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Les Victoires de la musique, à quoi ça rime?

Les Victoires de la musique, à quoi ça rime?

16 February 2016 | PAR Hannah Barron

Les Victoires de la musique ont décerné douze récompenses lors de la soirée organisée au Zénith de Paris le vendredi 12 février. Chaque année, cette cérémonie donne une fatigante impression de déjà-vu. Une occasion de se demander pourquoi décerne-t-on des prix ? Nous trouverons peut-être dans l’Histoire la raison qui, au-delà de la récompense, confirme l’importance de telles cérémonies… 

3h de show, une trentaine de candidats, 12 récompenses : le scénario des Victoires de la musique semble se répéter… pour la 31ème fois. Pour autant,  cette nouvelle édition avait voulu marquer le coup, offrant un relooking à  son trophée, réalisé par la cristallerie Daum ainsi qu’une scène modernisée entièrement recouverte d’écrans. Cela n’a pas suffit à emballer l’opinion. En cause, l’aspect redondant des récompenses, la longueur et le peu de spontanéité de l’organisation.

Eschyle, Sophocle et Euripide sur le podium

L’agenda culturel se voit de plus en plus encombré par ces remises de prix, des Molières aux Césars en passant par le Goncourt. Comment expliquer la multiplication de ces cérémonies et leur extension à tous les domaines de la création ? Croyez-le ou non, cette question s’est posée lors d’un séminaire du très sérieux Collège de France. Jean Michel Menger, qui tient la chaire de sociologie du travail créateur, a pour l’occasion invité Victor Ginsburgh, professeur émérite à l’université libre de Bruxelles.  Qui aurait cru qu’on parlait de Michael Jackson et des récompenses du Titanic dans l’ancien Collège Royal ?   Le sujet du jour : « concours et prix artistiques dans l’art, une évaluation des évaluations ».

On apprend notamment que la 10ème récompense de Johnny Hallyday aux Victoires de la musique ne tient en rien à la perte de mémoire des organisateurs mais à une tradition antique. C’est Pisistrate, tyran d’Athènes, qui le premier organisa un concours annuel de théâtre, orchestré par des juges choisis au hasard parmi les citoyens. Pour autant, ces concours réservaient peu de surprises, les gagnants étant tour à tour Eschyle, Sophocle et Euripide. Rien d’étonnant donc à retrouver chaque année les mêmes noms dans le palmarès.

Grand spectacle et petits trafics

Mais si la récompense doit être exceptionnelle, pourquoi consacrer Michael Jackson 240 fois ? D’après l’économiste Frey, les prix doperaient la création, les artistes étant grisés par la compétition. Un argument peu convaincant d’après notre chercheur. En réalité, il s’agit peut être plus de notre gout ambiguë pour les cérémonies de distinction. Partagés que nous sommes à la vue de la joie des gagnants, (la roulade de Christine and the Queens à l’annonce de son prix) mais aussi peut être le plaisir délectable d’assister au désespoir des perdants…  Une analyse qui résonne étrangement avec le palmarès des Victoires, qui présentait pas moins de 3 artistes venant de la télé-réalité : Louane, le duo des Frero Delavega et Kengi. une présence qui n’avait jamais été aussi importante au sein de la sélection annuelle. Une société du spectacle où l’influence des télé-crochets domine, révélant l’importance de ces formes de reconnaissance du grand public.

La dernière interprétation de ce phénomène nous est livrée par James English,  chercheur américain spécialiste de l’économie de la culture. Dans son livre « The Economy of Prestige », reconnu meilleur livre universitaire en 2005 par le New York magazine, il étudie la croissance convergente au XXème siècle des récompenses en art et des compétition sportives spectaculaires.   Pour English, les cérémonies de récompense sont des forums clos et élitistes au sein duquel les initiés culturels peuvent exercer leur trafic d’influence et se renvoyer l’ascenseur. Une occasion de rappeler le fonctionnement des Victoires de la musique, dont le choix des artistes résulte du vote de 600 professionnels. Parmi eux, on compte 200 artistes, 200 personnes issues du monde des médias ainsi que 200 producteurs. Pour autant, la major Universal représente 60% du vote des producteurs, la mainmise étant proportionnelle à sa part du marché. Un monopole qui rend difficile la consécration d’artistes hors du sérail. Vivement la prochaine édition…

visuels: page Facebook Christine and the Queens. /Flickr

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