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Rue Denoyez : la fin d’une belle histoire

Rue Denoyez : la fin d’une belle histoire

31 March 2015 | PAR Simon Théodore

Depuis les années 2000, la rue Denoyez, du nom d’une taverne oubliée est un temple du street-art. Depuis aujourd’hui 14h, les artistes ont vu les scellés être posés sur leurs portes. Les visages des individus étaient aussi gris que le ciel. L’émotion et la déception de la fin d’une utopie rendaient l’ambiance encore plus morose. En seulement quelques heures, plus de quinze années d’expressions artistiques ont été ensevellies.

Depuis quelques mois une pétition circule : “Sauvez la rue Denoyez“. Ce qui est en jeu, c’est la destruction d’un musée informel à ciel ouvert et de plusieurs ateliers d’artistes. Ici ce ne sont pas les gentils contre les méchants qui s’opposent. Un appel d’offre publié sur le site du Bulletin Officiel des Marchés Publics informe sur la situation : “mission de maîtrise d’oeuvre relative à la réalisation d’un ensemble immobilier comprenant une crèche de 50 places et environ 18 logements aux 18bis-22bis rue Dénoyez à Paris 20ème.” En clair, presque la moitié de la rue, des ateliers, va être rasée pour permettre la construction d’une crèche et de logements sociaux. Une cinquantaine de personnes étaient donc réunies, dans cette petite rue graffée du 20ème arrondissement, pour assister aux scellés des ateliers.

“On participait à la vie de quartier”

Visiblement tendu, ces artistes expliquent ne pas être opposés à la construction de crèche mais dégoûtés des conditions d’expulsion et inquiets de l’avenir du quartier. Interrogé, l’un d’eux s’exprime : « ça me rend triste mais ce qui me rend encore plus triste, c’est l’impossibilité de lutter contre l’immobilier […] La maire dit qu’elle fait soi disant beaucoup pour le street art mais en fait non. Ça me rend triste pour la rue. ». Certains ont pu être relogés mais la plupart n’ont pas eu cette possibilité. Des propositions ont été faites mais aucune ne semble concrète et, bien souvent, les loyers sont exorbitants. Une des membres du collectif organisant le rassemblement dévoilait une photographie de l’un de ces nouveaux endroits, un espace complètement moderne et en sous-sol. Ce genre d’espace est inimaginable pour ces peintres de la rue qui voient dans leur art une participation à la vie de quartier. Installé depuis seize rue Dénoyez, un artiste de 50 ans revient sur l’ambiance de Belleville : « on participait à la vie de quartier en s’autofinançant, en vendant des crêpes par exemple. On a apporté de la valeur au quartier mais ça, ils ne le disent pas ». « On mettait l’animation pour les p’tits vieux d’en face ! » lance une dame en regardant une personne âgée, tirant sa révérence, du haut de son deuxième étage.

“Ils tuent la ville”

Les ouvriers sont maintenant arrivés, quelques gouttes de pluie tombent et l’ambiance laisse place à l’émotion. Il est un peu plus de 14h30 et moins de cent personnes sont présentes. La mobilisation n’a pas forcément marché. Un habitant de la rue de Belleville me confiera de pas être au courant du projet immobilier et de ce rassemblement. Seuls quelques habitués des lieux seront là pour soutenir les expulsés. La tête baissée, le regard vide à la vue des ouvriers posant les premières pierres des « murs anti-squats », un fidèle évoquera son plaisir à venir, le soir, pour se caler avec des potes dans cette rue. C’était presque un devoir, pour lui, d’assister à la fin de la rue Dénoyez. Une femme, passant de temps en temps dans le quartier, partagera avec les larmes aux yeux son impression : « pour moi, c’était immuable ce qu’il se passait ici. Ils sont en train de tuer la ville. »

Le premier atelier est à présent condamné et les représentants de la mairie, accompagnés d’une avocate, continuent de faire le tour de la rue. On assiste bien à la fin d’une époque mais le rapport de force était trop grand. Un artiste, installé ici depuis bien longtemps, restera de marbre, le visage pétri par la déception, quand les trois officiels rentreront dans son local déjà vidé.

Visuels : (c) Simon Théodore

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Simon Théodore

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