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La culture du candidat Sarkozy : le Buisson élagué, l’ère du vide

La culture du candidat Sarkozy : le Buisson élagué, l’ère du vide

03 November 2016 | PAR Franck Jacquet

Toute la culture suit depuis cet été la pré-campagne et la campagne présidentielle. En matière de politique culturelle, de rapport à la culture ou encore de lien entre les arts et l’éducation, qui propose quoi et à partir de quelle expérience (mandat, poste ministériel occupé…) ? A chaque semaine son candidat, mais toujours les mêmes questions. De quoi comparer les approches de ceux qui prétendent au poste de “monarque républicain” !

On avait du mal la semaine passée à trouver des propositions chez Marie-Noëlle Lienemann (voir notre article). Cela pouvait s’expliquer. Mais cette semaine, derrière ce qui reste de Buisson, point de forêt culturelle pour Nicolas Sarkozy ! Une absence sidérante et sidérale pour un candidat de premier plan. La photo “bling-bling” coule de source !  

 

nicolas-sarkozy

 

« Fiche signalétique » (Le parcours politique, le positionnement actuel, les chances de réussite…) :

Nicolas Sarkozy, l’ancien Président de la République et souhaitant plus que jamais recouvrer ce qu’il pense être sa place, est assez mal engagé dans l’élection primaire de la droite et (à son grand dam !) du centre. Après une belle remontée dans les sondages à la fin de l’été, il n’a pu rattraper pour le moment le maire de Bordeaux. Comme à son habitude donc, il tente de mettre le feu au débat et tout y passe : surenchère sur l’immigration, gaulois, attaques des électeurs de gauche voulant se rendre à la primaire, puis de François Bayrou et maintenant à l’encontre de l’UDI elle-même ! Son atout centro-compatible François Baroin en est devenu inaudible… Cette semaine, Valérie Pécresse, bon reflet du courage de la dernière minute, vient de rallier Alain Juppé, toujours premier avec plus de 5-6 points d’avance au premier tour. Nombre de sarkozystes historiques ont rejoint ce dernier plus tôt (Patrick Devedjian, Hubert Falco, Frédéric Lefebvre…). Alors le noyau de fidèles se raccroche à la droitisation du discours, espérant que les sondages se trompent. Mais la tendance, si elle est encore assez friable au premier tour, semble irrémédiablement tourner au référendum anti-Sarkozy pour le second tour. Même François Fillon commence à parier sur un effondrement de son ancien Président dans les dernières semaines, ce qui paraît tout de même hautement improbable. Mais ne l’enterrons pas ; Nicolas Sarkozy est un come back Kid et s’il n’y a plus aucun Buisson dans ses parages pour cacher la forêt d’inculture (rappelons la polémique de la semaine sur “les ploucs”) qui l’entoure, il saura sans doute être mordant lors du grand débat de ce jeudi sur les chaînes d’information (BFMTV notamment). Sinon, Carla pourra entonner quelques chansons pour le réconforter…

Quel est le programme ? Quelles sont les mesures émises ?  (Site internet, prises de position en réunion publique, articles, livres…) :

Quand il a fallu commencer le comparatif de la semaine, on se disait qu’il faudrait faire un gros travail pour dépouiller et distinguer ce qui relève de la promesse vide de vrais embryons de politiques publiques… On sait bien, et ce n’est pas être polémique que de l’écrire, que Nicolas Sarkozy n’est pas l’incarnation de la culture classique avec un grand C (voir notre article sur Bruno Le Maire). Mais sur les sites, sur les tracts, sur les réseaux sociaux, dans les derniers livres, dans les interviews… : RIEN ! Un vide quasi sidéral qui ne manque pas d’étonner pour un candidat majeur et de surcroît ancien Président. Une page blanche… La preuve la plus éclatante reste le site de campagne. On avait pu remarquer chez les concurrents certains points forts, certains défauts : une culture très étatisée et très centralisée chez Bruno Le Maire, une copie très complète et austère chez François Fillon (voir notre article) ou encore un beau tableau parfait mais aux contours un peu flous chez Alain Juppé (voir notre article). Ici, tout tient en 5 lignes : « Faire de la culture une réponse prioritaire à la crise ; Étendre le taux réduit de TVA à tous les biens culturels, sans distinction entre le numérique et le physique ; Moderniser notre secteur audiovisuel public ; Réformer le régime des intermittents du spectacle ». Voilà le programme !  Le message est clair, tout est régalien ! Et tout ce qui ne l’est pas…. Eh bien on le laisse de côté. Cherchons dans les discours et sur les réseaux sociaux. Rien non plus… Pas la moindre prise de position sur un établissement public culturel, sur le financement des médias publics, le patrimoine (très présent à la concurrence), le rayonnement de la culture française… En désespoir de cause, dans les livres, si chéris pour le retour en politique ? La France chérie est là à toute les pages, l’amour de sa culture aussi, mais rien de concret. Le régalien, rien que le régalien, et encore, réduit à la pure acception d’ordre public… Le seul discours d’ampleur fut celui de Cannes, cet été, mais qui fut consacré à tresser un bilan négatif du quinquennat de François Hollande (juste de retour des choses, ce dernier avait fait de même cinq ans plus tôt). Il n’en reste d’ailleurs que cette phrase, répétée à l’envi par ses opposants, comme un cruel rappel de l’image d’inculte qui lui colle à la peau : « Je voudrais rappeler cette conviction qui est pour moi inébranlable : la culture sera l’une des réponses à la crise que nous connaissons ». Il n’est alors flanqué que de quelques retraités de la politique culturel, au premier rang desquels Donnedieu de Vabres. En effet, son équipe paraît bien dégarnie malgré de nombreux soutiens parlementaires (et encore dans la haute fonction publique). Pour résumer, Nicolas Sarkozy sait sans doute qu’il ne convaincra pas sur cet item et concentre le tir sur l’ordre, la sécurité, l’immigration, et renonce à être pour le moment un “catch-all candidat“, c’est-à-dire un candidat qui aurait des positions sur tout pour attraper donc des clientèles différentes, diverses comme l’est une société morcelée comme la société française… Lucide peut-être, mais peu convaincant.

En termes de montants, cela donne quoi ?

L’avantage est que lorsqu’il n’y a pas de programme, il n’y a pas besoin de le chiffrer (voir notre article sur Benoît Hamon) ! Toutes les mesures annoncées relèvent de la sécurité, de la police, de la défense, du temps de travail…

La culture pour elle-même ou comme sous-catégorie dans les débats sur l’éducation et l’identité ?

Ici, tout est très construit. La culture ne rime pas avec politique culturelle, gouvernance des arts, culture dans la ville et nouveaux médias. La culture, c’est l’identité nationale ! Rappelons l’épisodes des Gaulois « ancêtres collectifs ». Il s’agit donc pour Nicolas Sarkozy d’attirer la question culturelle sur le terrain de l’identité nationale, en parlant immigration et intégration ou plutôt assimilation. Dans son discours prononcé devant le collectif « France fière » le 24 mai 2016, tout est tourné vers le passé, sans donner un sens aux grandes heures passées pour le présent, et encore moins pour le futur. L’identité est un contenant figé qu’il faut accepter. Du Buisson sans Buisson. Il réactive ainsi des accents légitimistes et maurrassiens, de vieilles sensibilités de droite laissées en jachère par Alain Juppé et que Jean-Frédéric Poisson ne semble pouvoir incarner. Enfin, la culture est ensuite l’éducation : ici, la langue française est à l’honneur (mais aucune mesure précise n’est décrite) et il affirme le renforcement de l’autonomie des universités, élément certes contesté par la gauche mais qui reste un point fort de son quinquennat. Là semble se nicher le seul regard porté vers le futur (proposition d’incubateurs dans les universités, bien qu’il en existe déjà dans plusieurs d’entre elles et dans toutes les grandes écoles).

Un candidat aux propositions crédibles pour le monde de la culture et les politiques culturelles ? (Réalisations et prises de position antérieures…) :

Si Nicolas Sarkozy n’aime guère les gens de la culture, ceux-ci le lui rendent bien. On ne compte pas les prises de position critiques à son égard. Evidemment, les tenants des vieux temples classiques et du Grand Siècle n’ont jamais oublié sa sortie sur la Princesse de Clèves. Les quelques rares voix telle celle de Muriel Mayette (ancienne administratrice de la Comédie Française, désormais à la Villa Médicis) sont elles-mêmes maladroites : « J’ai déjeuné plusieurs fois avec lui, pour parler de comment va la culture et de ce qu’on pourrait faire. Il me semblait réceptif, c’est-à-dire très conscient qu’il n’y connaissait pas grand-chose mais que c’était important ».  Il faut dire que lorsqu’il essaie de se donner la stature d’un homme de culture, comme tout Président monarque se doit de l’être, cela ne fonctionne guère. Dans La France pour la vie on ne peut manquer : « Jean Racine a été très perturbé par les critiques quand il a sorti Phèdre. Les critiques sont oubliées, Racine non. Sans doute ai-je trop tenu compte des commentaires » ! Déjà, il avait essayé plus tôt, mais sans succès, de faire montre de son intérêt pour les belles lettres avec Tolstoï… Non, décidément non. Le candidat est un représentant de ce que certains appellent la « droite Sardou » : télévision, variété française, sport…

On le voit, le candidat est critiqué pour ce qu’il est plus pour ce qu’il a fait. Alors qu’a-t-il fait, lui, Président ? Le bilan est en demi-teinte. Sur la recherche, domaine connexe à la culture, le crédit impôt-recherche a donné tout de même des effets positifs même si l’élan n’est pas à la hauteur des concurrents internationaux. Pour ce qui est des nominations, il faut bien reconnaître que toute personne associée à son mandat en matière de culture a été irrémédiablement carbonisée. Georges-Marc Benamou ne dira pas autrement. Sous son mandat, l’audiovisuel public a été secoué par la fin partielle de la publicité, mesure ayant suscité une déstabilisation jamais surmontée par le paquebot France TV sous Pflimlin, mais aussi par Ernotte qui vient d’essuyer un rapport assassin sur l’absence d’adaptation de son établissement face aux défis du numérique et des nouveaux supports ou sur les lourdeurs de la rédaction de l’info… De vieilles lunes qui transcendent les mandats donc. Ajoutons les demi-mesures sur la « loi anti-Amazon » et les débats sur la place des libraires indépendants, question structurelle toujours pas surmontée depuis 2012. Enfin, sur le plan de la politique muséale, si les tenants du verre à moitié plein considèrent que la décision de la construction du Louvre Abu-Dhabi est synonyme de maintien du projet de musée universel pour l’établissement français, les esprits chagrins rappelleront sans cesse l’échec retentissant du Musée de l’Histoire de France qui devait prendre place aux Archives nationales… projet qui pourtant est revenu chez plusieurs projets concurrents cette année.

Degré de crédibilité de l’ensemble :

On attendra assez peu sur ce plan de la part de l’ancien Président qui ne souhaite pour le moment pas se positionner sur ce terrain qu’il sait miné pour lui. Le thème est laissé à ses concurrents.

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Franck Jacquet
Diplômé de Sciences Po et de l'ESCP - Enseigne en classes préparatoires publiques et privées et en école de commerce - Chercheur en théorie politique et en histoire, esthétique, notamment sur les nationalismes - Publie dans des revues scientifiques ou grand public (On the Field...), rédactions en ligne (Le nouveau cénacle...) - Se demande ce qu'il y après la Recherche (du temps perdu...)

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