Politique culturelle
Entretien avec MoCha, du collectif de musique électronique Checkpoint 303

Entretien avec MoCha, du collectif de musique électronique Checkpoint 303

15 January 2016 | PAR Melissa Chemam

Entretien présenté dans le cadre du dossier “Résistance” de la rédaction.

Checkpoint 303 est un collectif musical international de « capteurs de sons » ou « coupeurs de sons », connu dans le monde de la musique électronique comme « SC ». Les membres de Checkpoint 303 travaillent essentiellement sur une base non lucrative, leur objectif étant de maintenir une indépendance artistique. Le groupe se rassemble autour du SC MoCha, un  musicien tunisien et joueur de oud, et comprend des artistes travaillant à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine, comme Yosh et Miss K sushi. Checkpoint 303 s’inspire des sons de la vie quotidienne de millions de personnes au Moyen-Orient. Ils sont venus à la renommée internationale en 2007 quand ils ont été choisi par le groupe britannique Massive Attack pour les accompagner en première partie en Grande-Bretagne puis en France. Leur travail a depuis été cité dans des publications et médias aussi diverses que la chaine de télévision britannique Channel 4, Le Monde et le guide de British Airways sur la Tunisie. Leur dernier album, The Iqrit Files, est un mélange de chansons palestiniennes,  qui rassemblent poésie, histoire et paysages, combinés avec des sons passionnants et énergique de drum and bass, techno minimale et électronique ambiante. Ils partagent l’idée que l’art serait peu de chose sans résistance, une idée à la base de tout ce qu’ils font.

Interview par Melissa Chemam

Dès vos premières productions, Checkpoint 303 a cherché à produire une musique qui véhicule un message de résistance à la violence, comment a évolué votre discours depuis le lancement du projet ?

Le travail sonore de Checkpoint 303 est un appel à la défense des droits humains et surtout de la justice et du droit à la liberté et à l’autodétermination. En conséquence, notre musique transmet un message de résistance à la violence sous toutes ses formes, en particulier l’occupation illégale et au terrorisme d’Etat. Malheureusement, ce message n’a pas changé au fil des ans, tout simplement parce que la situation sur le terrain, que ce soit en Palestine occupée ou ailleurs dans le monde, ne s’est pas améliorée … au contraire, elle a empiré.

Les compositions électro-acoustiques de Checkpoint 303 sont littéralement inspirées par les sons de la vie quotidienne à travers le Moyen-Orient et dans les rues arabes. Notre musique prend souvent la forme de collages audio expérimentaux qui remixent des sons enregistrés dans les rues de Ramallah, Gaza, Tunis, Le Caire, Hama, Beyrouth, ou encore Sao Paolo et Istanbul, dans le but de prendre la parole contre l’oppression et soutenir les droits fondamentaux des sociétés civiles à travers le monde. En tant que telle, la musique de Checkpoint 303 est une ode à la résistance face à la violence sous toutes ses formes, allant de l’occupation brutale et illégale, au vol pur et simple de la terre et la violation du droit international, en passant par la négation des droits fondamentaux tels que le droit à la dignité, la sécurité et la liberté d’expression.

Comment avez-vous commencé le projet ? Comment avez-vous convaincu vos partenaires de vous suivre dans cette idée audacieuse?

Le projet a commencé naturellement avec la nécessité de sensibiliser la communauté internationale à propos de l’injustice permanente en Palestine et la souffrance de la population civile sous occupation illégale. Nous avons délibérément choisi de le faire en utilisant principalement des enregistrements de terrain de sons ambiants en Palestine (embouteillages, célébrations de mariage, passage de checkpoint, émissions de radio, etc.) qui transmettent simultanément le sens de l’urgence et la persistance de l’espoir, qui prend la forme d’une résistance face à l’oppression et l’humiliation. Nous estimions qu’il était important de soutenir l’espoir, grâce à l’art et en particulier l’electronica, le breakbeat et l’expérimentation sonore en raison de leur dimension universelle (en contournant certaines limites de la musique militante traditionnelle qui repose sur les paroles dans une langue spécifique), mais aussi parce que ces sont des formes d’art que nous apprécions.

Le nom Checkpoint 303 a été inspiré par le nom d’un poste de contrôle militaire qui sépare Bethléem de Jérusalem, connu comme le Checkpoint 300. Notre dernière production sur CD ,« The Iqrit Files » (Les Fichiers d’Iqrit), est  sorti le jour de commémoration de la  « Nakba » (NDLR : l’exil palestinien de 1948)  en mai 2015. Il comprend des collaborations avec les chanteurs palestiniens Jawaher Shofani et Wards Bait, et le poète Jihad Sbeit. Ces voix représentent la mémoire vivante du village palestinien de Iqrit dont les habitants ont été chassés par la force en 1948 et qui a ensuite été détruit par les forces israéliennes la veille de Noël en 1951. L’histoire de ce village est représentative de la tragédie de centaines d’autres villages palestiniens. Le CD a été récemment désigné « meilleur album de l’année 2015 » par le magazine New Internationalist au Royaume-Uni.

Pour diffuser notre message pour la justice et la résistance, notre musique est diffusée par l’intermédiaire de plusieurs médias et elle est disponible par le biais de téléchargements gratuits à travers nos propres pages web et Soundcloud. Checkpoint 303 effectue des performances audiovisuelles lors de DJ sets ainsi que des concerts électro-acoustiques en direct avec des musiciens invités et des artistes activistes. Checkpoint 303 s’est produit en Palestine, en Tunisie, en Egypte, au Liban, en Europe, en Australie, aux USA, au Canada, au Japon, au Chili, etc. Le collectif a également été invité par Massive Attack  pour plusieurs spectacles au Royaume-Uni et en France.

Ces deux derniers mois, des attaques terroristes ont eu lieu à Beyrouth, Bagdad, Paris et Bamako; elles ne cessent de toucher le nord du Nigeria, le Mali, la Syrie et la Palestine, quel est le rôle des artistes et des musiciens dans cette époque faisant face à une telle crise ?

Les musiciens et les artistes sont souvent plus proches de la vérité et de la réalité sur le terrain que les politiciens ne le seront jamais. En plus – par rapport aux politiciens – les artistes activistes peuvent décrire la situation telle qu’elle est ressentie / expérimentée par la société civile, sans rester coincés dans l’abrutissante rectitude politique, ou pire encore, des tactiques politiques électorales. La réaction des hommes politiques, que ce soit dans le monde arabe ou en occident, à la suite des attaques terroristes dans leurs pays est souvent très similaire. Le mélange de la rhétorique appelant à « l’unité » face à la terreur et de vœux « pour détruire ceux qui nous haïssent, nous et notre mode de vie  » est une position que nous avons vu maintes et maintes fois. Il résulte d’une combinaison triste de vision à court terme et d’ambitions politiques individuelles égocentriques, et conduit généralement à un échec dramatique.

La peur est devenue un outil politique qui a conduit à plus de divisions au sein et entre nos sociétés et à des restrictions drastiques sur les libertés civiles. En revanche, la voix des artistes activistes est plus près des gens. L’art engagé politiquement dans ses différentes formes, y compris la musique, reflète souvent l’origine de la crise. Plutôt que d’être idéologique, dans la plupart des cas, les racines de la plupart des conflits et des guerres modernes sont enracinées dans l’injustice sous toutes ses formes : économique, sociale, juridique et morale. Il me semble que l’accent mis sur les racines d’un problème est une approche plus intelligente et prometteuse pour le résoudre.

Êtes-vous préoccupé par la façon dont une partie de notre jeunesse, en Europe, en Afrique et dans le monde arabe, semble être plus sensible au désir d’appeler à la violence plutôt que lancer des messages de respect et de conscience politique?

Bien qu’ils soient importants, ces « messages de respect et de conscience politique » que vous mentionnez ont une limite inhérente : ils ne changent pas la situation sur le terrain. Si vous vivez dans la pauvreté ou si vous souffrez de discrimination ou d’exclusion sociale ou économique, vous aurez besoin de plus qu’une bonne chanson pour vous aider à vous sentir mieux dans votre vie, sa valeur et votre rôle dans la société. Cela ne signifie pas que l’activisme de l’art est inutile. Il ne fait aucun doute que la sensibilisation est cruciale. Mais nous ne devons pas être naïfs : la clé est une amélioration de la qualité de vie, l’augmentation de l’espoir d’un avenir meilleur, le sentiment que la justice, l’égalité et la liberté sont proches. Un activiste en musique peut jouer un rôle dans l’identification des injustices et en soutenant et en encourageant l’espoir et résistance non-violente politiquement informée, socialement responsable, à l’oppression, à savoir dans le style de Ghandi!

 

Croyez-vous que l’art peut être une forme de résistance? Comment essayez-vous encore d’incarner cette valeur?

Certainement, vraiment, définitivement. L’art peut être une forme de résistance. En fait, dans certains endroits sur terre, le simple fait d’exister est une forme de résistance : la respiration devient une déclaration politique. Il existe de nombreux moyens par lesquels l’art peut incarner la résistance. Probablement l’un des plus importants est la résistance à un lavage de cerveau sous des formes diverses (allant de la propagande des médias traditionnels au lavage de cerveau par l’ignorance et l’obscurantisme).

Checkpoint 303 tente de le faire en évitant le même piège, en d’autres termes, en évitant la propagande. Notre musique et travail artistique ne cherchent pas à dire aux gens ce qu’ils doivent penser, au contraire, nous espérons que nous pouvons déclencher assez de curiosité pour que nos auditeurs se sentent obligés d’en savoir plus par eux-mêmes et se faire leur propre idée sur ce qui se passe dans le monde d’aujourd’hui. Ne comptez pas sur vos principaux médias ou sur votre Premier ministre pour vous dire ce qui se passe réellement et ce qui doit être fait, trouvez par vous-même. Nous espérons que notre musique et notre militantisme va donner envie aux gens en occident de venir au Moyen-Orient ou dans d’autres pays arabes, et même dans toute autre partie du monde (Turquie, Iran, Afrique, Asie, etc.), et de découvrir par eux-mêmes ce qu’est la vie, en temps réel plutôt que par le biais de la télévision. Si vous ne pouvez pas faire vos valises et partir, commencez par parler à vos voisins et à interagir avec des étrangers dans votre ville.

En parallèle, du point de vue de la société civile arabe, nous espérons que notre musique va inciter les gens à résister par la création artistique et à explorer de nouvelles façons de se tenir debout face à l’injustice.

Quels sont vos prochains projets ?

Nous avons un tas de nouveautés excitantes prévues pour 2016, y compris des collaborations avec des musiciens et des réalisateurs de documentaires. Pour entendre parler de tout cela quand ce sera prêt, restez à l’écoute sur le site de Checkpoint 303, notre liste de diffusion, et nos comptes Twitter et Facebook.

Lien vers le site :

http://www.checkpoint303.com/

Soundcloud :

https://soundcloud.com/checkpoint303/sets/the-iqrit-files

https://soundcloud.com/checkpoint303

Facebook :

https://www.facebook.com/CP303/

Vidéos Youtube :

The Iqrit Files – Checkpoint 303

https://www.youtube.com/watch?v=iqMRVBbnnNw

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Melissa Chemam

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