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#JesuisCharlie, la marche commence

#JesuisCharlie, la marche commence

13 January 2015 | PAR Stéphane Blemus

Au lendemain d’attentats d’une violence historique en France, plus de 5 millions de personnes se sont pacifiquement rassemblées les 10 et 11 janvier 2015. Une manifestation de foi républicaine, populaire et paisible. L’occasion de rappeler que la nation des Droits de l’Homme a une profonde conscience politique et un attachement viscéral à ses libertés fondamentales.
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Catharsis bienvenue

Durant plusieurs journées, du 7 au 10 janvier de cette année 2015, la France aura bruissé de rumeurs. Fausses alertes à Paris, Dijon, Rennes, Colmar, Saint-Etienne, Nice…
Paris aura vécu au rythme des sonneries d’appels incessants de proches effrayés. Et la région parisienne aura été prise en otage par 3 hommes déterminés à tuer.

Ces 3 hommes auront tué, en l’espace de 3 jours, et au nom d’un islam dévoyé, des caricaturistes historiques de Charlie Hebdo (Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, Honoré), certains de leurs compagnons de route (l’économiste Bernard Maris, la psychiatre Elsa Cayat, le correcteur Mustapha Ourrad, le chargé de maintenance Frédéric Boisseau et l’ancien directeur de cabinet du maire de Clermont-Ferrand Michel Renaud), Franck Brinsolaro du service de protection des personnalités et affecté à la protection de Charb, le gardien de la paix Ahmed Merabet, une policière municipale de Montrouge (Clarissa Jean-Philippe), et des clients d’un hypermarché casher de l’est parisien (Yoav Hattab, Philippe Braham, Yohan Cohen, François-Michel Saada).

Morts parce que caricaturistes. Morts parce que représentants de l’ordre républicain. Morts parce que Juifs. Morts parce que Français.

Une force a émergé en réaction. En quelques heures à peine, le temps de quelques millions de clics, le mouvement “Je suis Charlie” était né. Mercredi 7 janvier, au soir de l’attaque scélérate du journal Charlie Hebdo, des manifestations s’improvisaient déjà dans le désordre à travers le territoire national. Sans réel mot d’ordre et dans un léger chaos organisationnel, ces rassemblements étaient à l’image du joyeux anarchisme de Charlie Hebdo.

A l’issue de 2 prises d’otages, de l’intervention imparable des unités d’élite françaises et de la mort subséquente des 3 meurtriers ayant traumatisé le pays, la nation avait besoin d’honorer ses concitoyens morts et ses valeurs bien vivantes.

Le 10 janvier, 700 000 personnes marchaient dans les villes de France. Le lendemain, ce sont plus de 4,7 millions de Français qui se sont mobilisés. Plus de 2 millions dans les rues de Paris. Près de 2,7 millions sur le reste du territoire – dont 300 000 personnes à Lyon, 140 000 à Bordeaux, 115 000 à Rennes, 110 000 à Grenoble ou encore 70 000 à Clermont-Ferrand.

Une mobilisation sans précédent. Un de ces moments rares dans une vie où son action de citoyen a un impact qui dépasse le strict cadre de ses frontières. Après avoir affolé le monde, la France se devait de réagir fortement. De s’ingérer dans l’imagerie internationale avec éclat.

Un souffle européen, un écho mondial

L’impact international de l’événement fut renforcé par son aspect diplomatique. Renzi, Merkel, Cameron, Tusk, Rajoy, Juncker, Schulz… Tels sont les noms des nombreux chefs d’État et de gouvernement européens à avoir posé le pied sur le sol parisien pour marcher aux côtés de François Hollande et Manuel Valls contre le terrorisme et pour les libertés.

A cette liste déjà fournie se sont associés des dirigeants de pays du monde entier. Pour un total de 45 nationalités représentées. Le début du cortège politique du 11 janvier a réuni notamment le chef de la diplomatie russe Lavrov, le président ukrainien Porochenko, le premier ministre tunisien Mehdi Jomaa, le président malien Keïta, le premier ministre israélien Netanyahou ou encore le président de l’Autorité Palestinienne Abbas.

A l’image des révoltes de Hong Kong ou des printemps arabes, une communauté de destins d’abord nationale puis transnationale s’était créée en ligne. Un buzz planétaire. A tel point que le hashtag #JeSuisCharlie a été affiché dans les locaux californiens de la société Twitter. A tel point que 100 000 personnes manifestèrent en solidarité avec la France à travers le monde. A tel point que même la Reine mère britannique, le président russe Poutine ou le Wall Street Journal se sont sentis obligés de soutenir les dessinateurs de Charlie Hebdo qui n’auraient pas hésité à les travestir en caricatures quelques jours plus tôt.

Il était indispensable, en ce dimanche 11 janvier 2015, que des centaines de milliers, des millions de marcheurs piétinent l’impression sourde que l’Europe est un continent dont les valeurs peuvent être impunément bafouées.

Liberté chérie à l’avenir incertain

Les Français ont répondu présents. La génération spontanée de 2002, cette jeunesse qui s’était levée pour démontrer au monde que Le Pen n’aurait pas été son bulletin de vote, que la France n’oubliait ni sa République ni son histoire ni ses idéaux, était bien représentée. Mais elle était loin d’être seule.

Contrairement aux premières manifestations ayant suivi l’attentat dans les locaux de Charlie Hebdo, le public ne se limitait pas aux jeunes habitants des centres- villes. Différentes générations se croisaient. De multiples origines sociales, culturelles, idéologiques : jeunes étudiants à l’écharpe multicolore flottant dans le vent, parents soucieux de l’avenir des enfants leur tenant la main, retraités endimanchés, groupes d’amis venus avec leurs pairs par grappes de 5-6, cadres ultra-dynamiques paparazzant la foule avec iPad à bouts de bras, jeunes femmes au visage sobrement voilé… Beaucoup, l’air hagard, perdus au milieu d’une foule peu mobile, expérimentaient visiblement la marche militante pour la première fois de leur vie. Tous étaient animés d’un même élan. Tous n’avaient pas été Charlie hier, mais tous comprenaient ce week-end là son rôle au sein de la société.

Quid demain ? Les Français seront-ils encore Charlie ?

Dans son “Kafka sur le rivage”, Murakami écrivait que : “posséder un objet qui symbolise sa liberté peut rendre un homme plus heureux que la liberté elle-même”. Mercredi prochain, le prochain numéro de Charlie Hebdo connaîtra sans aucun doute des ventes record. Mais par-delà ce soutien provisoire, il sera important d’agir, comme citoyen attaché aux valeurs de la République, à ce que cette solidarité exprimée ne devienne pas une simple amulette, un gri-gri factice, un objet inanimé sans substance.

Dès demain, les défis seront nombreux. Permettre à la libre critique de s’exprimer publiquement. Faciliter le climat propice à l’émergence de nouveaux Cabu et Wolinski. Leur crayon était celui de l’impertinence, de la libre pensée, de l’irrévérence. Veillons à ce qu’il le reste.

Mais aussi recréer les conditions de la confiance entre toutes les composantes de la France. Jeunes ou vieux, croyants ou non, juifs, musulmans, chrétiens, agnostiques ou autres, des centres villes, périphéries ou campagnes… Face au défi de l’intégrisme religieux, la réponse doit être de réformer, renouveler et renforcer notre idéal du vivre ensemble.

La marche ne fait finalement que commencer.

Visuel : © Toute La Culture

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Stéphane Blemus

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