Politique culturelle
[Live report] South by Southwest, Buffet froid au Texas

[Live report] South by Southwest, Buffet froid au Texas

18 March 2014 | PAR Eric Debris

Chanteur du groupe métal Urbain et inventeur de l’électropunk, Eric Debris est aussi photographe et auteur. Il vit désormais à Austin, Texas. Il était l’envoyé spécial de Toute La Culture au festival South By South West (SXSW),  immense événement qui  mêle sur 10 jours cinéma, musiques et interactif. Live-Report et photos !

Le problème avec les buffets à volonté c’est que vous ne pouvez pas manger plus que votre estomac ne vous permet. Un gargantuesque buffet à volonté c’est ce que propose désormais le festival SXSW, en deux semaines largement plus d’une centaine de longs métrages, documentaires et courts métrages, des centaines de conférences et ateliers, plus de 2000 groupes pour la sélection officielle, auxquels on peut ajouter plus d’un millier pour le off et les showcases, un salon interactif et technologie, un salon des instruments de musique, un salon de l’art de l’affiche de concert, un salon de l’artisanat artistique, un salon du jeu vidéo, un salon de l’emploi numérique…

La première fois que j’ai participé à SXSW, c’était en 1991 et la programmation de 500 groupes paraissait déjà gigantesque… Le festival, né quelques années plus tôt d’une tentative d’extension du New Music Seminar New Yorkais, était essentiellement un showcase consacré aux groupes indépendants locaux et internationaux où les maisons de disques venaient faire leur shopping. D’année en année les choses ont bien changé et si l’essentiel de la programmation est constitué de groupes indépendants ou autoproduits, il est devenu quasi impossible de se faire remarquer et signer. La partie musique du festival a été détournée par les majors en mal d’exposition pour leurs artistes et les sponsors de plus en plus présents font de SXSW une foire commerciale plus qu’un festival.

Film

Le Grand Prix a été attribué à Fort Tilden, où quand les hipsters se moquent des hipsters… ce film est d’un ennui prodigieux, un road movie en bicyclette où deux jeunes bobos de bonnes familles qui jouent l’une à l’artiste et l’autre à la future volontaire d’une ONG déployée au Liberia tentent de rejoindre une plage de Brooklyn en se perdant en route dans le “ghetto”… les deux personnages sont irritants au possible, faisant monter l’envie de distribuer des baffes de scène en scène. Ce n’est ni drôle ni pertinent et l’accumulation de clichés anti hipsters/bobos ne doit fait rire que les hipsters plus hip que les autres… ceux qui ont emménagés à Brooklyn quand Brooklyn était encore “authentique”. Comme par hasard la réalisatrice habite à Brooklyn…

Ma sélection personnelle :

Bad Words de Jason Bateman. C’est très bien écrit, le film est drôle, il y a une vraie histoire et de vrais acteurs. Le jeune Johan Chand est excellent face à un Jason Bateman impertinent, sarcastique, caustique et provocant ( en anglais on pourrait résumer par obnoxious ). Le film raconte l’histoire d’un adulte qui trouvant une faille dans le règlement s’inscrit avec la ferme intention de gagner au concours national d’orthographe. Seul adulte au milieu des enfants Jason Bateman pourrait être détestable si on ne sentait qu’il est animé par une autre intention que celle de gagner.

The Obvious Child de Gillian Robespierre. La comédienne de stand up Donna Stern, interprétée par Jenny Slate, elle même comédienne de stand up, se fait larguée dans les toilettes du bar où elle joue, la librairie où elle travaille perd son bail et elle son boulot alimentaire, une rencontre un peu arrosée se termine dans un lit et un futur bébé s’invite dans son ventre… une solution l’avortement le jour de la Saint Valentin. Le film pourrait être sombre, mais il n’en est rien, on rit à chaque scène. Gillian Robespierre à réussi ici un film très féminin qui plaira aussi aux hommes.

Space Station 76 de Jack Plotnick avec Liv Tyler. La vie à bord d’une station orbitale où jalousie, tromperie, secrets s’exacerbent et se réveillent à l’arrivée de la nouvelle assistante du capitaine. Cela pourrait être une classique comédie de moeurs à l’américaine si cela ne se passait pas dans un futur rêvé en 1976. Le top de la technologie y est présent comme les cassettes VHS, les visiophones, la cryogénisation, les diners pousse- bouton, les catalogues sur disquette ViewMaster… Les références multiples aux classiques du cinéma de science fiction sont bien choisis et la bande son est aussi un clin d’œil, elle est pour l’essentiel composée de morceaux de Todd Rundgren ( le père non biologique de Liv Tyler ).

Big in Japan de John Jeffcoat. Tennis Pro un groupe de Seattle dont le futur s’annonce sombre rencontre un promoteur qui leur promet le succès au Japon. Bien entendu rien ne se passe comme rêvé par le promoteur et les musiciens, tout au moins au début… Les chambres d’hôtels individuelles se révéleront être des lits d’un hôtel capsule, la suite: une chambre dans un hôtel de passe, mais avec un peu d’insistance les concerts gagneront en succès. C’est un peu les Pieds Nickelés au Japon. Le film a été réalisé avec une équipe réduite au strict minimum : le réalisateur, un cadreur, un ingénieur du son qui est également acteur, les trois membres du groupe et une japonaise qui servit sur place de contact. Ce n’est pas un documentaire mais c’est un vrai film où la fiction écrite se mêle à l’improvisation. Une vraie réussite.

Kelly & Call de Jen McGowan. Juliette Lewis y joue une “Riot Girl” qui a abandonné sa vie de punk rockeuse et sa basse pour un vie de jeune maman dans une banlieue bourgeoise. La rencontre avec un adolescent handicapé ranimera chez elle des envies de rébellion. Malgré quelques longueurs et quelques passages un peu mous, les prestations de Juliette Lewis et Johnny Weston, la justesse des dialogues font de ce premier film une très bonne surprise.

Je serais par contre beaucoup moins tendre pour The Desert, une énième variante du film de morts vivants. Cette fois c’est un huis clos qui trop vite tourne au confessionnal de télé réalité et se perd en longueur. Quand on a un scénario tout juste assez long pour un court métrage, ajouter de longs passages de silence et de rien ne font qu’un long métrage terriblement ennuyeux.

Que dire du catastrophique Veronica Mars ? Je n’ai pas vu la série, donc je n’ai pu réagir comme un fan durant la projection, je n’ai pas crié, applaudi aux apparitions des personnages à l’écran, par contre j’ai subi la nullité du scénario (Buffy rencontre Fantomette) et de l’image. Au mieux c’est un pilote de série mais pas un film. Dommage j’avais été séduit et intrigué par l’aventure du film, après que la série ait été annulée le réalisateur après avoir tenté de convaincre Warner de financer le film s’est tourné vers Kickstarter. C’est grâce aux fans que les fonds nécessaires ont été levés et surtout grâce à la preuve de l’intérêt que portaient les fans au projet de film que Warner a enfin été convaincu de participer à l’affaire. Un documentaire sur l’aventure en question aurait été certainement plus intéressant.

Musique

Plus de 2000 groupes et artistes solos en sélection officielle, plus peut être un millier en off, il est impossible de tout voir mais surtout pratiquement impossible de planifier quoi que ce soit, une fois le programme analysé, et le planning fait, le festival est déjà terminé.

Je plains les artistes qui ont fait des milliers de kilomètres, dans l’espoir d’être vus et peut être découverts durant SXSW. Si c’était encore possible il y a quelques années ou au début du festival, ce n’est plus le cas et nombreux sont les groupes qui pas au courant du gigantisme de l’affaire et n’ayant pas préparé leur venue se retrouvent pendant 40 minutes devant un parterre de 30 personnes…

Au milieu du grand barnum j’ai quand même pu assister à quelques très bons concerts.

Le meilleur concert : le concert organisé pour le lancement officiel du timbre Jimi Hendrix et dont le curateur était Wayne Kramer (guitariste du MC5). Parmi les invités venus jouer des morceaux de Jimi Hendrix il y avait Robby Krieger (The Doors), Slash (Guns and Roses), Rusty Anderson (guitariste de Paul McCartney), Dave and Phil Alvin (the Blasters), Mary Bridget Davies (A night with Janis Joplin), Jesse Malin, Boots Riley (the Coup), Doug Pinnick….

Un autre grand concert: en plein après-midi dans la 6eme rue je vois la tête de Boots Riley sortir de la fenêtre d’un bar. The Coup est en concert sur une scène minuscule et Boots fait le show pour ceux qui sont entassés dans le bar et les passants. The Coup mérite que l’on écoute leur mixe de funk, rap, punk. Si il n’avait pas joué de malchance à répétition comme d’avoir dessiné une pochette représentant les tours jumelles en feu quelques semaines avant le double attentat… ce groupe devrait être beaucoup plus connu.

Il y en a qui profite de SXSW pour fêter leur anniversaire comme Kid Congo un temps guitariste des Cramps. Toute la journée se sont succédés sur la scêne du Longbranch Inn les francais de JC Satan, les tchèques de The Trees, les anglais de Black Mekon, les américains de Zig Zags, The Coathangers, Endless Bummer, Habibi, DJ Cole Alexander (Black Lips), The Pampers , Knife in The Water , Daddy Long Legs, et bien entendu Kid Congo & The Pink Monkey Birds c’était sa partie après tout.

Les rockeuses de The Jungles ont enflammé l’Elysium durant l’ annuelle soirée japonaise et les coréens de Crying Nut pour la soirée K-Pop.

Ah sinon cette année il y a eu Lady Madonna, euh pardon Lady Gaga. Elle a réussi à faire parler d’elle et c’était le but du jeu, peut être pour relancer les mauvaises ventes du dernier album, d’abord programmé sur la scène Doritos mais interdit par la police : l’espace n’étant pas du tout approprié à la foule potentiellement attirée par l’événement, le concert fut déplacé sur la scène en plein air de Stubbs (club rock et barbecue) mais toujours avec le même sponsor: Doritos. Elle est arrivée sur scène embrochée tel un animal prêt pour le barbecue, elle s’est fait vomir dessus par un artiste… bref comme d’habitude du grand art. Elle aurait aussi pu ressortir la robe en viande dont l’idée, pour ceux qui ne le savent pas, a été empruntée à Jana Sterbak. La robe originale créée en 1987 fait partie de la collection du musée Georges Pompidou. Madame est une artiste elle l’a dit durant sa conférence. Elle a du mal à supporter les pressions de son entourage qui lui demande de faire des compromissions commerciales, mais c’est une vraie artiste alors elle menace de tout arrêter… En attendant la reine de l’emprunt artistique a fait un concert sponsorisé par une marque de snack salés.

Interactif

Au salon Interactif, une majorité de projets orientés musique, des calendriers de concerts interactifs, des sites de téléchargement sponsorisés, des variantes de kickstarter ou de réseaux sociaux dont un en 3D “Egowall” qui pourraient être intéressants pour les artistes de tout genre si le développement va dans la bonne direction. Pour beaucoup de projets présentés le pitch est plus intéressant que la réalité…

Il y avait aussi un inventeur allemand avec une vrai tête d’inventeur qui présentait un banc de gravure capable de graver à partir de n’importe quelle source un vinyle directement utilisable : “Vinylrecorder.com”. C’est relativement bon marché, $4000, pour un usage professionnel (DJ, Label indépendant)

Neil Young a fait la conférence de lancement de son projet qui selon lui est la solution pour sauver la musique et la rendre aux musiciens… Malheureusement Neil Young vit au siècle dernier et n’a pas toujours compris que le grand public n’a jamais été concerné par la qualité sonore de ce qu’il écoute. La majorité du public consomme des chansons et non des productions artistiques. Il espère que le grand public va se ruer sur son PONO, attention à l’orthographe, avec un nom de produit pareil c’est déjà mal parti, $400 pour pouvoir écouter des enregistrements en qualité studio, mais il oublie que ce sera sur une chaîne hifi achetée dans un super marché et sur une paire d’enceintes câblées hors phase, une sur la commode et l’autre derrière le canapé… Désolé Neil Young mais le grand public ne s’y intéressera jamais…

En conclusion SXSW c’est indescriptible, il faut le voir pour le croire et ça depuis le début du festival. Quand on a vécu les éditions précédentes on trouve que le festival prend trop d’ampleur, mais lorsqu’on le découvre pour la première fois on trouve ça fantastique… D’année en année il y a de plus en plus de monde et il y de plus en plus de voix qui s’inquiètent du fait que le festival risque de pâtir de son trop grand succès dans une ville où les infrastructures ne suivent pas son expansion. Cette année SXSW a été endeuillée pour la première fois. Mercredi soir Rashad Owens qui était venu à Austin pour participer à un concert de rap dans le off, sous l’emprise de l’alcool vole une voiture, force un barrage de police, pulvérise une barrière qui condamne l’accès à une rue renversant et blessant 23 personnes dont une est morte de ses blessures aujourd’hui, continue sa course, percute et tue la passagère d’un scooter et un cycliste, et fini sa course dans camion. Il sera jugé le 9 avril pour meurtre.

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Eric Debris

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