Politique culturelle
Un Forum d’Avignon Parisien précis et réfléchi sur les données personnelles

Un Forum d’Avignon Parisien précis et réfléchi sur les données personnelles

20 September 2014 | PAR Yaël Hirsch

Ouvert avant 9 heures par la ministre de la culture et ex-ministre du numérique, Fleur Pellerin, et niché dans le décor aussi art déco que formel du Conseil Economique et Social, la conférence 100 % data organisée par le Forum d’Avignon a révélé la culture à grands coups de circulation et régulations de données. Retour sur une réflexion riche et vivifiante.

Parlant avant même les organisateurs du Forum d’Avignon, Fleur Pellerin s’est totalement impliquée dans un discours clair et optimiste, qui a donné le ton de l’ensemble de la journée: Loin des fantômes de données manipulatrices et de la paranoïa que la perspective des datas ,peut engendrer, la ministre est partie du principe que l’ouverture des données publiques était “vecteur d’accessibilité de créativité d’innovation et de croissance”. A la condition de réaliser “que des acteurs privés accèdent aux données personnelles change notre modèle de libertés publiques”! Dès lors, l’objectif n°1 pour la ministre est d’unifier les politiques publiques européennes relatives aux données et de penser “un marché numérique européen” unifié afin d’éviter que les grands entrepreneurs privés jouent un Etat de l’Union contre un autre.

En séance plénière, avant de plonger dans l’économie des big datas, la matinée s’est poursuivie par des interrogations sur nos représentations des données, d’abord avec l’allocution du président du Forum d’Avignon, Nicolas Seydoux, qui a fait un petit bilan du point où nous nous trouvions, puis avec une première séance orchestrée par l’écrivaine Cécile Portier, qui proposait souvent des tableaux aux intervenants pour ouvrir le débat. Le biogénéticien François Taddei devait interroger la manière dont la bioéthique peut servir de point de départ pour une réflexion sur l’éthique des données personnelles, mais a préféré nous faire un cours de philosophie très agréable plaidant pour le savoir. Enfin, star modeste et irrésistible de cette matinée, le slameur, chanteur, écrivain et désormais réalisateur Abd Al Malik a déclamé un texte très littéraire sur ces fameuses données personnelles : “La data,c’est vous, c’est moi”. En clou de cette première session pour le moins séduisante et originale, le magicien Yann Frisch a fait une jolie démonstration de psychologie.

Dans la deuxième moitié de la matinée, nous avions le choix entre réfléchir à ce qu’est une donnée personnelle et à ce que leur ouverture ouvre comme possibilités de croissance économique. Dans les deux ateliers, par ailleurs croqués par de talentueuses caricaturistes, les trois grandes idées de la journées ont été d’ores et déjà été posées et répétées : 1/ les données sont le pétrole, l’or noir, la ressource économique de notre temps. 2/ pour plus de croissance (dans le respect des droits et de la démocratie) il faut pouvoir comprendre et gérer simultanément l’importance d’une ouverture des données publiques à tous et la protection des données personnelles. 3/ En conséquence, cette ouverture des données génératrice de croissance ne peut que reposer sur une économie de la confiance et de la transparence amenée à supplanter en importance le modèle de l’économie de l’attention.

Nous avons assisté à l’atelier sur la croissance économique. En préambule, on nous a rappelé les conclusions du rapport établi par le McKinsey Glibal Institute en 2013 “Open data: Unlocking innovation and performance with liquid information“, qui annonçait que, à terme, les open data généreraient 1700 milliards de surplus économique dans le monde.

Le directeur du numérique chez France Télévisions nous a montré comment, à l’heure où “on est en train de passer de médias de masse à des médias de précision”, les données transforment l’offre éditoriale du service public qui va pouvoir les interroger pour être capable non plus seulement de produire mais aussi de recommander du contenu qui correspond à la demande des “télénautes” de l’heure de la convergence numérique. Eric Scherer n’a pas moins soumis l’hypothèse qu’il “faudra parfois aller contre la donnée” pour “être créatif”. Si l’économiste Françoise Benhamou a attiré notre attention sur certains dangers des Big datas, ces derniers sortaient des sentiers battus : hors de l’usage inapproprié de données, elle alertait sur une possible “dictature des appariements” et a également mis en garde contre l’utopie du tout ouvert et tout public : “Qu’il y ait des revues de type privé est essentiel en termes de liberté”, a-t-elle démontré. La productrice Simone Harari a nourri la réflexion d’exemples concrets et culturels, notamment sur les séries. Soulignant l’importance de la recherche et développement pour la production de contenus audio-visuels (netflix dépenserait 9% de son budget en R&D), elle a également attiré notre attention sur le fait que l’utilisation des données personnelles pour monter de toutes pièces des programmes dépendait de la taille du pays et du contexte culturel : “En France c’est Arte ou TF1, auteur ou commercial. Notre tradition est a l’opposé d’une série écrite par le marketing.” Une fin de matinée passionnante, animée par Stéphanie Antoine de France 24.

Après un déjeuner inspiré où nous avons pu errer dans les différents stands du “village des données culturelles”, l’après-midi prévoyait à nouveaux deux sessions : une sur la “culture de la donnée” et l’autre sur son usage dans les villes. Gourmands, nous avons un peu oscillé entre les deux. Si la juriste Merav Griguer a animé avec conviction un atelier riche d’un bel aréopage de juristes et d’entrepreneurs, on a eu beaucoup de mal à dépasser l’idée que pour leur image de marque les entreprises ne peuvent pas se permettre de ne pas cultiver leur sens de la donnée. Du côté de l’atelier sur la “smart city”, Philippe Torres animait un débat riche entre élus locaux et spécialistes de l’open data. Après avoir exprimé les possibilités que les datas ouvraient pour l’organisation de nos villes, la question de la protection des données personnelles est réapparue. Qualifiant a propos les grands internationaux du net de “dragons”, le chercheur Carlo Ratti et l’adjointe au maire de Bordeaux Virginie Calmels ont soutenu l’idée que ces dragons étaient aussi puissants qu’éphémères et qu’ils étaient finalement dépendants des contenus (et notamment des fonds patrimoniaux) ainsi que des sélections de ces contenus que des acteurs locaux leurs soumettaient. De quoi sortir de la peur de google, amazon et microsoft donc, même si la question demeure dans les open data de ce qu’on ouvre et de ce que l’on laisse fermé.

L’Historien d’art Hektor Obalk a ouvert la session de clôture  plénière avec une performance d’images, puis le Forum d’Avignon dévoilait son texte préalable à une charte des droits de l’homme numérique (voir notre article). Puis quelques grands interlocuteurs ont brossé des perspectives internationales d’avenir sur les datas. parmi eux : Maurice Lévy, le président du Conseil Economique et Social, Jean-Paul Delvoye et celui du Forum d’Avignon, Nicolas Seydoux.

visuels : yael hirsch

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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