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[Tour de web] Deuil

[Tour de web] Deuil

18 January 2015 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Après la mort, vient pour les vivants le temps du deuil. Dans le judaïsme, la première phase dure sept jours, elle impose à l’affligé d’être très entouré et de ne rien faire par lui- même.  La concentration doit être totale et la peine soutenue. Cette semaine, la France entière a eu cette pratique et le mot “deuil” s’est retrouvé sur toutes les lèvres.

7 jours

Le courrier Picard titre “Ces sept jours qui ont tout changé” , et de conclure après avoir posé un rétroviseur utile sur cette semaine sanglante : “Des messes, des hommages nationaux, des députés qui entonnent la Marseillaise, les dessinateurs de Charlie Hebdo morts ce mercredi 7 janvier auraient certainement fort à dire et à dessiner. Ils ne sont plus là pour le faire, mais Charlie n’est pas mort, bien au contraire. Tiré à 3 millions d’exemplaires, soit soixante fois plus que d’habitude, distribué dans 25 pays et traduit en anglais, espagnol et arabe pour la version numérique et en italien et turc pour la version papier, l’hebdo qui sort ce mercredi est déjà qualifié d’historique.”

L’Europe pleure.

En Allemagne, le 13 janvier, une commémoration a eu lieu rassemblant 10000 personnes.  Les Echos écrivent : “Depuis l’attentat sur « Charlie Hebdo », l’Allemagne vit à l’heure parisienne. Les chaines d’information continue ont suivi en direct les attaques et la traque des terroristes. Ce mardi encore, elles retransmettent les obsèques des policiers tombés en service ou la conférence de presse de l’hebdomadaire satirique. Des milliers de personnes ont défilé dans les villes allemandes en hommage aux victimes. « Je suis Charlie » est devenu un slogan national ici aussi.”

Direct Matin prend l’exemple de la Turquie : “Depuis l’attentat contre Charlie Hebdo, ils sont en deuil. Et inquiets. Mais, plus que jamais, les caricaturistes du journal satirique turc Leman veulent continuer à dénoncer, surtout railler, le régime islamo-conservateur au pouvoir. Georges Wolinski avait rendu visite à ses collègues turcs en 2002. C’est avec une photo du père du “roi des cons”, crayon en main devant une mosquée d’Istanbul, que ses collègues turcs ont ouvert leur numéro spécial lundi en hommage aux dessinateurs français assassinés.”

Les failles.

Si la peine reste intense, à plus d’une semaine de l’attentat, elle se rationalise et permet aux loups de rentrer en piste.  Libération dresse une revue de presse passionnante des Unes  du monde entier le jour de la sortie du numéro de Charlie Hebdo : “Aux Etats-Unis, pays qui a inscrit la liberté d’expression dans sa Constitution mais où la satire religieuse est taboue, la plupart des journaux nationaux ont reproduit le dessin du prophète Mahomet, sauf le New York Times, qui publie un article intitulé: «Toujours en deuil, mais avec une nouvelle provocation: Mahomet à la Une», sans montrer la caricature”

Et un murmure gras revient : le “ils l’ont bien cherché” tape à la porte. BFM est allé interroger des fidèles musulmans à la sortie de la mosquée de Pantin, et de rapporter les propos d’un homme : ” “Les caricatures, on ne les acceptera jamais. Tout le monde en a pris tellement gros sur le moral après ce qu’il s’est passé qu’aujourd’hui on doit jouer l’apaisement. Or ça (la Une, ndlr) n’apaise pas”. Pourtant, il insiste “tout le monde doit se calmer, même l’équipe de Charlie Hebdo”. Enis estime lui aussi que cette Une est une provocation: “Ça fait mal au cœur car on se moque d’une religion. On est très triste de voir tous ces morts. On est en deuil et ils nous tapent encore dessus. Qu’ils nous laissent tranquilles”.

Dans Le Figaro Anne Fulda raconte sa semaine. Les attentats y sont bien sur au coeur :”Marianne au brassard noir. Je reçois par mail l’invitation aux vœux de Manuel Valls à la presse, qui auront lieu la semaine prochaine ; avec en filigrane une Marianne et un bandeau noir qui barre le carton d’invitation. Evidemment, le temps du deuil est fondamental et la solennité qui s’est déployée était nécessaire et bienvenue, mais maintenant on attend et vite des mesures concrètes.” les bonnes.

Les accusations

Cette semaine de deuil comporte de la colère et des accusations de responsabilité avec en tête de gondole La justice et l’Ecole. La Troisième République voit son socle se fissurer!
Le Figaro offre le témoignage passionnant d’un enseignant et rappelle en préambule les injonctions au changement dont la ministre de l’Education Nationale a pris rapidement acte : “Au lendemain de l’attentat perpétré  au siège de l’hebdomadaire Charlie Hebdo le mercredi 7 janvier, difficile de ne pas aborder le sujet à l’école. En première ligne, les enseignants ont dû répondre aux interrogations de leurs élèves, en étant parfois confrontés à des adolescents agressifs. Des minutes de silence ont dérapé, la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem a décidé d’organiser une «grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République», les syndicats d’enseignants ont réclamé une action sur le long terme. Rue de Grenelle, on a comptabilisé près de 200 incidents dans les 64.000 établissements que compte la France.”.
200 sur 64000, l’affaire a beau être minoritaire elle n’en est pas moins symptomatique. Quelque chose a dérapé.
Du côté de La Justice, la faute se passe de main en main. Et pourtant, concernant le terrorisme, il n’y a pas que des dysfonctionnements. Depuis le 7 janvier, les paroles d’apologie du terrorisme sont lourdement réprimées. Le Monde écrit : “C’est la première fois qu’est ainsi appliquée la loi du 14 novembre 2014 sur « la lutte contre le terrorisme », la deuxième en deux ans après celle de décembre 2012. Cette loi inscrit le délit d’apologie d’un acte de terrorisme (déjà sanctionné par la loi de 1881 sur la liberté de la presse) au code pénal, avec la possibilité de passer en comparution immédiate devant la justice.”

Et maintenant ?

Dans l’Ob’s ” l’économiste hétérodoxe américain James Galbraith regrette que les Etats-Unis n’aient pas davantage protégé les traditions républicaines après le 11 septembre. Et met en garde les Français” : “Même s’il y a beaucoup d’émotion, il faut prendre soin de ne pas se précipiter, de ne pas écouter trop vite tous ces gens qui savent ce qu’il faut faire, qui sont certains qu’il faut limiter les procédures civiles et s’appuyer sur les forces militaires, changer les conditions dans les prisons. Pour un Américain, tout cela est très familier…”.

Il ne faudrait pas comme l’écrit Eschylle, ajouter du Malheur au Malheur et savoir garder son calme face au pire. La première phase du deuil juif dure 7 jours, l’ensemble compte 11 mois. L’urgence est de rester réveillés, bouffés par l’insomnie sans jamais se précipiter.

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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