, pierre, acier, 2005 © Fabrice Grousset

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

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