Politique culturelle

Mécénat culturel : le nouveau souffle pour les institutions

20 March 2013 | PAR Ruben Moutot

Dans un contexte économique difficile et sur fond de baisse des subventions publiques, le mécénat s’impose comme une source de financement incontournable pour les institutions culturelles. Analyse d’un secteur en perpétuelle évolution avec les témoignages de plusieurs professionnels.

 

Si la France dispose aujourd’hui d’un dispositif fiscal particulièrement attractif pour les mécènes, il n’en fut pas toujours ainsi. En effet, la tradition fortement étatique de notre pays a pendant longtemps écarté les acteurs privés de notre politique culturelle contrairement aux pays anglo-saxons qui ont encouragé les actions de philanthropie de longue date, notamment de la part des particuliers. André Malraux fut le premier à rompre avec cette dynamique en créant la Fondation de France en 1969. Plus récemment, la loi Aillagon de 2003 a prolongé cette orientation et la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie est venue compléter ce dispositif.

 

Ainsi, de 2005 à 2012, le mécénat d’entreprises est passé de 1 à 1,9 milliard d’euros, le domaine culturel représentant 26% du montant global, soit 494 millions d’euros. Le mécénat culturel individuel, représentait quant à lui une manne financière d’un peu plus d’un milliard et demi d’euros en 2012. Mais bien au delà de générer une source financière privée pour les institutions culturelle françaises, ce rapprochement entre entreprises et monde de la culture pose certaines interrogations.

 

La première, inévitable, concerne l’éventuelle influence de la part des mécènes sur la programmation et le contenu artistique. Sur ce point, la réponse est unanime : les institutions conservent leur autonomie et donnent la priorité à leur mission de service public. Yann Le Touher, chef du service mécénat de la RMN-Grand Palais, argumente en évoquant l’exposition-évènement consacrée à Edward Hopper « Personne ne pouvait prévoir le succès de cette exposition, de plus, nous avons d’autres manifestations moins populaires comme l’exposition Bohèmes ». S’il est possible d’évoquer les quelques dérives passées comme l’exposition Louis Vuitton au musée des Arts décoratifs par exemple, il faut reconnaître que celles-ci restent marginales et constituent des ratées de début de parcours pour des institutions fraîchement familiarisées à la logique du marché.

 

Pas de risque majeur de dérive donc, selon les professionnels du mécénat au sein des institutions. Car si les mécènes sont certes généreux, il n’en restent pas moins exigeants et souhaitent soutenir des actions précises, qui rentrent dans leurs axes d’intervention. En temps de crise, cela se traduit par une préférence pour les actions de mécénat croisé qui visent à soutenir un programme culturel ayant une portée sociale ou éducative. Les institutions sont donc de plus en plus nombreuses à mettre en oeuvre des projets en faveur des publics dit « empêchés » tel que les personnes en situation de handicap ou les populations vivant en zone rurale. Sarah Goettelmann, responsable mécénat de l’Opéra Comique nous l’explique : « la mission de départ de l’AMOC (association des Amis et Mécènes de l’Opéra Comique) était de trouver du mécénat pour financer des actions sociales ». Si l’accès à la culture pour tous est bien entendu un enjeu essentiel, nous pourrions noter à travers ce phénomène un signe de désintéressement de la culture en tant que telle, jugée moins «indispensable» dans un environnement économique défavorable. Pamela Jouven, responsable du mécénat au Théâtre National de Chaillot nous rassure sur ce point : « pour accompagner le public et tous les publics, il faut d’abord une offre culturelle, le mécénat croisé ne remplacera pas le reste ».

 

Ces programmes d’action culturelle peuvent alors être envisagés comme moyen d’attirer les mécènes, en vue de les fidéliser par la suite, afin qu’ils soutiennent l’activité principale des institutions. Car le problème est parfois le suivant : des fonds abondants pour certains projets plus « porteurs » et des difficultés à trouver des soutiens pour la programmation culturelle de base. D’où une instabilité des fonds provenants du mécénat et un risque de déséquilibre dans les états financiers des institutions culturelles. Si demain, un mécène finance la programmation d’un théâtre et qu’il se défile à la fin de l’année, la situation serait catastrophique. En résulte la nécessité de considérer cette source de financement comme un complément du soutien de l’Etat et également de fidéliser les mécènes. Pour parvenir à ce dernier objectif, une arme reste à la disposition des institutions : les opérations de relation publique, les services de réception et les « formules entreprises ». Rassurons-nous, nos chers musées et théâtres publics ne se transforment pas en agences évènementielles pour mécènes. Les professionnels interrogés l’affirment « cet aspect n’est qu’un composant parmi d’autres dans la relation entre mécènes et institutions », mais force est de constater que c’est une considération importante pour les entreprises. En atteste, les difficultés de l’Orchestre National d’Ile de France à trouver des mécènes car la formation musicale n’est pas en résidence permanente dans une salle et n’est donc rattaché à aucun lieu d’accueil, a contrario de l’Orchestre de Paris à la Salle Pleyel. Adeline Grenet, responsable de la diffusion des relations extérieure s de L’ONDF, qui développe une stratégie de mécénat depuis peu, explique les facteurs de réussites : « Nous sommes dans une logique de mécénat de proximité et l’implantation territoriale est décisive ». Un rayonnement régional, un lieu et un accompagnement des politique publiques semblent donc indispensables, surtout lorsque l’on sort du petit périmètre parisien. On touche ici à une tendance importante du secteur : l’accaparement des fonds de la part des grosses institutions et le potentiel de développement des PME. Depuis quelques années, la situation évolue et les PME s’imposent de plus en plus, elles représentent désormais 93% des entreprises mécènes.

 

Un secteur qui change donc, et qui tient compte des avancées technologiques bouleversant notre société. Comme l’illustre le phénomène montant du mécénat populaire, soit l’appel au plus grand nombre pour soutenir une institution. Les institutions culturelles peuvent agir en direct par le biais d’une plate-forme web de levée de fonds, comme l’ont déjà fait Versailles ou le Louvre. Mais cette option nécessite des besoins financiers et logistiques importants. Une alternative est alors de former un partenariat avec une société de crowd-funding (financement participatif). Ce fut le choix du Centre des Monuments Nationaux, qui s’associa avec le site My Major Company en 2012. Dans ce domaine, le Louvre demeure l’institution de référence, ayant déjà mené trois opérations de mécénat populaire avec succès. Consciente des enjeux technologiques qui traversent le monde de la culture, Constance Lombard-Farhi, responsable du mécénat des entreprises du musée du Louvre, déclare que le premier musée du monde entend mener « au moins une opération de mécénat populaire par an ». Elle insiste également sur l’aspect éthique qui reste au coeur de ses préoccupations : « nous avons mis en oeuvre une charte éthique à destination des mécènes ». Enfin, elle mentionne les pistes de développement futur comme «la mobilisation des acteurs des nouvelles technologies ». Innovations du monde moderne au service d’un rayonnement ancien, c’est là tout l’intérêt du mécénat.

 

Autre institution à la pointe du secteur, le Palais de Tokyo, qui a rouvert depuis 2012 en prévoyant une contribution particulièrement importante de la part des financeurs privés à son fonctionnement. Ici, on ne parle pas de soutien, on ne verra d’ailleurs pas figurer le mot mécénat dans les brochures ou les intitulés de poste. Il s’agit plutôt de développement économique. Ana Teodorescu et Anne-Marie Hibbs, respectivement responsable du développement économique et responsable du développement et des partenariats du Palais de Tokyo expliquent leur démarche : « nous envisageons le mécénat comme un véritable partenariat, une relation qui profite pleinement aux deux parties ». Cette approche plus « business » dénoncée par certains pourrait aussi être le moyen d’éviter les dérives en rétablissant le rapport de force entre mécènes et institutions.

 

Les acteurs du mécénat eux-mêmes évoluent et se professionnalisent, qu’il s’agisse des chargés de mécénat en institution souvent issus d’écoles de commerce ou encore des salariés des fondations impliquant de plus en plus les collaborateurs de l’entreprise. C’est à eux qu’il incombe de faire face aux défis de demain, concilier intérêts privés et mission de service public, réconcilier nouvelles technologies et monde de la culture. Car dans la rencontre de ces deux univers résident des enjeux qui dépassent les seules notions de financement et de culture. La société dans laquelle nous vivons, plus matérialiste que jamais, peut trouver dans le mécénat le moyen de réconcilier l’utilitarisme des entreprises avec la créativité humaine qui a marqué notre Histoire. Le système économique qui est le notre a l’opportunité de donner un sens à la logique de profit par le biais de la philanthropie, ne plus uniquement oeuvrer dans l’instantanéité mais agir par le présent et pour l’avenir.

 

Ruben MOUTOT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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