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[Interview] Roger Tropeano, co-auteur du “livret culture” de Jean-Luc Mélenchon

[Interview] Roger Tropeano, co-auteur du “livret culture” de Jean-Luc Mélenchon

20 April 2017 | PAR Yaël Hirsch

Co-auteur avec Danièle Atala et Charles Plantade, du 7e livret de la “France insoumise” dédié aux arts et à la culture, Roger Tropeano, ancien maire-adjoint de Châtenay-Malabry, qui a quitté le PS pour rejoindre le mouvement de Jean-Luc Mélenchon répond à nos questions sur les projets de politique culturelle du candidat à la Présidentielle.

tropeano

Même si vous avez quitté le PS il y a deux ans, que conservez-vous de ce quinquennat de gauche en termes de politique culturelle?
Au début du quinquennat, il y a eu une vraie erreur : baisser le budget en se pliant aux diktats européens. Cela s’expliquait alors d’une part parce qu’il y avait moins d’argent, mais il s’agissait aussi de ne pas considérer la culture comme au cœur de la politique. Et c’était contraire à ce que François Hollande avait promis et affirmé, au travers de grandes réunions comme celle du Cirque d’hiver. A part ça pendant le quinquennat, il y a eu quand même trois ministres. Mais je pense que l’accord sur les intermittents est un bon accord : nous l’avons écrit noir sur blanc dans notre programme. Il y a eu aussi une action qu’il faut reconnaître à François Hollande, c’est l’exception culturelle autour des années 2014, juste avant le départ d’Aurélie Filippetti, il s’est engagé, y compris par rapport à Barroso à l’époque, c’était lui le président de la commission européenne, et il s’est engagé dans ce combat sur l’exception culturelle. Sinon, le sursaut de fin de quinquennat de Manuel Valls notamment est plutôt convenable. Il faut poursuivre dans cette voie : remonter le budget de la culture.

Voilà ce que je garde pour la culture, mais il faut mesurer comment la politique du quinquennat dans tous les autres domaines a eu une action néfaste sur la politique culturelle et la vie culturelle des Français. Prenons les sujets sociaux: quand même la précarité grandissante qui fait que les français ne peuvent pas fréquenter les structures culturelles. Et puis l’esprit. La vie de ce quinquennat ne pousse pas à ce que les français aient envie de culture. Côté culture, dans ce quinquennat, il n’y a pas eu l’épanouissement auquel on devrait s’attendre et je ne parle pas alors de l’action culturelle de la France à l’étranger qui comme je l’ai dis hier, a été catastrophique.

Quand on entend des hommes politiques de gauche, paradoxalement, il parlent beaucoup de “défendre” ou de “conserver” une tradition d’aide à la culture. Mais quand est-ce que vous proposez un nouveau rapport à celle-ci? Quels sont les éléments nouveaux de votre programme?
C’est vrai que d’abord, il faut remettre à niveau, notamment les endroits qui ont été quand même très abîmés, pour certains saccagés, il faut les remettre à niveau. Par exemple dans les collectivités territoriales qui ont subi les conséquences de la baisse des dotations. Dans les festivals, je prend pour exemple le festival des Francophonies de Limoges, qui était un beau festival, qui a vu ses crédits terriblement baisser, de la part du ministère des Affaires Etrangères et donc il faut remettre à niveau. Mais ça suffit pas de remettre à niveau, il faut avoir une idée de ce qu’on veut pour le pays. Un projet projet que je relie à la sixième république et la révolution citoyenne proposées par Jean-Luc Mélenchon. Le projet de Mélenchon n’est pas un projet de gauche : en vérité, il dépasse la gauche et il s’intéresse à l’ensemble des citoyens. C’est ça qui est important. Et la 6e république et la constituante doivent être un moyen aussi pour chacun de réfléchir au lien avec les artistes, à ce qui se passe dans la vie personnelle et culturelle. C’est pour ça que je propose quoiqu’il arrive que cet été dans l’ensemble des festivals de France qu’il y ait cette prise de conscience et ces états généraux renouvelés de la culture pour que tous les citoyens ne se comportent pas uniquement en consommateurs mais qu’ils soient dans cette co-construction, qu’ils soient eux-mêmes participants et par rapport à eux-mêmes.

Est-ce que vous pouvez me parler un peu concrètement des mesures phares concernant la culture dans votre programme?
Nous proposons des jumelages entre chaque classe et une structure culturelle, la gratuité des musées tous les dimanches, nous souhaitons que l’ensemble des écoles d’art réintègrent l’enseignement supérieur pour être financées au niveau national, ce qui les renforce. Nous souhaitons qu’il y ait une augmentation du nombre de conservatoires de musique. Surtout, nous traitons un problème qui est lié tout de même à l’ensemble de la société: Il faut endiguer l’emprise de “la finance” sur la culture. Et c’est pour ça que nous souhaitons dans l’ensemble de la politique fiscale. Nous allons revoir 300 niches fiscales parmi lesquelles nous revisiterons aussi celles qui touchent la culture, y compris par exemple celles qui touchent aux œuvres d’art. Sur les œuvres d’art, tout de même, il y a des spéculations qui sont inimaginables. Une entreprise. Mais certaines fondations utilisent de l’argent public, de l’argent des contribuables, pour leur développement selon leurs choix esthétiques et artistiques, sans qu’il y ait un aller-retour. Il y a des crédits d’impôt considérables. Le problème est là. Et puis on peut se oser une question : Est-ce qu’il est normal que, si vous prenez la liste des conseils d’administration de l’Opéra de Paris, de la Philharmonie, du Louvre, ou d’Orsay, comme par hasard vous verrez une collusion entre le milieu des grandes entreprises de la finance française. Le conseil d’administration d’une institution culturelle doit être tout de même à l’image de la société avec des professionnels, mais aussi des usagers, chacun selon son rôle. Nous voulons une application de la séparation des pouvoirs à la culture

A part rendre à une certaines partie du peuple les grandes institutions culturelles, qu’est-ce que vous faites comme propositions pour que les gens s’intéressent à la culture ?
Il y a d’abord le fait qu’il y ait un peu plus d’argent. Cela permettra quand même dans les villes, les villages, les grandes institutions, qu’il y ait quelques respirations et donc quand il il y a respiration, il y a démocratie puis participation. Mais le fondement des choses, c’est qu’à l’école, dès l’école maternelle et jusqu’à l’université, il y ait de manière intense des allers et venues entre les lieux d’enseignement et les lieux artistiques. Nous soutenons la présence d’artistes rémunérés dans les écoles et les lycées. ‘est quand même là que toutes ces questions donc graves, de diversité et de pédagogie de l’art, vont commencer à se résoudre. Et quand je dis ça c’est pas uniquement de l’aspect passif, c’est aussi pour que les enfants, les adultes trouvent un certains épanouissement. Le cœur des choses il est là.

A combien prévoyez-vous l’augmentation du budget de la culture ?
Benoît Hamon s’est rallié à la proposition de Mélenchon qui estime que 1% du PIB doit être consacré à la culture. Il s’agit de 21 milliards, au lieu actuellement de 17 milliards, consacrés à la culture. Cette augmentation se fera tout au long du quinquennat qui ne concerne pas uniquement le ministère de la Culture. Cela concerne aussi les autres ministères, les collectivités territoriales et les associations. Cela veut dire que les prises de décisions seront multiples et ne passeront pas uniquement par le ministère de la Culture qui se heurte à Bercy.

Est-ce que les niches fiscales dont vous parlez suffisent pour faire la différence et pour réunir cet argent?
Nous avons passé tout un dimanche à chiffrer les choses avec Jean-Luc Mélechon. Et vous même, si vous allez sur notre site, vous verrez combien d’impôts vous paierez avec notre système de multiplication des tranches fiscales.

Comment vous voyez la répartition entre le local et le national? Comment ça fonctionne dans votre programme? Parce qu’on a beaucoup parlé hier notamment des problèmes de maillages, du lien entre l’un et l’autre?
Depuis les années 1970, il y a une prise en compte des collectivités territoriales et nous souhaitons les équilibres soient rétablis, en particulier la compétence générale qui a été supprimée, c’est-à-dire qu’un département ou une région ait toutes ses possibilités d’actions culturelles. Il y a un problème en France, qui est l’attention excessive portée sur les métropoles qui deviennent les lieux où tout est concentré et où se retrouvent les classes moyennes supérieures. Nous nous battons contre le délaissement des villes moyennes et leur centres-villes et -je n’aime pas trop le mot, ce qu’on appelle “le désert culturel”. Mélenchon considère que l’agriculture doit être complètement revisitée, qu’il manque à peu près 300 000 agriculteurs pour la nouvelle agriculture que l’on veut développer. Il va donc y avoir une revitalisation des campagnes. Ca veut dire qu’il doit y avoir une co-construction culturelle, qu’il doit y avoir une facilité d’accès à des équipements culturels, et que de nouvelles choses vont se développer.

Dernière chose, l’Europe, exactement, vous en parlez plutôt comme une menace. Quelles conséquences a la sortie de l’Europe en termes culturels?
Alors vous savez que personnellement, pendant 20 ans, j’ai animé et créé un réseau européen (“Les Rencontres”, un réseau d’élus locaux européens de la culture, ndlr.) qui considérait que Europe, culture, territoire, c’était un tout. Et je me suis heurté à l’idéologie européenne et je peux vous dire, parce qu’à la fin nous avons eu de graves problèmes financiers. C’était une volonté de la Commission européenne d’anéantir notre réseau parce qu’ils ne supportaient pas qu’il y ait un réseau indépendant d’élus, d’artistes et de professionnels. Donc vous voyez qu’il y a quand même une emprise terrible. Alors moi je considère, quand on va vraiment dans le détail les conséquences néfastes des traités existent, même dans le secteur de la culture, avec de très petits budgets.

Par exemple, n’y aurai-t-il pas des programmes européens de soutiens au cinéma qui sont utiles ?
Mais je prends l’exemple du cinéma, qui est très important. Parce qu’en plus la France de tout temps, depuis la libération, elle a une action sur le cinéma très importante et avec une économie qui est vertueuse. Et vous savez quand même aussi que malheureusement, il y a eu les fameux accords Blum n’est-ce pas avec les Américains, qui eux, ont compris que le cinéma avait un impact très important. Donc sur le cinéma, il y a eu au fil des années des combats qui ont abouti à une économie vertueuse. Mais il y a eu un autre combat qu’il a fallu mener : c’est contre l’Union Européenne. Je prends un exemple : dans le financement d’un film, désormais, il y a les collectivités territoriales qui interviennent. Mais la commission européenne a dit attention, elle a estimé que c’était contre les traités européens, puisque vous n’êtes pas dans le cadre de la concurrence libre. Et donc il y a eu des procès et il y a eu un combat qui, je le reconnais, a été gagné il y a deux ans : la Commission européenne a reconnu que les Etats et les régions avaient le droit d’intervenir. Donc vous voyez même dans le cinéma qui est quelque chose d’important, il a fallu qu’il y ait ce combat.

Que va-t-il se passer immédiatement après les élections, si Jean-Luc Mélenchon gagne?
Quoiqu’il arrive, si Mélenchon gagne il y aura la constituante. Vous savez, il y aura le référendum et puis la constituante qui va se mettre en place et ça c’est un élément très important justement de la nouvelle politique culturelle et ce que je voudrais c’est que quoiqu’il arrive, dans tous les festival de France il y ait cette discussion sur ce que nous voulons pour une nouvelle politique culturelle.
visuel : photo officielle

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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