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[Mort de Prince] Sometime it snows in april

[Mort de Prince] Sometime it snows in april

22 April 2016 | PAR Antoine Couder

Pour nous Français, c’est une ironie très “obamienne” qui a voulu que Prince Roger Nelson, né le 7 juin 1958 à Minneapolis décède ce 21 avril 2016, officiellement d’une grippe comme le disait encore Wikipédia le soir même, ce qui paraît un peu suspect. Sans doute faut-il y voir une vulnérabilité cachée de celui que l’on surnommait aussi le « nain » parce qu’il mesurait “moins d’un mètre soixante” comme l’on dit pudiquement. Vulnérabilité qu’il n’aura eu de cesse de combattre face à la gent féminine et du carré macho de l’industrie musicale et dont on entrevoit un peu la texture dans ce « Sometime it snows in april» extrait de l’album  Parade (1986) que chaque Parisien de plus de 50 ans connaît plus ou moins en raison de sa forte filiation avec leur ville chérie. Car Prince a longuement couché et découché avec Paris, venant hanter la capitale au point que l’on peut se demander ce qu’auraient été les « années 80 » comme on les appelle ici sans « Kiss », sans « Girls and boys » sans ce Palace et ces Bain-Douches à qui l’artiste a réservé ses plus beaux shows. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si Madonna est venue chanter sur la place de la République aujourd’hui, elle qui à l’époque n’a pourtant pas pris de gants pour refuser les avances artistiques du « nain » et sans doute les autres, plus « parisiennes ».Mais qu’importe, comme dirait l’autre, une de perdue dix de retrouvées même si Prince a toujours dit qu’il se refusait de parler de ses ex, s’affirmant davantage comme celui qui trouve plutôt que celui qui retrouve (il chantera toutefois “little red corvette” en hommage à Vanity 6, décédée en février dernier).

Prince s’est toujours affirmé comme un artiste d’avant-garde (et Madonna en a d’ailleurs tiré les leçons) et si l’on voulait résumer les choses sur le ton de l’épitaphe, on pourrait les formuler ainsi : “Prince est mort et Kany West est vivant” . Car entre les deux artistes, il y a bien un fil rouge. Alors que West n’arrête pas de sortir son dernier album  The life of Pablo  sans cesse revisité/réinitialisé en détruisant finalement l’idée même de “sortie” d’un disque, on se souvient que Prince a provoqué une même discorde philosophico-commerciale en choisissant d’abandonner son nom d’artiste à la suite de son bras de fer avec Warner qui ne comprenait tout simplement pas celui qu’elle avait pourtant pourtant promu vice-président de la firme. Son hérissement sincère contre la guerre du Golfe, sa farouche indépendance créative qui renvoie à celle de West ont totalement modifié la donne dans la longue histoire entre les artistes à « descendance noire » et les maisons de disques. Elle explique aussi le choix de ce titre « Sometime it snows in April « qui conte l’histoire d’un héros de la guerre civile dont il faudrait encore préciser le contexte : Celle des émeutes de Watt en 1965,  Celle des Leaves of Grass de Walt Whitman en 1855. La facilité nous pousserait à situer Prince entre Taj Mahal (né en 1942, en concert cet été à l’Olympia) et Kany West, le dernier transgressif black des années 2010. Pour autant, il n’est pas de cette histoire du peuple noir dans laquelle on pourrait néanmoins inscrire Michael Jackson.

Son père est italien, sa mère de descendance afro-américaine et c’est davantage le divorce de ses parents qui va marquer le jeune Prince plus que son passé d’homme noir comme en témoigne l’excellent film  Purple Rain  (1984) qui va durablement marquer les esprits. Prince aime le rock, il joue, funky, mais regarde le rap de loin.… C’est le type qui a réveillé le cerveau reptilien des jeunes blancs, ceux qui n’écoutaient pas de jazz et encore moins du hip-hop en apportant cette tonalité rock à sa grand-messe funk. Chez Prince, il y a ce métissage à la Jimmy Hendrix qui apporte une note « brute de décoffrage » de l’époque. Hendrix sur le drapeau américain, Prince sur le sexe, la folie du désir (« Head » 1980- où la fellation qui se poursuit dans un rock prog ludique) et l’empreinte livide du sida dont « Sign of the Time » annonce les ravages. Enfin cette guitare qui va lier leurs deux biographies. sur « Purple Rain », (1984) et deux autres morceaux extraits du même album : « The Cross » et,, “I can never take the place of your man” (peut-être toute l’arrogance de Prince tient dans cette petite phrase).

La musique de Prince restera celle des années 80 (en ce sens elle a vraiment vieilli, surtout les productions pour les “filles” – cf. Jill Jones qui paraissait pourtant tellement géniale..). Au-delà il reste quelques chefs-d’oeuvre – de  Dirty Mind  (1980) jusqu’à  Sign of the Time  (1987) en passant par Around the world in a day  (1985) et, bien sûr,  Parade  (1986). A chaque fois, c’est une énergie joyeuse, une inventivité magnétique, la promesse d’un bonheur qui rien ne viendra contredire. Il suffit d’écouter les claviers de  Dirty mind , la façon de poser les chœur. Tout cela relève d’un talent bien plus technique qu’on veut bien le dire. Sans doute, Prince était un très bon « chef opérateur” au sens musical et sans doute au sens sexuel comme il s’en vantait en permanence, bien qu’on puisse douter qu’il fût un homme heureux en amour (disons plutôt qu’il attendrissait les femmes). A fond dans sa musique donc, capable de jouer presque 24 heures, petit bout de métis à qui une Claire Hoffman a demandé pour le New Yorker en 2008 s’il allait soutenir Obama et qui s’est vu répondre spontanément un « pourquoi ? ” provoquant la stupeur de la journaliste qui répliqua : « mais parce que vous êtes noir » Et Prince d’écarquiller les yeux et de lui répondre, tellement Beverly Hill, « Am I ? »(sa mère est métisse afro-américaine d’ascendance amérindienne et européenne; son père d’ascendance italienne du coup Prince est parfois plus proche d’un Freddie Mercury que d’une Stevie Wonder). 

Au delà de la point d’humour typique du personnage,  c’est toute la question en effet, qui se pose alors, à savoir si l’on peut être autre chose que noir quand on joue une telle musique ? Où plutôt quand on jouit d’une telle musique parce que justement, Prince sans vraiment le vouloir nous a entraîné dans cette promesse de la liberté individuelle; il nous a réexpliqué qu’il aimerait « que nous soyons tous nus, qu’il n’y ait ni noirs ni blancs, qu’il n’y ait aucune règle » (sublime Contreversy – 1981). Il a poussé la révolution des mœurs (Revolution, c’est d’ailleurs le nom de son groupe lors de sa grande période des années 80) même si contrairement à Michael Jackson il n’a pas métamorphosé le son de son époque mais s’est plutôt occupé de le « bricoler ». Il a pluggé des sons nouveaux sur de l’ancien et inventé le vintage avant l’heure (les synthés réduits à une expression rythmique, le mélange du rock et du funk, cette façon très Mile Davis de voir le rap comme un composante de la pop). D’où le paradoxe de son succès et de sa « dernière » période finalement confidentielle, sois disant jazzeuse mais plutôt jammeuse. Quelque chose qui ressemble à une prudente mise en retrait.

Pris dans un conflit personnel autour de ses « droits » Prince semble aujourd’hui peu écoutable sur les plates-forme de streaming offrant en revanche quantité de shows live dans lesquels on le trouvera rétrospectivement diminué d’année en année. A noter qu’en 2008, il rejoindra les témoins de Jehova qui sans doute s’occuperont de couper l’essentiel du son le soir du 21 avril rendant quasiment impossible d’écouter et de partager sa musique sur You-tube. Finalement découvert mort dans un ascenseur si l’on en croit les dernières informations glanées en ligne, Prince restera ce personnage coincé dans les étages de la célébrité mais clairement engagé dans ce mouvement de verticalité célébré par la gent féminine qui l’a entourée. Après tout, c’est peut-être le point sur lequel l’artiste a vraiment voulu insister.

https://www.youtube.com/watch?v=F8BMm6Jn6oU

 

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Antoine Couder
Antoine Couder a publié « Fantômes de la renommée (Ghosts of Fame) », sélectionné pour le prix de la Brasserie Barbès 2018 et "Rock'n roll animal", un roman édité aux éditions de l'Harmattan en 2022. Auteur d'une biographie de Jacques Higelin ("Devenir autre", édition du Castor Astral), il est également producteur de documentaires pour la radio (France culture, RFI).

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