Politique culturelle
Avec le Prix Clerc Milon, la Fondation Philippine de Rothschild soutient le Ballet de l’Opéra de Bordeaux

Avec le Prix Clerc Milon, la Fondation Philippine de Rothschild soutient le Ballet de l’Opéra de Bordeaux

19 June 2018 | PAR Raphaël de Gubernatis

Créée par sa famille en mémoire de Philippine de Rothschild, une fondation a décidé d’honorer par un prix biennal nommé Clerc Milon des interprètes du Ballet de l’Opéra de Bordeaux. Et dans des temps où cette compagnie a dû affronter des difficultés et des incertitudes inattendues avec la brusque mise à pied de son directeur, Charles Jude, alors qu’elle mériterait plus d’être saluée pour la qualité de son travail que déstabilisée par le manque d’intérêt que lui porte le nouveau directeur de l’Opéra de Bordeaux.

Qu’arrive-t-il dans un théâtre d’opéra quand il a été décidé d’y faire des économies et quand son directeur est un musicien ? C’est bien évidemment la danse qui est la première victime des coupes budgétaires. C’est le ballet qui trinque !
Ainsi le Ballet de l’Opéra de Bordeaux, compagnie remarquable qui a vécu durant vingt ans sous la direction tout aussi remarquable de Jean-Charles Jude, ancien danseur étoile du Ballet de l‘Opéra de Paris, ainsi le Ballet de Bordeaux a-t-il été victime de choix qualifiés de nécessaires par le conseil d’administration et par Marc Minkowski, le nouveau directeur de ce Grand-Théâtre édifié par Victor Louis et inauguré sous Louis XVI. Des postes de danseurs ont été brutalement supprimés, compromettant ainsi le répertoire d’une troupe qui comptait jusqu’alors 39 interprètes. Et Charles Jude, suspendu avec fracas en février 2017, a perdu son poste à la tête de la compagnie.

La magnifique réalisation de  Pneuma 

C’est d’autant plus injuste et malvenu que ce Ballet de Bordeaux au répertoire honorable a travaillé année après année avec un indéniable talent grâce à des danseurs vaillants formés dans les meilleures écoles et constituant une troupe dont les Bordelais peuvent à juste titre être fiers, même si la troupe, avec toutes ses qualités, demeure quelque peu « provinciale » et n’atteint pas dans le grand répertoire classique l’excellence des compagnies de premier plan. Cependant, de l’exquise et spirituelle production du ballet  Coppélia , chorégraphiée en 1999 par Charles Jude, à la magnifique réalisation de Pneuma de Carolyn Carlson en 2014, le Ballet de l’Opéra de Bordeaux s’est forgé en près de deux décennies une réputation flatteuse, même si ses réussites n’ont guère trouvé dans le reste de la France l’écho qu’elles méritaient. En vingt ans, la troupe n’a par exemple été programmée que rarement à Paris, même si elle s’est produite au Théâtre du Châtelet notamment avec  Coppélia , et plus récemment au Théâtre de Chaillot avec Pneuma .

Est-ce pour lutter contre cette injustice et contre la fâcheuse désinvolture, ou pire, le désintérêt du directeur de l’Opéra de Bordeaux, que la Fondation Philippine de Rothschild a institué le prix Clerc Milon ? Toujours est-il que ce prix déjà attribué en 2016 et repris cette année, tout en honorant deux danseurs de la compagnie, une jeune femme, Alice Leloup, et un jeune homme, Marc Emmanuel Zanoli, montre l’intérêt que des producteurs de grands crûs comme celui de Mouton savent porter au Ballet de l’Opéra de Bordeaux. Cette distinction retombe effectivement sur l’ensemble des danseurs, et cela au moment même où le Ballet de l’Opéra de Bordeaux affiche au Grand-Théâtre un beau programme réunissant les noms de Maurice Béjart, de Jerome Robbins et de Jiri Kylian (du 27 juin au 6 juillet 2018).

Un acte citoyen

On aimerait que le Ballet de l’Opéra de Lyon ou que celui de l’Opéra du Rhin bénéficient de semblable attention de la part des industriels ou des grandes sociétés du Lyonnais ou de l’Alsace. Car c’est un acte citoyen de la part des grands noms de l’industrie ou de producteurs renommés que de soutenir un ballet, un théâtre ou un orchestre. C’’est une manière de souligner que les arts sont bien l’affaire de tous. Et c’est une façon appréciable de démontrer qu’une grande maison a aussi pour rôle celui de s’investir dans les meilleures institutions de sa région.
Pour délivrer son prix, la Fondation Philippine de Rothschild a fait appel à trois regards incontestables dans le domaine de l’interprétation chorégraphique : celui de la co-fondatrice du Théâtre du Silence, puis directrice du Ballet de l’Opéra de Paris, Brigitte Lefèvre ; celui du chorégraphe suisse Heinz Spöerli, directeur de multiples compagnies de ballet comme celle de la Deutsche Oper, à Berlin, comme le Ballet allemand du Rhin ou les Ballets des Opéras de Bâle ou de Zürich ; ou encore le regard de celle qui fut étoile du Ballet de l’Opéra de Paris et qui est aujourd’hui la responsable de l’Ecole de Danse attachée à cette institution, Elisabeth Platel. Ils auront eu pour tâche d’observer les danseurs de l’Opéra de Bordeaux à plusieurs reprises et dans des œuvres aussi diverses que  Pneuma  de Carolyn Carlson,  Don Quichotte, le ballet de Minkus revisité par Charles Jude, et une composition du danseur Nicolas Le Riche, puis de choisir parmi eux deux artistes dont la personnalité, les qualités techniques et d’interprétation se seront révélées les plus marquantes.

Une salle d’un soir

Pour célébrer l’événement près de Pauillac, sur le domaine vinicole de Clerc Milon dont les vins se mettent en bouteille avec une étiquette représentant deux figures dansantes à la façon de la Commedia dell’Arte, la Fondation a édifié de toutes pièces et pour un soir seulement une salle de spectacle où le Ballet de Bordeaux au grand complet aura interprété devant quelques centaines de notabilités locales des extraits de « Suite en blanc », chorégraphie de Serge Lifar écrite sur la musique de « Namouna » d’Edouard Lalo, un pas de deux issu du « Don Quichotte » et accompagné de la musique très dzim boum boum de Léon Minkus . Et puis, cerise un peu aigre sur le gâteau, une chorégraphie sur un concerto de Bach, une de ces chorégraphies de danseur bondissantes, bébêtes et aimablement insipides qui sont un peu à la danse ce que les « fast food » sont à la gastronomie, ici signée par Nicolas Le Riche, ancien danseur étoile de l’Opéra de Paris.

Un aggiornamento méritoire

Plus encore que la distinction accordée à deux jeunes artistes, l’important, dans cette entreprise, est d’honorer la danse et l’une des dernières compagnies en France qui la servent sous ses formes classique et néo-classique, sans dédaigner pour autant des chorégraphes contemporains. Longtemps ces compagnies de ballet, attachées à des maisons d’opéra, auront véhiculé une image désuète, sinon calamiteuse. Depuis, sous l’influence du renouveau de la danse française installé dès les années 1980, elles se sont ouvertes à tous les styles de danse et tout en défendant le patrimoine d’hier font preuve d’un éclectisme totalement banni de la plupart des centres chorégraphiques nationaux. Cet aggiornamento qui était nécessaire n’en est pas moins méritoire, d’autant que ces troupes entretiennent des danseurs d’une qualité technique qu’on ne trouve pratiquement plus dans la danse contemporaine.

Une trentaine de fondations

En France où l’on ne sait guère trouver de juste milieu, au détriment du grand répertoire classique et néo-classique, on a désormais tout sacrifié à la création contemporaine qu’il fallait évidemment soutenir au moment de son épanouissement. Maintenant qu’elle s’est dégradée jusqu’à l’insignifiance, à quelques heureuses exceptions près, il est temps de reconnaître l’heureuse évolution artistique de compagnies comme le Ballet de l’Opéra de Bordeaux ou le Ballet de l’Opéra du Rhin, pour ne rien dire de la plus célèbre des troupes attachées à un opéra, le Ballet national de Lyon, qui sert exclusivement les plus grands des chorégraphes de notre temps. C’est ce que fait ce prix Clerc Milon qui s’accompagne d’aides ponctuelles apportées par la Fondation Philippine de Rothschild à certaines productions du Ballet de Bordeaux ou aux actions pédagogiques menées par l’Opéra de cette ville. Elle soutient encore le travail d’éveil artistique effectué dans les écoles et collèges du bourg voisin de Pauillac. Mais encore une trentaine d’associations culturelles de la région. Et dans un domaine plus prestigieux certaines manifestations artistiques conduites au château de Versailles et touchant à l’art contemporain, tout comme ces grandes expositions qui avaient pour thème l’Indépendance américaine ou les visiteurs illustres qui séjournèrent à Versailles sous l’Ancien Régime.

Raphaël de Gubernatis

Visuel : Pneuma © Julien-Benhamou

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Raphaël de Gubernatis

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