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[Bruxelles] “Rubens et son héritage” à l’honneur au Bozar

[Bruxelles] “Rubens et son héritage” à l’honneur au Bozar

27 September 2014 | PAR Yaël Hirsch

Peter Paul Rubens (1577-1640), maître baroque d’Anvers est à l’honneur aux Bozar de Bruxelles, à travers une exposition qui retrace son influence sur des disciples proches comme Jordaens mais aussi sur des peintres des trois siècles qui suivent, de Fragonard à Picasso en passant par Delacroix. Un festin de peinture et un festival de toiles de Rubens comme on en avait rarement vu depuis l’exposition du Palais des Beaux Arts de Lille en 2004.

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“Sans Rubens, ni rococo, ni romantisme, ni orientalisme, ni impressionnisme”, le mot d’ordre de l’exposition Rubens Orchestrée par Nico Van Hout est clair : toute peinture après Rubens se réfère au maître flamand. Organisée de manière thématique autour de deux noms très séduisants “Sensation et Sensualité”, “Rubens et son héritage” parvient parfaitement à montrer que la puissance du peintre ainsi que sa manière de suggérer la puissance des monarques européens est un point d’orgue et indépassable de la civilisation et plus particulièrement de la peinture européenne.

Dans un premier temps, c’est la violence du peintre qui est mis en exergue notamment à travers la vitalité cruelle de scènes de chasses (La Chasse au tigre, au lion, au léopard, 1616) ou de damnation, qu’ont étudié et tenté de reproduire certains contemporains(Pieter Soutman) mais aussi des orientalistes au premier rang desquels Delacroix ou bien encore le symboliste Böcklin (Combat sur le pont, 1892) et même l’expressionniste Corinth.

La deuxième salle montre majestueusement comment cet artiste qui a eu l’art de mettre son atelier au service de la majorité des cours européennes, elles-mêmes pas toujours alliées, a su révolutionner la manière de représenter le pouvoir. Jamais partisan mais toujours artisan efficace, il a pu aussi bien travailler pour le plafond de Whitehall que pour le Palais du Luxembourg, en représentant les souverains temporels dans des apothéoses empruntées aux motifs religieux. Il a inspiré de nombreux peintres de cours, et a même inspiré à Oskar Kokoschka un tableau assez ironique sur la toute puissance étatique écrasant les réfugiés et les migrants.

La sensualité annoncée dans le titre de l’exposition n’était pas un leurre, et la troisième section est consacrée à la luxure. Et l’agenda secret de cet événement Rubens est de sortir le peintre de sa réputation de faiseur de grosses femmes trop potelées. L’affiche choisie pour l’exposition est un Pan et Syrinx créé avec Jan Breughel (1617) où le corps en mouvement de la mortelle pourchassée exhale à la fois érotisme et ambiguïté. On retrouve l’appétit de la chair et le sens du mouvement de Rubens dans des toiles d’Honoré Daumier en qui les Goncourt avaient vu “le fils prodigue” du maître flamand, chez les impressionnistes (Cézanne, Manet, Renoir), chez Fragonard et chez Picasso. Une des plus belles salles de l’exposition.

On passe ensuite à des sentiments plus religieux classés sous le chapeau de “la compassion” où l’on retrouve Sainte Thérèse d’Avila ou encore le triptyque pour Jan Michielsen de la Cathédrale de Notre-Dame d’Anvers. Parmi les peintres touchés par l’ancrage de la grâce dans la peinture de Rubens, l’exposition recense Delacroix, l’étonnant Edwin Landseer, le magnifique Murillo et, surprise, Gustav Klimt.

A travers plusieurs portraits de cour, on découvre comme les tableaux de Rubens ont aussi inspiré des héritiers qui voulaient représenter l’élégance. Joshua Reynolds en Grande-Bretagne ou Elizabeth Vigée-Lebrun en France font partie de ces disciples.

Imbibée de la musique qui accompagne l’exposition, la dernière salle est une véritable pastorale. Elle s’articule autour du thème de la poésie pour mieux figurer l’ambiance qui régnait dans la propriété de Rubens à la campagne, Het Steen. Peignant pour lui même, plus que pour les vendre, des paysages luxuriants, le maître y a inséré toute sa vitalité et sa sensualité, notamment dans la bacchanale Les Andriens, venue de Stockholm pour l’occasion.

Se terminant par une juste citation de Ruskin, l’exposition Sensation et Sensualité” accomplit sa mission de prouver combien la peinture de Rubens marque un tournant en Europe et comme elle a inspiré la majorité des grands peintres qui l’ont suivi. Elle nous permet aussi de quitter les clichés sur le maître d’Anvers pour le découvrir sous plusieurs aspect: disciple lui-même du Titien et de Michel-Ange lors de son voyage de 8 ans en Italie, homme de cour et de diplomatie, capitaine d’industrie à la tête de son atelier, et aussi peintre inspiré par la nature retiré dans sa maison de campagne. Un exposition à dimension européenne, incontournable cet automne et qui donne envie de revoir les Rubens des Collections royales du Musée des Beaux Arts de Bruxelles (Old masters museum), ainsi que de se rendre à Anvers pour visiter la maison du maître conservée telle quelle au centre de la ville.

visuels : Peter Paul Rubens, Pan et Syrinx, 1617 Staatliche Museen, Kassel, Photo (c) Ute Brunzel
Peter Paul Ruben, Venus Frigida, 1614, kmska/ Lukasweb
Peter Paul Rubens, Le couronnement de Marie de Médicis, 1622-25, (c) Hermitage photo scala, Florence
Honoré Daumier, Nymphes, 1850 (c)Montréal Museum of Fine arts, photo : Adeline van Horne
Paul Cezanne, Trois baigneuses, 1875, Collection privée photo : Ali Elai camerarts
Gustav Klimt, Sainte-Cécile, 1885, (c) Belvedère, Vienne

 

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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