Politique culturelle
Entretien avec Tammam Azzam, artiste originaire de Syrie et exilé à Dubaï

Entretien avec Tammam Azzam, artiste originaire de Syrie et exilé à Dubaï

11 January 2016 | PAR Melissa Chemam

Entretien présenté dans le cadre du dossier “Résistance” de la rédaction. To see english version (here)

“L’artiste syrien Tammam Azzam a créé une forme hybride de peintures”, c’est ainsi que la galerie Ayyam le présente, grâce au recours à divers médias qui permettent des  “interactions entre la surface et la forme qui dialoguent à mesure que les compositions évoluent”. Né à Damas, en Syrie, en 1980, Tammam a reçu sa formation de la Faculté des Beaux-Arts de Damas,  en se spécialisant sur la peinture à l’huile. Il a participé à des expositions solos et en groupe, en Europe et au Moyen-Orient.  Contraint de fuir la guerre dans son propre pays, depuis 2011, Tammam Azzam a  vit et travaille à Dubaï.  Loin de son studio d’artiste, il s’est tourné vers  une forme d’art numérique. Il est devenu célèbre avec ses superpositions numériques de chefs d’oeuvres occidentaux sur des photographies de bâtiments syriens bombardés. Il a même attiré l’attention du street artiste superstar Banksy et a été invité dans son exposition très spéciale nommée Dismaland, l’été dernier, installée pendant six semaines à Weston-Super-Mare, dans l’ouest de l’Angleterre. L’art est évidemment pour Tammam une forme de résistance.

Interview réalisée par Melissa Chemam.

Vous étiez à Damas quand la révolution a commencé dans votre pays avant de se muer en cette violente guerre civile qui a donné naissance à l’Etat Islamique en Syrie et en Irak. Comment avez-vous quitté la Syrie et comment faites-vous pour garder un lien avec votre famille restée là-bas ?

Sept mois après le début de la Révolution, mon épouse et moi avons senti que nous ne pourrions pas rester ici. La plupart des artistes souffraient aussi de la situation. Notre fille Selma était très petite et nous n’avions aucune possibilité de la scolariser. La galerie avec laquelle je travaillais m’a proposé de venir à Dubaï. J’ai accepté, après en avoir discuté avec ma femme. Je ne suis pas revenu en Syrie depuis, mais mes parents y vivent toujours, ils sont – à Soueida, d’où ma famille est originaire, dans le sud, ce qui est un tout petit peu plus sécurisé par rapport à l’ensemble du pays.  La situation y est mauvaise, ils n’ont ni eau ni électricité, mais cela n’a rien à voir avec ce que se passe à Damas ou à Homs.  Je ne considère pas Dubaï comme une destination finale mais comme une étape dans notre vie tant que nous ne pouvons pas rentrer à la maison. En Syrie, il y n’y a que des ennemis, de toute part.

Quels ont été vos débuts artistiques en Syrie et ont-ils toujours été motivés par la politique ?

Nous avons grandi dans une atmosphère opposée au régime de Bachar el-Assad. C’est le plus abjecte que l’on puisse imaginer. Puis moi, j’ai étudié l’art à l’Université de Damas et j’ai été diplômé de la section peinture en 2001. J’avais un studio à Damas  et j’ai présenté mes trois premières expositions à Damas. Je travaillais aussi comme graphiste pour des centres culturels tels que l’Institut français ou le Goethe Institute. Je me suis familiarisé avec le graphisme numérique à partir de 2002 mais la première fois que je l’ai utilisé comme matériau artistique c’était à Dubaï. J’ai laissé mon studio derrière moi, depuis j’ai vécu avec  la sensation que tout me manquait. Dans cette autre ville, j’ai dû commencer  une autre histoire.  Au début, nous avons beaucoup de difficultés à trouver un toit et une école pour Selma. Je devais travailler. J’ai concentré mon travail sur le design graphique et j’ai créé un petit studio à la maison.  C’est comme ça que j’ai commencé à travailler avec le digital.

Vous êtes devenu célèbre en reproduisant Le baiser de Klimt, comment vous est venue cette idée ?

En 2013, après la reproduction d’œuvres d’art du Musée Syrien, j’ai commencé à reproduire une toile de Francisco de Goya, “Le 3 mai”, créée en 1808 pour immortaliser le massacre de centaines d’innocents citoyens espagnols. Je l’ai reproduite numériquement, et incrustée dans une image d’une rue syrienne détruite. Ensuite, j’ai reproduit ‘La Joconde’ et des tableaux de Munch, Van Gogh, Andy Warhol, etc. Le fonds étant la guerre syrienne, le contraste avec la pièce de Klimt est encore plus frappant. La scène en arrière-plan vient d’une image de Douma, une petite ville près de Damas, l’une des villes où la révolution a commencé, et qui a été complètement détruite depuis.

Comment avez-vous trouvé la motivation pour continuer à produire de l’art et croyez-vous à la résistance par l’art ?

C’est de plus en plus difficile. Je pense à l’art tout le temps mais nous avons traversé de terribles événements en Syrie, tout comme tant d’autres endroits dans le monde depuis 2011. Les gens me voient comme un artiste syrien, mais je préfère être considéré comme un artiste. Je ne me considère pas comme un artiste politique. Je suis un artiste qui est sorti de ce contexte politique. Je ne produis pas des affiches contre un dictateur ou un régime, mais des œuvres d’art sur les gens, ce qui est l’objectif principal pour moi. Il y a des histoires dans mon esprit, et où obtenir des histoires si ce n’est de votre mémoire et votre situation ? Mais je pense qu’aucun art ne peut arrêter les armées ou la violence. Comment puis-je résister? Comment puis-je sauver la vie d’un enfant? En tant qu’artistes, nous pouvons juste essayer et continuer. Ceci est la façon dont nous pouvons nous exprimer. Mais nous ne pouvons pas lutter. En tant qu’individu, comment changer les choses? La politique nous empêche toujours. Par exemple, si j’ai besoin d’un visa pour entrer dans un pays européen, il y a tellement de documents que je dois rassembler, je me sens impuissant. Comment pourrions-nous combattre ce système mondial? Et quand les attaques ont eu lieu à Paris, elles ont été considérées comme les plus importantes dans le monde, alors que ça se passe tous les jours à Damas ou à Bagdad ou à Beyrouth. Ça a toujours été comme ça, et il est très difficile de changer ce système.

Croyez-vous que l’art a toujours un pouvoir de conviction, même dans le contexte actuel?

Je pense que nous pouvons probablement convaincre les jeunes de l’importance de la démocratie et de la liberté. Mais si le monde avait réussi à arrêter les régimes injustes de ces cinq dernières années, la Syrie aurait pu devenir une démocratie ou du moins une forme de bon régime. Mais maintenant, la Syrie est devenue une terre de terroristes, avec des centaines de groupes terroristes qui se sont répandus partout dans le monde. Et le monde entier est effrayant maintenant. Les gens en Syrie ne veulent plus que cesser tous les combats et continuer à vivre. Je crois que les artistes et les écrivains ont un rôle à jouer pour atteindre les jeunes, les politiser et appeler à la paix. Mais en Syrie, rien n’a changé en cinq ans. Il y a seulement une aggravation. Et l’Europe refuse d’aider les réfugiés d’une manière choquante. Je crois qu’à la fois ISIS et le régime, et même la police en Grèce ou en Europe occidentale qui tire sur les réfugiés, sont des dangers. Cela ne concerne pas des nationalités ou des religions. Nous aurions besoin d’apporter un grand changement mentalement. Je suis donc trop confus pour donner un message clair. Le seul message que je puisse donner est de continuer mon art, faire ce que je peux. Nous devons continuer d’essayer.

Une exposition de son travail récent vient d’ouvrir à Dubaï :

http://www.ayyamgallery.com/exhibitions/tammam-azzam_3

Visuel : Ayyam Gallery

L’agenda culture de la semaine du 11 janvier 2016
Interview with MoCha, from collective sound cutters Checkpoint 303
Melissa Chemam

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