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La place de la culture en temps de présidentielles, Rencontre avec Aurélie Filippetti

La place de la culture en temps de présidentielles, Rencontre avec Aurélie Filippetti

30 November 2016 | PAR Yaël Hirsch

:Alors que la culture semble très peu présente dans les diverses propositions des candidats à la présidentielle 2017 (voir notre dossier), nous avons rencontré l’ancienne ministre de la Culture (2012-2014), députée de Moselle, et également Présidente du Festival Cinemed, Aurelie Filippetti. Alors qu’elle participe à l’élaboration du programme de Arnaud de Montebourg, notamment sur les domaines de la culture et de l’éducation, Aurélie Filippetti nous parle de son expérience de ministre, défend des idées et des mesures de politiques culturelles. Un entretient qui nous permet de mesurer l’importance de la culture dans une France en état d’urgence et mobilisée par l’élection de mai prochain.

Pourquoi parle-t-on si peu de culture quand on analyse les programmes des candidats à l’élection Présidentielle?
C’est dommage que la culture soit considérée comme un sujet qui vient presque après les autres. Pas toujours un sujet mineur mais ce dont il faudra s’occuper quand on aura réglé tous le reste, en quelques sortes. C’est une erreur parce que la culture a vraiment un rôle de catalyseur de changement dans la société. Elle apporte met en avant d’autres valeurs, une vision de la société qui n’est pas fondée que sur la réussite matérielle. C’est la vision d’une communauté humaine qui est fondée sur l’échange, l’altérité… Parce que la culture, c’est quand même l’apprentissage de l’altérité. Il y a un lien énorme avec l’éducation nationale, avec l’éducation artistique et culturelle et je pense qu’il faudra mettre le paquet en donnant des crédits. Je l’ai fait quand j’étais au ministère, mais il va vraiment falloir en faire plus là-dessus. Il faut montrer aux gens qu’on met en avant la politique culturelle parce que ça touche tous les pans de leur vie. Je pense que les Français sont tout à fait aptes à l’entendre, parce qu’ils savent quelle importance cela a, ce sont des grands amoureux de culture.

En 2014, lorsque vous étiez ministre de la Culture, vous avez publié une étude commune avec le ministère de l’économie: “Le développement de l’entrepreneuriat dans le secteur culturel”. Elle montrait que la culture ce n’était pas que du symbole et des idées. Cela crée de l’emploi. On comprenait par exemple comment la création d’un festival met en place tout un système économique et crée des externalités positives dans une localité…
En fait ce rapport avait été mal compris, certains m’ont accusée de vouloir faire de la culture une valeur marchande, en fait ce n’était pas du tout mon but, mon but c’était de donner des arguments qu’on pouvait opposer à des langages qui comprennent pas les langages philosophiques ou de société. Quand on parle avec les gens de Bercy, faut leur donner des arguments économiques. Et je voulais vraiment qu’on ait une idée de ce qu’apporte un festival ou un musée dans un territoire, et c’est énorme.
C’est complètement structurant, par exemple l’arrivée du centre Pompidou à Metz, a changé l’image de la ville. Cela va d’ailleurs infiniment au delà de ce qu’on peut mesurer financièrement: des gens visitent Metz, alors qu’il n’y seraient jamais venus… Cela a aussi entraîné une politique culturelle tout à fait différente dans la région. Et la dynamique culturelle a agi sur bien d’autres champs : la médecine, l’éducation pour les gens de la région…

Participez-vous à l’élaboration du programme d’Arnaud de Montebourg ? 
Sur la culture pour beaucoup et aussi l’éducation. Je n’ai pas une fonction bien précise. Mais en tant qu’ancienne ministre de la culture, je le pousse à bien expliquer que la culture est au cœur d’un nouveau modèle de développement. Un programme qui favorise la culture, bien pensé permet de préserver une forme d’excellence française mais aussi la diversité culturelle, d’accueillir de nouveau artistes qui viennent créer en France.

Est-ce qu’une bonne mesure de politique culturelle peut faire la différence dans un programme politique ?
Certaines mesures sont très importantes. Augmenter le budget de la culture d’une manière très forte, d’une certaine manière obliger un travail avec l’éducation nationale est crucial pour que tous les enfants aient accès à une éducation culturelle. Il faut rétablir l’épreuve d’arts au brevet des collèges : même si certains disent qu’elle n’a pas été supprimée, dans les faits elle
a disparu. Il faudrait qu’à chaque niveau, chaque classe, il y ait un enseignement culturel. Il est aussi important d’entretenir les liens avec les conservatoires, où des budgets ont été amputés. Or, il faut que plus d’enfant aient accès à des pratiques musicales, comme théâtrales. Il faut aussi lancer des investissements publics dans les musées, afin d’y introduire le numérique. Il faut que cela se fasse avec de l’argent public, il ne faut pas laisser privatiser la numérisation de nos fonds par des entreprises comme Google,, ce qui serait une catastrophe…

Que pensez-vous d’initiatives privées sur le numérique et la culture comme la French Tech, qui repose sur des start-ups françaises...
Oui c’est un label qui est né avec Fleur Pellerin… Il peut y avoir des fonds privés mais il faut que ce soit raisonnable. De nombreuses numérisations de fonds ont lieu avec une exclusivité de 15 ans sur un certains nombre d’archives. Je trouve ça extrêmement dangereux. On doit avoir des contrôles publics sur la numérisation des données publiques.

Dans une campagne électorale, pour l’image des candidats, on a l’impression que la culture est un sujet ambivalent : à la fois les Français aiment bien avoir des représentants cultivés et qui lisent leurs auteurs nobélisés, en même temps l’on conserve le vieux soupçon marxiste que la culture est l’apanage d’une élite …
C’est vrai qu’il y a eut un vrai changement depuis les années 1990. Avant tout homme politique se devait d’être cultivé. Cela faisait sa crédibilité. Il y a eut un renversement et on a voulu faire passer ça pour de l’élitisme. Pour un homme ou une femme politique, être cultivé, c’est simplement qu’on s’intéresse à l’Histoire de son pays, aux autres… C’est “l’honnête homme” de Montaigne. On ne peut pas vouloir présider un pays si on a pas une vision de ce pays qui s’inscrit dans son passé et son avenir dans ce qui constitue son patrimoine. Il faut un certain recul, que donne la fréquentation des œuvres.

Etre normalienne, avoir écrit et publié est-ce que ça vous a aidée personnellement pour être députée et ministre de la Culture?
Je trouve que ça apprend l’humilité, quand on aime l’art quand on s’intéresse à l’art ou la littérature, on apprend à douter. Beaucoup oublient ça. Donner du sens, réaliser les limites de l’action humaine. Donner un sens à la vie ensemble, et individuel.

Quelles sont les mesures que vous avez pris qui vous semblent le plus “pleines de sens”?
Quand j’étais au ministère, le projet Demos  qui a créé des classes orchestres ont commencé à Montpellier pour donner des instruments aux enfants défavorisés dans les quartiers de la ville
isolés. Les retours étaient vraiment très bons. Maintenant il doit y en avoir une quarantaine en France. Ce sont des initiatives comme ça qui changent les choses, avec des associations qui s’occupent des enfants dans les quartiers, les aident à obtenir des meilleurs résultats scolaires et du respect. t plusieurs acteurs ou médiateurs s’impliquent, y compris les collectivités locales

La culture est un champs vaste. Comme ministre de la Culture, comment parveniez-vous à vous tenir au courant de tout ce qui se passe dans ce domaine?
C’est compliqué, parce qu’il y a énormément de créativité. Ce que j’ai regretté c’est d’être trop à Paris et pas assez dans les régions. Il y a des choses qui se passent dans partout c’est très bien. Cinemed par exemple c’est un festival qui donne une fenêtre sur la méditerranée qui n’existe nulle part ailleurs. Et pourtant on sait très bien qu’on a cette histoire en commun avec les pays du golfe méditerranéen on sait très bien qu’il faut lutter tous ensemble contre le terrorisme on va devoir s’unir. On voit des réalités dans tous les films, on comprend que c’est notre histoire à tous, on est confrontés aux mêmes problèmes, je crois que c’est une leçon pour tout le monde. Je suis très heureuse de ça. C’est aussi ailleurs que Paris que les choses se passent.

Quelle est la part du patrimoine dans la politique culturelle ?
C’est un budget important le patrimoine pour le ministère de la Culture. C’est important parce que c’est notre histoire et cela nécessite beaucoup d’argent. L’entretien, la restauration du patrimoine font appel à des savoir-faire incroyables. Il y a beaucoup de débouchés manuels pour certains jeunes, on a là d’énormes gisements d’emplois et de formations.

Le ministère de la Culture est aussi celui de la Communication. Dans des temps comme aujourd’hui quelle est la place de presse et la défense de sa liberté au sein des politiques culturelles?
Il faut conserver à la fois l’indépendance de la presse et de la culture. Financer la culture par des fonds public, c’est naturel, il faut le faire. Il faut limiter la main mise des puissants, garantir l’indépendance de la presse. On voit par exemple ce qui se passe à I Télé. On voit bien qu’il y a une réelle influence sur le marché publicitaire, il y a une vraie volonté d’influence là dessus, ce n’est pas du mécénat. Il faut donc donner des moyens légaux aux médias pour qu’ils puissent résister aux pressions des actionnaires. C’est la préoccupation majeure : il faut empêcher des empires de presse.

visuel : photo officielle

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

2 thoughts on “La place de la culture en temps de présidentielles, Rencontre avec Aurélie Filippetti”

Commentaire(s)

  • étonnant pas un mot sur les droits culturels des personnes comme si on était encore dans les années 90 et que la loi n’avait pas changé !
    Et puis un conseil : quand vous interviewez une personnalité demandez lui ( et demandez vous ) ce qu’il faut entendre pas “la culture ” ? La mienne, la votre ou la leur ? Sinon à quoi bon parler de ce qui n’est jamais défini!!!.

    December 3, 2016 at 16 h 08 min

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