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Stéphane Sirot : “le pouvoir politique ne joue plus le jeu de la régularisation par le conflit”

Stéphane Sirot : “le pouvoir politique ne joue plus le jeu de la régularisation par le conflit”

21 March 2018 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Stéphane Sirot est historien, spécialiste de l’histoire et de la sociologie des grèves, du syndicalisme et des relations sociales. Il enseigne l’histoire politique et sociale du XXe siècle à l’Université de Cergy-Pontoise et l’histoire et la sociologie du syndicalisme et des relations sociales à l’Institut d’administration des entreprises de l’Université de Nantes. Il vient de publier Électriciens et gaziers en France. Une histoire sociale, XIXe-XXIe siècles, Arbre bleu éditions, coll. « Le corps social ». Il a accepté de répondre à nos questions à la veille du conflit social concernant l’ensemble de la fonction publique qui commencera demain, 50 ans jour pour jour après le Mouvement du 22 mars 1968. 

Les motivations de ce conflit social sont-elles lisibles ?

Je ne sais pas si elles sont claires pour le public ni même pour ceux qui les font. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des motivations communes à ces mouvements. La plus forte tient à ce fossé qui s’est creusé entre des contraintes financières et des pratiques salariales qui ne peuvent plus se réaliser à force de restriction. Cela vaut pour les gardiens de prison comme pour les cheminots. Il y a une disjonction entre l’impératif budgétaire et les pratiques professionnelles. À force de rigueur financière, les professions n’arrivent plus à exercer.

J’ai la sensation, concernant la SNCF, qu’il y a une incompréhension du public, notamment lié au coût exorbitant des billets. Une grève peut-elle se mener sans l’adhésion du public?

Un avis public se forme avec des débats. Et il y en aura dans les semaines qui viennent. Pour l’instant nous sommes restés sur une communication gouvernementale qui axe sur la notion de statut. Il y a des lourdes questions comme la place du service public et la construction européenne. Le gouvernement prétend appliquer les directives de l’Union Européenne c’est là que l’opinion publique va se cristalliser. Il peut y avoir au départ une incompréhension et puis l’opinion bouge, modifie son point de vue. Le positionnement de l’opinion public n’est pas encore cristallisé.

Est-ce que la grève est encore un outil au XXIe siècle ?

Oui, la grève s’adapte à la situation. On ne voit pas de grève au sens traditionnel du terme. On note des débrayages qui depuis le début du siècle ont doublé. Les conflits s’adaptent à la situation compte tenu du contexte productif, quelques jours suffisent à désorganiser le service. Cela permet d’encaisser moins durement les retenues sur le salaire. Pour les cheminots, il s’agit de faire tourner le coût de la grève. La particularité historique c’est que ces conflits s’adaptent à l’air du temps.

Est-ce qu’au XXIe siècle, un conflit social a déjà été un succès ?

Depuis 2013, hormis le CPE, les mouvements sociaux ont tous rencontré l’échec. Le pouvoir politique ne joue plus le jeu de la régularisation par le conflit, où après un tour de force, on s’en sortait par un compromis. Depuis le début du siècle, le pouvoir politique a compris qu’il était possible que l’orage passe de lui même. Cela tient aussi à la faiblesse croissante des mouvements syndicaux qui se trouvent dans une nécessité de renouveler ses modes d’actions pour les rendre efficaces. Ce qui arrive depuis vingt ans, c’est que les mobilisations ont été, de la part des syndicats, axées plus sur les manifestations que sur les pratiques de grèves qui étaient plus à même de faire bouger le pouvoir. Par exemple, les manifestations lors de la Loi travail ont réuni une mobilisation jamais atteinte pour un résultat nul. Le mouvement s’est étendu mais il n’a pas trouvé les moyens d’agir. Mon hypothèse est que le problème n’est pas la convergence des luttes, il faudrait un chef d’orchestres, il y a un déficit direction au niveau syndical. À force d’échec, on assiste à un repli sectoriel. Chaque secteur a forgé une forteresse pour résister. Par exemple, les chauffeurs routiers ont négocié à part des dérogations et les ont obtenues. Il n’y a pas un front uni mais une nébuleuse de mobilisation sectorielle. Si on se place du point de vue du pouvoir politique ce n’est pas une bonne chose. Il oublie qu’il peut y avoir un étalement de conflit. Tous les secteurs concernés attirent la lumière.

Visuel : ©Stéphane SIrot

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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